Atelier

Anne Duprat

9 mars 2006

Des espaces imaginaires aux mondes possibles. Syllogismes de la fiction baroque.

Ruth Ronen a souligné l'usage métaphorique que feraient les théoriciens de la littérature de la théorie des mondes possibles: nous confondons possibilité et fictionnalité, avec naïveté — parfois aussi avec ironie, car tout pousse le lecteur de fiction à faire l'expérience de cet usage non rigoureux de la notion de « monde possible ». On peut éclairer les enjeux de cette confusion en se penchant sur un exemple d'affrontement d'un usage philosophique et d'un usage littéraire de la fictionnalité, celui de Descartes empruntant à la scolastique la notion de « locus imaginarius » et la transformant en opérateur de littérarité, puis sur un exemple concret d'emploi ironique de cette confusion dans la construction d'un monde fictionnel: celui des fictions barbaresques chez Cervantès. Remarques préalables sur l'utilisation d'un vocabulaire lié à la théorie des mondes possibles à propos des fictions du début de la modernité : la fiction baroque fonctionne sur un mode pseudique, qui l'affecte d'un coefficient de scepticisme ; elle pose donc directement le problème de la discrimination, et de l'identification de son régime propre, et cela sans pour autant faire référence au monde actuel, bien qu'elle se déploie dans un système mimétique — le règne de la « mimesis » aristotélicienne n'engageant la fiction classique qu'à être figurative. En cela, elle se prête particulièrement bien à l'analyse en termes de mondes possibles, à condition de nuancer préalablement la disqualification des théories mimétiques de la fiction que l'on trouve au fondement des théories littéraires contemporaines. Le système de référence impliqué par le « pan-mimétisme » du discours sur la fiction depuis la Renaissance n'est pas binaire mais pluri-référentiel, chaque fiction particulière renvoyant, non pas à une chose ni même à un texte, mais à un agrégat, à une concrétion de res ficta toujours déjà présente dans la mémoire collective. Les entités fictionnelles projetées par un texte classique peuvent donc être considérées comme ontologiquement secondes, sans pour autant qu'elles soient systématiquement assimilées à des copies ; c'est l'un des enjeux du choix d'une conception aristotélicienne de la mimesis poétique, qui en fait une opération ontologiquement méliorative, contre le modèle platonicien. L'évolution des fictions au cours des XVI-XVIIe siècle vers une assignation de plus en plus nette d'un monde à un auteur, puis à une œuvre se signale entre autres par l'apparition, en particulier dans l'œuvre de Cervantès, de la transfictionnalité.

1) Le monde imaginaire de Descartes. J-P. Cavaillé a montré l'usage littéraire que fait Descartes de la fiction scientifique, et le rôle joué par la pensée sceptique dans la construction de sa physique. Rappel de ses analyses (Descartes, La Fable du monde, Vrin/EHESS 1991): en présentant le traité du Monde comme une fable, Descartes s'appuie d'abord, de façon pragmatique, sur une conception rhétorique de la fable comme enveloppe aimable d'un contenu sérieux, mais il se sert également de la fiction pour arracher le lecteur à la perception sensible qu'il a ordinairement des choses, pour lui proposer de reconstruire autrement le monde. Descartes place alors son nouveau monde dans les « espaces imaginaires », empruntant à la tradition scolastique la notion de « locus imaginarius » qui servait jusqu'ici à résoudre l'impossible conciliation entre l'infini de l'espace et la finitude des choses :on peut concevoir, au-delà de l'espace véritable (« locus verus ») un espace simplement imaginaire — supposition qui permet par exemple de déboucher sur une théorie de la pluralité des mondes (Guillaume d'Ockham, Nicolas Oresme). Mais cela amène inévitablement à accorder une certaine existence physique à ces espaces imaginés. Or, pour Descartes, un espace vide est une impossibilité logique comme physique ; l'usage qu'il fait de la notion est donc explicitement ironique. De plus, en la traduisant en français et en la mettant au pluriel, il en fait un opérateur de fictionnalité. L'ironie permet à Descartes de faire l'hypothèse de ces « espaces imaginaires » inexistants, le temps nécessaire pour déployer la fable de son monde. Le lecteur, invité à recomposer ce monde, va aboutir à l'idée que le monde de Descartes est non contradictoire, donc logique, donc possible, sans pour autant se confondre avec le monde actuel (l'ancien monde). Cet emprunt ostensible que fait Descartes à la pratique littéraire, largement relayé par la réception mondaine de ses théories, n'est sans doute pas resté sans conséquence sur la pensée des poètes sur leur propre pratique. Ce dispositif, qui a fait agir la fictionnalité comme une possibilité a pu orienter un certain nombre de théories de la fiction vers la recherche d'un verrouillage modal permettant d'aboutir à une séparation plus sûre entre fiction et non fiction (évolution des théories de Chapelain entre 1637 et 1656). Surtout, ce détour permet à Descartes d'emprunter à la fiction le paradoxe sur lequel elle se construit. En affirmant qu'il feint de feindre, il suspend l'affirmation de vérité, comme l'affirmation de fictionnalité, qui devraient commander le régime du discours qui suit. Ce procès sophistique est propre à la fiction de cette période, dont on peut montrer qu'elle a recours à un opérateur modal instable et désigné comme tel par le texte lui-même.

