Atelier






Les chimères du spécialiste ou le complexe de Marcellus: textes fantômes et points de vue théoriques (Michel Charles, Roger Chartier, Pierre Bayard)
Par Marie Capel


Ce texte fait suite à la treizième livraison de la revue Fabula-LHT: La Bibliothèque des textes fantômes, sous la direction de L. Depretto & M. Escola, et au dossier critique correspondant dans la revue des parutions, Acta fabula (automne 2014).


Dossiers Textes fantômes, Textes possibles.
Lire également Spectres de Derrida, pour une hantologie de la littérature, par Marie Capel.







Les chimères du spécialiste ou le complexe de Marcellus:
textes fantômes et points de vue théoriques
(Michel Charles, Roger Chartier, Pierre Bayard)



HORATIO – He waxes desperate with imagination.[1]



Rendre raison des fantômes, c'est notamment rendre raison du regard de celui qui les voit — ou qui ne les voit pas. En ce sens, l'un des intérêts de l'enquête sur les textes fantômes est de nous renvoyer à notre propre regard, et plus précisément à notre spécialité. Cet article propose une mise en perspective de trois sites théoriques d'où il semble coutumier (voire indispensable) d'apercevoir des textes ou énoncés fantômes. Michel Charles, Roger Chartier et Pierre Bayard sont trois témoins réputés pour leurs affinités avec l'invisible, l'absent, le possible ou le perdu; mais voient-ils des spectres d'une même espèce? À quelle occasion ces entités insaisissables se manifestent-elles à chacun d'eux? Comment expliquer la paradoxale présence d'absents si caractéristique de leurs discours théoriques respectifs? À quelle nécessité spéculative les textes fantômes répondent-ils?


Dans Spectres de Marx, Jacques Derrida — encore un théoricien familier des fantômes — s'attarde sur un passage de Hamlet de Shakespeare, en pointant notamment la singularité de la réaction de l'officier Marcellus à la vue du fantôme du père d'Hamlet surgi au-dessus des remparts: ce soldat se tourne en effet vers Horatio et lui demande de s'adresser lui-même au fantôme, lui qui est un «scholar» (c'est-à-dire un homme instruit, un savant), comme si Horatio était à ce titre «un spectateur qui saurait mettre la distance nécessaire ou trouver les mots appropriés pour observer, mieux, pour apostropher un fantôme»[2]. Or, note Derrida, le cas de Marcellus est plutôt rare: l'expérience nous enseigne aujourd'hui qu'«un scholar traditionnel ne croit pas aux fantômes — ni à tout ce qu'on pourrait appeler l'espace virtuel de la spectralité»[3]. Pour peu que le scholar soit, malgré tout, convoqué à raison, ce serait dans l'espoir qu'il sache dissiper l'apparition, lui que sa culture met à l'abri des illusions. Et si Marcellus avait eu le bon réflexe? Et si notre attention et notre sensibilité aux (textes) fantômes étaient proportionnelles à notre exigence de rationalité? Sur quoi se fonderait alors le «complexe de Marcellus»[4]?



1 /Deuil, hantise et interprétation: les fantômes de Michel Charles.


Michel Charles est le premier théoricien de la littérature à conférer une consistance et une dignité critique à la notion de «fantôme» — qu'il applique toutefois à des énoncés et non à des textes entiers. Dans le chapitre de son Introduction à l'étude des textes[5] qu'il consacre aux énoncés fantômes, il les décrit comme des éléments signifiants erratiques «jouant à des niveaux peu perceptibles»[6] dans une première lecture cursive et sollicitant plus ou moins l'attention[7] du lecteur. Lorsqu'ils sont rendus apparents par un travail d'analyse, les énoncés fantômes viennent doubler le texte d'un «halo de possibles»; dans certains cas, ce «doublage» peut produire du «dysfonctionnement», phénomène que l'auteur définit en ces termes: «Un dysfonctionnement naît du passage d'une structure locale à une autre, ou d'une structure locale à la structure d'ensemble. Il est donc indissolublement lié à la perception d'une structure double, au brouillage d'une structure par une autre, brouillage dont l'effet est l'assouplissement de l'une et de l'autre»[8]. Les énoncés fantômes, lorsqu'ils sont assumés par le lecteur comme des possibles du texte, jouent donc un rôle important dans cet effet de brouillage «assouplissant» et dynamique; un peu comme le double point de vue permet la construction visuelle du relief, le dysfonctionnement apparaît en effet comme «la condition nécessaire de la dynamique du texte»[9]. En ce sens, dans la perspective d'une rhétorique de la lecture telle que la promeut Michel Charles, le brouillage produit par l'énoncé fantôme qui fait jour à un possible du texte doit être considéré comme un élément éminemment positif et souhaitable, dans la mesure où il assure une forme de progression entre des structures qu'il contribue à «assouplir». Il constitue même le «fondement du processus d'interprétation»[10].


