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Jean-Pierre Cometti
Littérature et philosophie: sur les “concepts fictifs”et la façon dont ils nous aident à comprendre les nôtres.

Les travaux sur la fiction ont connu des développements intéressants qui ont beaucoup enrichi la discussion, au cours des dernières années, tant en philosophie qu'en esthétique ou en théorie littéraire. En France, l'introduction des travaux de Nelson Goodman, de Kendall Walton ou de Dorrit Cohn, quoique dans un autre ordre d'idée, y ont contribué, ainsi que les livres de Thomas Pavel, Gérard Genette et Jean-Marie Schaeffer.[1] Si l'on devait en résumer quelques apports marquants, il faudrait dire que le bénéfice majeur en aura été d'examiner et de définir, plus précisément et plus complètement que cela n'avait été le cas précédemment, la spécificité de la fiction, son statut logique et anthropologique, l'importance de ses liens avec le récit, et peut-être plus significativement les caractères qui permettent de lui attribuer une fonction de connaissance. Sur ce dernier point, les perspectives ouvertes par une réflexion sur les expériences de pensée, en littérature et en philosophie, sont certainement de nature à approfondir la dimension par laquelle la fiction est source de connaissance, et par laquelle elle dépasse de beaucoup les fonctions qui peuvent lui être apparentées sur la base de la seule “feintise” mimétique. Il y a là tout un champ de recherche, encore passablement inexploré, et dont l'angle d'attaque prioritaire demande à être défini en termes d'usages,[2] au sens où il est essentiellement lié aux conditions pragmatiques et aux démarches mises en œuvre dans des processus narratifs et/ou discursifs. La littérature et le roman en particulier y jouent un rôle central; la philosophie, de son côté et dans ses propres démarches, peut servir d'exemple, en même temps qu'elle peut apporter des outils d'analyse propres à mettre en lumière les voies par lesquelles la fiction remplit une fonction de connaissance, bien au-delà des contenus cognitifs qu'elle est à même de véhiculer. Une possibilité, par exemple, est celle qui consiste à étudier, chez tel ou tel romancier, la manière dont la fiction contribue à clarifier certaines questions, que ce soit par “expérimentation” directe ou par voie de contraste. Les questions éthiques, comme Noël Carroll l'a montré dans un article récent, se prêtent tout particulièrement à un tel traitement par la fiction.[3] Mais ce ne sont pas les seules. On songera, pour prendre un autre exemple, à tout ce que peut apporter la lecture des romans de Virginia Woolf à l'examen d'un problème comme celui de l'existence du monde extérieur, quelque crédit qu'on lui accorde,[4] ou encore à la façon dont la fiction romanesque permet d'aborder la question controversée de l'introspection et de l'intériorité.[5] Un témoignage particulièrement clair en est offert dans L'Homme sans qualités, de Robert Musil.[6] C'est parce qu'il recherchait dans le roman une possibilité d'exploration spécifique des problèmes qu'il se posait que Musil a construit son œuvre majeure autour d'une expérience de pensée, ou plus précisément e ce que j'aimerais appeler un “concept fictif”, en empruntant cette expression à Wittgenstein.[7] Le concept d'“homme sans qualités” est un tel concept. Non seulement il s'apparente à une hypothèse dont on s'efforce d'évaluer les effets et les conséquences dans un cadre de référence donné, comme dans une expérience de pensée,[8] mais il investit la trame narrative d'une signification qui a elle-même la valeur d'un essai. De tels concepts présentent en outre un caractère qui apparente les objets (fictionnels) qui leur sont liés à des objets quasi-expérimentaux et pragmatiques dont la seule définition envisageable réside justement dans les effets auxquels leur conception peut être associée.[9] En philosophie, ils trouvent une illustration dans des fictions comme celle d'un homme ou d'un peuple "aveugles" aux couleurs ou à la signification”, comme chez Wittgenstein, ou comme celle d'une “terre jumelle”, dans les réflexions de Putnam sur la référence.[10] En littérature, un personnage romanesque peut en fournir une illustration, dès lors qu'on le considère comme une hypothèse introduite dans un contexte auquel il est fonctionnellement associé. Bien sûr, la notion de “concept fictif”, à vouloir la mobiliser de la sorte, pose un certain nombre de problèmes qui ne peuvent être abordés ici.[11] Elle ne s'ouvre pas moins sur des possibilités d'analyse qui devraient permettre de mieux comprendre le genre de contribution que la littérature et la fiction sont à même d'apporter à la connaissance, sur toutes sortes de questions d'ordre éthique, philosophique ou ontologique.[12]

[1] Rappelons seulement quelques titres, pour mémoire: N. Goodman, Langages de l'art, trad. J. Morizot, J. Chambon, 1990; Reconceptions en philosophie, dans les autres arts et les autres sciences, trad. J.-P. Cometti et R. Pouivet, PUF, 1994; L'art en théorie et en action, trad. J.-P. Cometti et R. Pouivet, L'Eclat, 1996; Dorrit Cohn, Le propre de la fiction, trad. C. Hary-Shaeffer, Le Seuil, 2001; Thomas, Pavel, L'univers de la fiction, Le Seuil, 1988; Gérard Genette, Fiction et diction, Le Seuil, 1991; Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction, Le Seuil, 1999. Sur Kendall Walton, Mimesis as Make-Believe, Cambridge, Harvard University Press, 1990, voir J.-M. Schaeffer, op. cit., ainsi que la recension de J.-B. Mathieu ici même.