2) Cervantès et le syllogisme du Morisque Illustration possible de ce phénomène : essai de reconstruction d'un univers romanesque particulier, situé au croisement de plusieurs fictions, celui du monde barbaresque chez Cervantès (Huitains composés en captivité, deux comedias, Tratos de Argel et Banos de Argel, deux Nouvelles Exemplaires, l'Espagnole Anglaise et l'Amant libéral, deux épisodes insérés dans Don Quichotte I: « Histoire du Captif », et Don Quichotte II : « Histoire d'Ana Felix », épisode des faux captifs dans Persilès et Sigismonde (10, 3), histoire du berger Timbrio dans Galatée V) Description du fonctionnement de cet univers : à partir d'un scénario de base (voyage en mer, arraisonnement par un corsaire, captivité en Alger, intrigues et processus de rachat ou d'évasion, liberté, retour), on obtient une série de variantes, en fonction (a). de l'identité de départ des personnages impliqués (nation, religion, sexe) (b.) des modifications transitoires ou définitives que subit cette identité (travestissement, conversion vraie ou fausse, reconnaissance) et (c) des changements de fortune (naufrages, mariages, rencontres en mer, etc.) Une approche narratologique des fictions barbaresques présente l'intérêt de mettre en évidence le fonctionnement d'une combinatoire ; elle permet par exemple de souligner le rôle prépondérant des « amours anti-statutaires » (P. Guénoun) dans la détermination de l'issue des scénarios possibles. Mais elle conduit à manquer le régime de fiction propre à ces textes, qui n'apparaît qu'à l'examen de leur situation d'énonciation. Or, pour toutes les approches critiques qui prennent en considération l'ancrage des textes dans la réalité, la reconstruction d'une « Barbarie » cervantine finit toujours par poser un double problème insurmontable :

1. Le macro-univers obtenu n'est pas auto-suffisant : il impose toujours le détour par l'expérience personnelle, bien attestée, qu'a pu faire Cervantès lui-même de l'aventure barbaresque. Les critiques ont recours, pour achever un univers romanesque compris comme constitutivement incomplet, à des pans entiers de la légende du « manchot de Lépante », fournies soit par les documents existants (par ex. les différentes Enquêtes établies à la demande de Cervantès pour prouver l'absence de trahison et d'apostasie, avant et après son retour en Espagne), soit par les textes émanant d'autres auteurs (Topografia et historia de Argel, ps. Haedo (Antonio de Sosa), 1610 ). Or, ce recours à l'expérience de l'auteur n'est pas le résultat d'un choix (discutable ou non) de lecture: il est directement commandé par la présence dans les textes d'une série de désignations « rigides » d'états de choses non fictionnels (noms véritables de choses et de gens impliqués dans son aventure) et de propriétés essentielles de l'auteur : apparition récurrente d'un personnage nommé « Saavedra » (plusieurs des comedias, « Histoire du captif »…), de la main gauche manquante qui le désigne lui-même depuis Lépante (préfaces et prologues, mais aussi Persilès et Sigismonde 10, 3, etc.). Ces entités « insolubles dans la fiction » entravent la reconstitution d'un univers fictionnel homogène du point de vue référentiel. 2. Ce macro-univers n'est pas cohérent du point de vue sémantique:les principes de fonctionnement de ce monde sont indécidables. C'est le problème auquel se heurte la critique dans la définition d'un « point de vue » stable de Cervantès sur la division du monde entre Musulmans et Chrétiens — problème illustré par exemple par l'ambiguïté célèbre du discours du Morisque Ricote sur le rôle de l'Inquisition dans l'expulsion des Morisques d'Espagne (Don Quichotte II, 45) Soit il y a un seul monde, celui des chrétiens (les musulmans pouvant y être plus ou moins tolérés, à condition que l'on admette qu'ils sont dans l'erreur) ; soit on considère que ceux-ci également pourraient détenir une vérité du monde ; les deux points de vue étant fondamentalement inconciliables dans une orthodoxie.