Cependant, notons bien que le profit rhétorique du dysfonctionnement a pour corrélat un déficit de lisibilité perçu comme dommageable du point de vue d'une lecture herméneutique. De fait, d'après Michel Charles, l'herméneute se caractérise par sa quête du «vrai sens», c'est-à-dire d'un sens unique, et ne considère plus comme directement lisible un texte où prolifèrent les multiples lectures possibles. Rappelons à ce stade la définition que donne Michel Charles des énoncés fantômes: «on appellera éléments fantômes ces éléments d'un texte qui, tout en étant doués d'efficacité, demeurent en quelque sorte cachés pour laisser au texte sa lisibilité»[11]. En d'autres termes, l'appellation d'énoncés fantômes s'applique aux énoncés possibles que l'herméneute aurait, consciemment ou non, choisi de nier, d'oublier, de cacher ou de ne pas voir, afin d'assurer la stabilité et la lisibilité du texte (selon un critère d'unicité du sens). Si l'herméneute refuse de regarder en face ces apparitions qu'il juge menaçantes et s'il préfère les tenir cachées pour les désactiver, le lecteur idéal de Michel Charles en revanche ne se laisse pas décourager par la «diffraction provisoire du texte»[12] en énoncés fantômes «doués d'efficacité», qu'il lui revient d'assumer sans danger comme autant d'énoncés possibles. De fait, pour Michel Charles, ces énoncés fantômes n'attendent qu'un effort d'attention ainsi qu'un peu d'audace et de créativité pour enrichir l'expérience de lecture rhétorique. Textes fantômes et textes possibles forment donc ensemble les deux faces d'une même médaille: inséparables, ils ne sont pourtant jamais visibles en même temps. Ces fantômes que l'herméneute s'efforce de ne pas voir et de tenir cachés, la lecture rhétorique leur donne une existence possible et efficace. Les énoncés fantôme ne hanteraient donc que ceux qui les nient (la lecture herméneutique); ils accompagneraient positivement, sous la forme de possibles, ceux qui les reconnaissent (la lecture rhétorique).


La fantomaticité marque dès lors très exactement l'écart entre la lecture rhétorique des textes promue par Michel Charles (une lecture qui se veut créative, vivante, ouverte aux possibles), et ce contre quoi celle-ci se définit, à savoir l'approche sclérosante, dite «herméneutique», où l'univocité du texte, obtenue au prix de sacrifices consentis et de deuils forcés, fonctionne comme critère de vérité de la lecture. Rapportée au contexte de l'histoire des théories littéraires, le choix que fait Michel Charles du terme «fantôme» pour qualifier un énoncé virtuel n'est pas neutre: il symbolise la part mortifère de l'herméneutique, elle-même moribonde du fait des mutilations de possibles qu'elle s'auto-inflige. Si la mort et les ombres rôdent du côté de la lecture herméneutique, le règne lumineux de la rhétorique offre quant à lui un horizon de vie pour les multiples sens possibles. Le vocabulaire du deuil est en effet audible dès la déclaration optimiste qui ouvre le chapitre consacré aux énoncés fantômes, où Michel Charles affirme qu'«il y a, fort heureusement, une manière de compensation à ce qui pourrait apparaître comme une perte douloureuse» — cette «perte douloureuse» désignant les éléments que l'exigence herméneutique de lisibilité contraint d'«oublier» et qui reviennent hanter le texte comme autant de fantômes. La «compensation» heureuse dont parle Michel Charles serait alors «l'idée […] que le texte est environné de possibles»[13]. En somme, l'herméneutique demeure associée au sentiment douloureux de la perte et du deuil, quand la rhétorique entrevoit un prometteur horizon de réparation. Ce retour sur le site spéculatif d'où Michel Charles désigne ses fantômes nous aura permis de mettre en évidence la façon dont une simple notion, en l'occurrence celle d'énoncé fantôme, manifeste un positionnement théorique déterminé au sein du champ académique. Cette notion, avec tout le halo connotatif qui l'accompagne, semble à elle seule signaler l'existence du partage herméneutique/rhétorique au sein des études littéraires.