[2] À cet égard, l'article de P.F. Strawson, de 1950: “De l'acte de référence”, in Etudes de logique et de linguistique, trad. J. Miller, Le Seuil, 1977, peut être tenu pour crucial, bien qu'il soit souvent ignoré dans la littérature française sur la question.

[3] Cf. “The Wheel of Virtue: Art, Literature, and Moral Knowledge” Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 60, nr. 1, Winter 2002. Noël Carroll s'y oppose à la thèse défendue par P. Lamarque et S.H. Olsen, dans Truth, Fiction, and Literature, Clarendon Press, Oxford, 1994, thèse selon laquelle vérité et fausseté sont étrangers à la littérature et aux attentes du lecteur de roman. Comme il l'observe, “il est étonnant que la philosophie s'exprime dans des positions de ce genre, puisqu'elle a elle-même recours à des modes de réflexion qu'elle partage avec la littérature : les expériences de pensée.” Voir aussi l'étude de Nancy Murzilli: “La fiction ou l'expérimentation des possibles”, in L'Etrangère, 01, Bruxelles, 2002.

[4] Voir, en relation avec ces problèmes, le livre très intéressant d'Ann Banfield: The Phantom Table, Woolf, Fry, Russell, and the Epistemology of Modernism, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.

[5] Sur ce point, les travaux de Garry Hagberg contiennent des suggestions très éclairantes. Voir Meaning and Interpretation, Wittgenstein, Henry james, and Literary Knowledge, Cornell University Press, Ithaca and Londo,n, 1994, ainsi que “The Self, Speaking: Wittgenstein, Introspective Utterances, and the Arts of Self-Representation”, in Revue Internationale de Philosophie, L. Wittgenstein, esthétique et philosophie de la psychologie, n°1/2002, mars 2002.

[6] Je renvoie, à ce sujet, à mon livre Musil philosophe, Le Seuil, 2001, et en particulier au chap. 3: “Expériences de pensée”, p. 57-78.

[7] Cf. Wittgenstein, Remarques mêlées, trad. G. Granel, GF Flammarion, 2002, p. 146: “Rien n'est pourtant plus important que l'élaboration de concepots fictifs, qui seuls nous apprennent à comprendre les nôtres.”

[8] Musil parle significativement, par la voix d'Ulrich, d'“une expérience dans laquelle on observe la modification possible d'un élément et les conséquences que cette modification entraînerait dans ce phénomène complexe qu'on appelle la vie.” (L'Homme sans qualités, trad. P. Jaccottet, Le Seuil, 1956, chap. 61, vol. 1, p. 206). Les réflexions de Musil, autour d'un tel type d'“expérience”, ne sont pas étrangères à la notion de Gedankenexperiment, thématisée par Ernst Mach, voire à ce que lui a probablement suggéré le livre de Hans Vaihinger: Die Philosophie des “als ob”, trad. ang. C.K. Ogden, The Philosophy of “as if”, Routledge and Kegan Paul, London, 1924.

[9] On peut aussi rapprocher la présente conception de la maxime pragmatiste de C.S. Peirce.

[10] Cf. Wittgenstein, Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski, Gallimard, 1961; H. Putnam, Raison, vérité et histoire, trad. A. Gerschenfeld, éd. de Minuit, 1984.

[11] Ils le seront en partie dans un travail actuellement en cours à l'occasion du colloque organisé par E. Pinto les 24,25,26 octobre 2002 à la Sorbonne: “La littérature, entre philosophie et sciences sociales”, ainsi que pour les journées qui auront lieu à Aix-en-Provence en février 2003 sur le thème: “Logiques et esthétiques de la fiction”.

[12] Un exemple privilégié, à cet égard, réside dans les problèmes de l'identité personnelle. Voir les intéressantes suggestions que renferme, pour une étude qui s'intéresserait aux ressources du récit et de la fiction, le livre de Stéphane Chauvier, Dire “Je”, essai sur la subjectivité, Vrin, 2001.

Jean-Pierre Cometti

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Dernière mise à jour de cette page le 24 Mai 2007 à 10h08.

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