Dans un premier temps, on constate qu'une description du fonctionnement interne de l'univers barbaresque cervantin en termes de mondes possibles peut permettre de rendre compte de ces ambiguïtés. On peut en effet construire un premier modèle logico-sémantique cohérent, dans lequel chaque personnage (Morisque crypto-chrétien, musulman convaincu ou Espagnol amoureux d'une Mauresque) projette son monde à partir de son univers de croyance. Chacun des mondes projetés possède un référent absolu (Dieu ou Allah, le Vierge Marie ou Lella Meriem), qui vient garantir les promesses, orienter le régime de la Fortune et le déroulement des événements. On peut alors décrire les relations d'accessibilité qui les relient, obtenant ainsi un macro-monde caractérisé par la relativité absolue des mondes les uns par rapport aux autres, ce qui permet d'éviter les impasses sémantiques et idéologiques auxquelles conduit l'assignation de l'ensemble des états de choses décrits à un référent unique situé dans la réalité ; on peut le montrer, en particulier, dans l'étude du fonctionnement performatif complexe d'un texte récurrent, la prière à la Vierge / Lella Meriem, dans les fictions barbaresques. Dans un second temps, pour rendre compte du régime fictionnel particulier de ce monde, on s'aperçoit cependant qu'il faut faire porter l'attention non plus sur le fonctionnement interne des fictions, mais bien sur leur point d'ancrage problématique dans une situation d'énonciation réelle. La plupart de ces textes en effet projettent une série d'états de choses qui mettent en question cette origine ; c'est le cas de l'allusion que fait le Captif du Quichotte au secret de la survie miraculeuse du fameux « soldat Saavedra », prisonnier d'Hassan Aga en Alger (D.Q.I, 39): le récit absent, s'il était déployé, correspondrait à la réalité incommunicable de l'expérience secrète faite par l'auteur en Alger), mais aussi de l'interrogatoire policier qui conteste la réalité de l'expérience des faux captifs dans Persiles et Sigismonde 10, 3 (on n'aboutit pas à un échec référentiel, mais à une mise en doute rétrospective du processus même de la vérification), comme de la situation d'énonciation de Don Quichotte (I, 8 :le narrateur feint ostensiblement de présenter au public l'imaginaire « historien arabe » qui rapporterait les faits et gestes du héros). Une étude de l'ensemble de ces métalepses met en évidence un redoublement paradoxal du mouvement référentiel, au moment précis de l'articulation du texte avec le hors-texte. L'opérateur modal qui règle ce régime, et qui pourrait se formuler comme « il est fictionnel de dire que [tel état de choses] est fictionnel », reprend le fonctionnement du paradoxe du Crétois. Un paradoxe qui correspond précisément (M. Molho) à la position du Morisque chez Cervantès (« il faut expulser les Morisques, c'est un Morisque qui vous le dit ; et nous sommes un peuple de menteurs »). Position que l'on retrouve également au principe de l'énonciation du Quichotte, qui exemplifie, dans une structure paradoxale, cette situation de base : Musulmans et Chrétiens doivent se partager la réalité d'un même univers dont ils s'accusent mutuellement d'avoir usurpé le sens. Historiquement comme logiquement, l' « Arabe fictionnel » incarne idéalement, à ce moment crucial de la constitution d'un sens de l'univers moderne, le cercle logique qui fonde la fiction littéraire.