2 /Trous de l'Histoire, histoires trouées: les visions de Roger Chartier.


Nous proposons de poursuivre notre enquête en terres hantées — avec la même devise: dis-moi ce que tu vois, je te dirai où tu es — en compagnie de Roger Chartier, historien du livre, de l'édition et des pratiques de la lecture, particulièrement bien placé pour apercevoir les «trous» de l'Histoire et les histoires trouées. Il s'agit dans le développement qui suit d'expliciter deux raisons pour lesquelles ce chercheur semble tout particulièrement destiné à trouver des textes fantômes au cours d'investigations qui le conduisent souvent dans les arcanes des bibliothèques. D'abord, rappelons que Roger Chartier a entrepris depuis de nombreuses années de souligner le caractère mobile des œuvres littéraires dans la première modernité, en insistant sur les variations importantes de leur «signification» à travers l'espace géographique, le temps, les occasions, les supports et les récepteurs[14]. Il a coutume d'opposer le terme singulier d'œuvre (immatérielle et permanente) au pluriel des textes, qui en instancieraient matériellement d'innombrables états au fil du temps, des lieux et des occasions, toujours différents et souvent éphémères. Lorsque Roger Chartier revient sur le destin rocambolesque de l'œuvre qu'est Cardenio, c'est pour en tirer une mise en garde: «Elle nous enseigne que les œuvres du passé ne sont pas nécessairement ce que, très spontanément, nous croyons qu'elles sont»[15]. On pourrait expliciter cette formulation apparemment simple par une paraphrase plus complexe et néanmoins éclairante: en ce qui concerne la première modernité, l'enquête historique sur les allées et venues de Cardenio vérifie de manière paradigmatique la thèse selon laquelle un titre ou une appellation, bien qu'identifiable, ne renvoie jamais à un référent historique stable, unique et universellement partagé, contrairement à ce que nos habitudes contemporaines nous ont appris à tenir pour acquis; si Cardenio fait «œuvre», c'est parce que la multiplicité de ses états, des textes qui en matérialisent l'existence, partagent un certain nombre de points communs — ressemblance qui va du simple air de famille à l'écart minimal d'une coquille typographique —; l'unicité du «texte référent» est un leurre, ne serait-ce que parce que les communautés de lecteurs et de spectateurs se succèdent sans se ressembler, faisant exister l'œuvre sous des espèces à chaque fois particulières. Dans le cas de Cardenio, «l'absence du texte premier»[16] offre une illustration emblématique de l'approche de Roger Chartier, pour qui un titre renvoie à une Idée abstraite bien qu'effective (l'«œuvre»), laquelle se construit collectivement à partir de la multiplicité non hiérarchisée — bien que successive — des textes et de leurs lectures. Dans un tel cadre théorique, on ne s'étonnera pas de trouver de nombreux fantômes, à commencer par l'impossible archétype que serait le «texte premier», sans cesse présent dans l'argumentaire de l'historien pour être immédiatement nié. D'autres fantômes viennent après lui: si l'on ne s'approche de «l'œuvre» qu'en cumulant les espèces particulières, parfois dépareillées, sous lesquelles celle-ci est matérialisée, un texte «manquant» suffit à nous en éloigner… Si l'historien traque aussi patiemment tous les textes, ce n'est pas en qualité de variantes ajoutées, mais à titre de partie intégrante de l'œuvre; dans sa perspective, un texte identifié comme «introuvable» n'est de fait pas une lacune accessoire, mais une véritable privation en regard de l'intégralité du sens. Par conséquent, on conçoit bien que dans l'esprit de Roger Chartier, les historiens et les philologues «ne se résignent pas facilement à ne rien savoir, ne rien dire ou ne rien imaginer des œuvres dont ils ne connaissent que le titre et, parfois, le nom de leur auteur»[17], dans la mesure où ces textes fantômes entament la connaissance de leur objet d'étude (l'œuvre, mais aussi le genre auquel ils appartiennent, l'identifiant «auteur» auquel ils sont attribués, etc.), pensé comme une totalité idéalement recomposable.