F. Lavocat : Est-ce que tu pourrais revenir au lien que tu établis entre ces deux usages du paradoxe chez Descartes et Cervantès ?

A. Duprat : Les deux usages montrent le glissement, rigoureux ou non, de la fictionnalité à la possibilité. J'interroge précisément ce qui se passe à l'articulation entre les deux. Ce que ça donne quand on se sert de la fiction (Descartes). Le dispositif a la même efficacité chez Cervantes.

M. Macé : Du point de vue de l'élaboration d'une théorie de la vraisemblance, est-ce qu'il n'y a pas de différence entre la réception du discours de la méthode et du traité sur la lumière ?

A. Duprat : Lorsque Chapelain par exemple parle à Huygens de la théorie de la lumière, ce qu'il dit fait état d'une extrême méfiance vis-à-vis de ce que disent « les descartistes ». Ses propos sur Descartes dans l'ensemble témoignent d'un choc que je crois lié à l'usage fait par un philosophe de la fiction: on se rend compte de la puissance d'un système aussi labile. Chapelain à partir des années 40 oriente la construction de sa théorie de la vraisemblance vers une séparation beaucoup plus nette des régimes fictionnels et sérieux du discours.

N. Corréard : Je crois que lorsque que Cavaillé analyse l'usage de la fiction par Descartes, il montre qu'il y a une résistance des propositions au dispositif fictionnel.

A. Duprat : Bien sûr. Pour les littéraires, cela implique une prise de conscience de ce que cela implique d'utiliser cet outil dangereux qu'est la fiction.

F. Lavocat : Est-ce que dans ta perspective cette confusion entre fictionnalité et possibilité est spécifiquement baroque ou consubstantielle à une approche littéraire ?

A. Duprat : C'est bien le problème. Je crois en tout cas qu'il est trop simple et contre intuitif que de dire qu'un univers fictionnel, quel qu'il soit, peut s'étudier dans son autonomie – ce n'est vrai que dans quelques cas, par exemple pour une partie de la fiction réaliste—, et que le seul usage que l'on puisse faire de la théorie des mondes possibles en littérature consiste à décrire l'organisation référentielle interne d'une fiction.

C. Noille-Clauzade : Sur ce lien entre possibilité et fiction, je pense que les fictions auxquelles on a recours à partir de Descartes, ne sont pas de n'importe quel type. Ce ne sont pas n'importe quelles possibilités; ce sont des cas limites. C'est vrai pour Les Caractères de la Bruyère: dans la première édition, il y a très peu de portraits. Or, émerge une écriture du portrait, parce qu'il envisage des cas limites qui ne sont pas nommés. Mais La Bruyère commence par basculer dans des hypothèses qui sont des cas limites, et, petit à petit, il arrive que ces cas limites soient nommés. Dans les éditions suivantes, ils sont nommés. On voit s'installer la fiction. Il y a quelque chose de cet ordre qui se passe quand on fait la genèse.

D. Ferrer: Est-ce que cette habitude de convoquer des mondes imaginaires, de les meubler, de les vider et d'en faire l'application ne vient pas de l'habitude d'utiliser des lieux de mémoire ?

A. Duprat : Oui, très certainement.

M. Macé : F. Hallyn établit le parallèle, qui renvoie à la question de la figure. La conception de la fiction comme enveloppe est une fonction figurale de la fiction, qui, comme dans le cas de l'allégorie, permet d'avoir une conception hygiénique de la fiction.

A. Duprat : Dans le discours des poéticiens italiens des années 1550-1575 sur la littérature, l'image de l'enveloppe correspond très largement à une théorie « pédagogique » ou pragmatique de la fiction ; c'est celle qui se voit remplacée, vers 1570-1580, par l'idée de la fiction comme mimesis d'une fable, quand on commence à étudier la Poétique pour elle-même. Mais elle revient tout le temps: l'enveloppe est le mode de désignation le plus courant de la fiction.

M. Macé : Mais ce n'est pas une naïveté: la fiction comme figure rend pensable le rapport avec les arts mnémoniques. On ne va pas du côté de la mimesis. Marie-Laure Ryan fait le pont entre saint Ignace et les art mnémoniques dans Narrative as virtual reality. Cela recharge la théorie des mondes possibles, dans le sens où la construction de départ de la sémantique des mondes possibles, contre la mimesis, prend une pertinence historique, qui rend possible de penser le passage de l'allégorie à la figure.

C. Noille-Clauzade : La figure et l'enveloppe ne constituent pas une approche rhétorique et fictionnelle de la fiction; mais les voiles de la fable renvoient à une profondeur; on est dans une appréhension herméneutique et symbolique du fictionnel.

A. Duprat : Oui. L'usage de l'enveloppe est très divers, selon qu'on est aristotélicien ou platonicien.

G. Hautcœur : Je voudrais revenir à l'analyse des captifs que tu rapportes à la vie de Cervantès. Est-ce que tu t'es posé la question de l'avant texte ?

A. Duprat : Oui, bien sûr : ce sera d'ailleurs le sujet de la seconde journée du colloque « Récits d'Orient en Occident » (A. Duprat, E. Picherot et J-C. Laborie, 16-17-18 mars, Paris-IV Sorbonne), consacrée précisément aux récits réels de captifs dans les Etats barbaresques, et à leur transmission en littérature. Il y a un maniement, un jeu de passe-passe, entre récits de captifs existants, et très diffusés, et ses propres aventures à lui.

G. Hautcœur : Je pensais à la manière littéraire. Dans ces textes, tu as des chrétiens qui sont très bien reçus par des arabes et l'inverse. C'est un topos très répandu, avant Cervantès.

E. Picherot : Un des procédés littéraires qui fait qu'on a cru que c'étaient des textes arabes, c'est justement l'inversion de point de vue.

G. Hautœur : L'histoire de l'arabe menteur est déjà dans les romans de chevalerie : on sait qu'il est fictif.

E. Picherot : Anna Felix pose en outre le problème juridique des Morisques sincèrement convertis.

A. Duprat : C'est bien pourquoi le discours de Ricote pose un problème. L'ensemble des questions de sens, des problèmes idéologiques posés par les fictions barbaresques ne sont pas dissociables de la construction d'un univers fictionnel cohérent et auto-suffisant.


Anne Duprat March 9th, 2006.

From imaginary spaces to possible worlds. Syllogisms of baroque fiction.

Ruth Ronen has underlined the metaphorical use that the theoreticians of literature would make of the theory of possible worlds: we tend to mistake possibility for fictionality, naïvely – sometimes ironically, as everything leads the reader of fiction to experience this non-rigorous use of the notion of “possible world”. One may shed light on what is at stake in this confusion by looking closely into one example of confrontation between a philosophical use of fictionality and a literary one – that is the example given by Descartes, himself borrowing from the scolastic tradition the notion of “locus imaginarius” and transforming it into a operator of literarity – and then into a concrete example of an ironical use of this confusion in the construction of a fictional world: that of barbaresque fictions in Cervantès. Preliminary remarks on the use of a vocabulary linked to possible-worlds theory about early modern fictions: baroque fiction works on a pseudical mode, therefore bearing a coefficient of scepticism; it thus poses the difficult problem of discrimination, and the identification of its own regime, and this without referring to the actual world, even though it develops in a mimetic system – the reign of aristotelian “mimesis” inviting classical fiction to be nothing but figurative. In this regard, it lends itself particularly well to an analysis in terms of possible worlds, on condition that the disqualification of mimetic theories of fiction that are to be found at the basis of contemporary literary theories be preliminarily qualified. The system of reference implied by the “pan-mimetism” of what has been said about fiction since the Renaissance is not binary but multi-referential, each particular fiction referring, not to one thing or even one text, but to a cluster, a concretion of res ficta always already present in collective memory. The fictional entities projected by a classical text can thus be considered ontologically second, even if they cannot be systematically compared to replicas; this is one of the points at stake in the choice of an Aristotelian conception of poetical mimesis, which makes an ontologically bettering process of it, against the Platonic model. The evolution of fictions in the XVI-XVIIth century towards a clearer and clearer assigning of a world to an author, then to a work shows through the apparition, in particular in Cervantès, of transfictionality.

1) Descartes' imaginary world. J-P. Cavaillé has shown the literary use that Descartes makes of scientific fiction, and the role played by Sceptic thought in the construction of his physics. Reminder of his analysis (Descartes, La Fable du Monde, Vrin/EHESS 1991): by presenting the treatise of the World as a fable, Descartes first relies, pragmatically, on a rhetorical conception of the fable as the pleasant envelope of a serious content, but he also uses fiction to force the reader out of the perceptible perception he has of things, and to suggest re-building the world differently. Descartes then situates his new world in “imaginary spaces”, borrowing from the scolastic tradition the notion of “locus imaginarius” that was used until then to solve the impossible conciliation between the infinite of space and the finitude of things: beyond the true space (“locus verus”) one may conceive a simply imaginary space – supposition that enables one for instance to open onto a theory of the plurality of worlds (Guillaume d'Ockham, Nicolas Oresme). But this inevitably leads to granting a certain physical existence to these imaginary spaces. Now, for Descartes, an empty space is a logical and physical impossibility; the use he makes of the notion is thus explicitly ironic. Moreover, by translating it into French and writing it in the plural, he turns it into an operator of fictionality. Irony enables Descartes to make the hypothesis of these unexisting “imaginary spaces”, while he unfolds the fable of his world. The reader, invited to recompose this world, will come to the idea that the world of Descartes is not contradictory, and therefore logical, and yet does not merge with the actual world (the former world). This conspicuous borrowing of Descartes' to literary practice, widely taken over by the mundane reception of his theories, probably had some consequence on the way poets considered their own practices. This device, having had fictionality act as possibility, may have directed a certain number of theories of fiction towards the reasearch of a modal locking leading to a more secure separation between fiction and non fiction (evolution of the theories of Chapelain between 1637 and 1656). Above all, this detour enables Descartes to borrow from fiction the paradox on which it is built. By asserting that he is feigning to feign, he suspends the assertion of truth, as well as the assertion of fictionality, which should both control the regime of speech that follows. This sophistic process is typical of the fiction of this period, and it could be shown that it resorts to an unstable modal operator that is presented as such by the text.

2) Cervantès and the syllogism of the Morisc Possible illustration of the phenomenon: attempt at rebuilding the world of a particular novel, situated at the junction of several fictions, that of the barbaresque world in Cervantès (octets composed in captivity, two comedias, Tratos de Argel and Banos de Argel, two Nouvelles Exemplaires, l'Espagnole Anglaise and l'Amant libéral, two episodes inserted in Don Quixote: “the Story of the Captive”, and in Don Quixote II: “the Story of Ana Felix”, the episode of the false captives in Persiles and Sigismunda (10, 3), the story of the sheppard Timbrio in Galatea V). Description of the functioning of this universe: based on a basic scenario (trip at sea, inspection by a corsair, captivity in Algiers, plots and process of redemption or evasion, freedom, return home), one gets a series of variants, depending on (a). the initial identity of the implied characters (nation, religion, sex) (b). the transitional or final changes that the identity undergoes (dressing up, true or false conversion, recognition) and (c)changes of fortune (shipwrecks, weddings, meeting people at sea, etc.) A narratological approach of barbaresque fictions has the advantage of shedding light on the functioning of a combinative; it enables us to underline the preponderant role of the “anti-statutary loves” (P. Guénoun) in knowing how the possible scenarios will end. But it leads to missing the regime of fiction that is typical of these texts, which only appears when their situations of utterance are analysed. Now, for all critical approaches that consider the way texts are rooted in reality, the reconstruction of a Cervantine “Barbary” always ends up posing a double problem that is impossible to overcome:

1. The macro-universe is not self-sufficient: it always imposes a detour through the personal experience, well testified, that Cervantès may have had of the barbaresque adventure. In order to finish a novelistic world acknowledged as constitutively incomplete, the critics resort to entire pieces of the legend of the “the one-armed man from Lepanto”, that were provided either by existing documents (for instance the different inquiries that were lead at Cervantès' request to prove the absence of treason and of apostasy, before and after his return to Spain), or by texts by other authors (Topographia et historia de Argel, ps. Haedo (Antonion de Sosa), 1610). Now, resorting to the experience of the author is not the result of a choice (that could, or not, be discussed) of reading: it is directly ordered by the presence in the texts of a series of “rigid” designations of non fictional states of things (true names of things and people implied in his adventure) and of essential properties of the author: repeated appearance of a character named “Saavedra” (in several of the comedias, “the Sotry of the captive”...), of the missing left hand that designates him since Lepanto (prefaces and prologues, but also Persiles and Sigismunda 10, 3, etc.). These entities that are “insoluble in fiction” get in the way of a reconstitution of a homogeneous fictional universe in referential terms. 2. This macro-universe is not coherent from a semantical point of view: the principles according to which the world functions are impossible to determine. This is the problem that the critics have to face in the definition of a stable “point of view” of Cervantès' work on the division of the world between Muslims and Christians – a problem that was illustrated for example by the famous ambiguity of the speech by the Morisc Ricote on the role of the Inquisition in the expulsion of the Moriscs from Spain (Don Quixote II, 45). Either there is one world, that of Christians (with he Muslims more less tolerated, depending on whether they are seen as being mistaken); either one considers that they also could hold a truth about the world; the two points of view being fundamentally irreconcilable in an orthodoxy.

At first, it may be noticed that a description of the internal functioning of the Cervantine barbaresque universe in terms of possible worlds enables one to explain these ambiguities. One can indeed build the first coherent logico-semantical model, in which each character (crypto-Christian, Morisc, convinced Muslim or Spanish man in love with a Mauresque) projects his world from his universe of belief. Each of the projected worlds has an absolute referent (God or Allah, the Virgin Mary or Lella Meriem) that can secure promises, orientate the regime of Fortune and the unfolding of events. The relations of accessibility can then be described, as we get a macro-world characterized by the absolute relativity of worlds when compared the one to the other, which enables us to avoid the semantic and ideological dead-ends that are entailed by the assignation of the set of states of things described to a unique referent situated in reality; it can be shown, in particular, by studying the complex performative functionning or a recurrent text, the prayer to the Virgin / Lella Meriem, in barbaresque fictions. Subsequently, in order to explain the particular fictional regime of this world, it has to be noticed, however, that it is no longer the internal functioning of fictions but their problematic basis in a real situation of utterance that should get our attention. Most of these texts project a series of states of things that question this origin; it is the case of the allusion made by the Captive of Quixote to the secret of the miraculous survival of the famous “soldier Saavedra”, a prisoner of Hasan Aga in Algiers (D. Q. I, 39): the absent narrative, if it was to be unfolded, would correspond to the incommunicable reality of the secret experience of the author's in Algiers), but also of the cross-examination by the police that disputes the reality of the experience of the false captives in Persiles and Sigismunda 10, 3 (it does not open on a referential failure, but on a retrospective questioning of the very process of verification), and of the situation of utterance in Don Quixote (I, 8: the narrator is clearly pretending to present to the audience the imaginary “arab historian” reporting the actions of the hero). Studying the set of these metalepses puts to the fore a paradoxal doubling of the referential movement, at the precise moment of the articulation of the text with the plate. The modal operator ruling this regime, and that would be uttered as “it is fictional to say that [such state of things] is fictional”, resumes the functioning of paradox of the Cretan. A paradox that precisely corresonds (M. Molho) to the position of the Morisc in Cervantès (“the Moriscs must be expelled, I'm a Morisc and I'm telling you, we are a people of liars”). A position that can also be found in the principle of utterance of the Quixote, which exemplifies, in a paradoxal structure, this basic situation: Muslims and Christians must share the reality of the same universe, of which they mutually accuse each other of having usurped the meaning. Historically as well as logically, the “fictional Arab” ideally embodies, at the crucial moment of the constitution of a meaning for the contemporary universe, the logical circle at the basis of literary fiction.

Anne Duprat

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