En second lieu, et dit de but en blanc: après avoir lu Roger Chartier, on ne peut que s'attendre à rencontrer, en cette première modernité, des textes perdus recherchés, présents par leur absence, manquants pour avoir paru dispensables. On doit en effet à cet historien d'avoir articulé la formulation claire d'une tension propre à l'époque de la première modernité, qui met en jeu, s'agissant de leur conservation, deux types de rapport aux œuvres, à la fois opposés et non concurrents. D'une part, le lien quasi patrimonial entretenu par les Humanistes avec les textes et la pensée de leurs prédécesseurs antiques aurait conduit les érudits à se lancer dans de véritables missions de sauvegarde de l'héritage manuscrit, des entreprises de recensement systématique des bibliothèques, ainsi que dans des travaux de recherche visant à exhumer les ouvrages oubliés: toute perte de l'ancien apparaissait alors comme un dégât irréparable, une mutilation de l'auctoritas. Parallèlement à ce mouvement de récupération, d'autre part, le rendement croissant des imprimeries aurait toutefois rapidement inspiré de la méfiance face à des textes diffusés largement et à bon prix, hors du contrôle des savants[18] — l'Église se réservant l'essentiel du travail de censure. Au souci de préservation de l'héritage antique répondrait donc symétriquement, d'après Roger Chartier, un désintérêt pour l'archivage, la conservation ou même la fixation des œuvres du présent, surtout lorsqu'il s'agit de pièces de théâtre[19]. La coexistence de ces deux attitudes (après tout dirigées vers des objets différents: l'héritage antique manuscrit d'une part, la production contemporaine imprimée d'autre part) ne semble pas gêner Roger Chartier, qui met davantage en avant le «paradoxe» d'un double rapport aux œuvres en général, signe d'une économie archivistique contradictoire régulant la valeur de l'écrit: la pulsion de conservation cohabiterait ainsi avec la conscience de nécessaires abandons — et sans doute une certaine désinvolture. «Le destin de Cardenio, perdu puis retrouvé, s'inscrit dans ce paradoxe qui considère l'oubli comme exigence de la mémoire et l'absence comme une mutilation intolérable»[20]. Considérées au prisme de ce tropisme d'époque, la quantité d'œuvres fantômes (en particulier celles que l'on perd puis recherche) n'a plus lieu de nous surprendre, dès lors que leur destin semble marqué par l'ambivalence de leur réception et du degré d'importance que l'on attribuera à leur longévité. Soumise à cette double pulsion, une œuvre «normale» devrait ainsi durer tout en disparaissant. Par la mise en lumière de ce paradoxe historique, Roger Chartier nous oblige à prévoir un afflux des fantômes et une multiplication des scenarii de quêtes, au premier rang desquels figure le topos littéraire du manuscrit retrouvé.


Ainsi le point de vue théorique de Roger Chartier conditionne-t-il doublement son rapport aux fantômes, selon sa double inscription disciplinaire (la littérature et l'histoire). D'une part, sa définition archétypale de l'œuvre littéraire et l'attention accordée à ses espèces matérielles particulière déploie un horizon idéal de complétude où la moindre lacune matérielle porte atteinte à l'élucidation du sens: la perte en elle-même est à ce titre déjà porteuse de signification pour le chercheur. En second lieu, le regard historien que Roger Chartier porte sur la façon dont les hommes de la première modernité articulaient de manière conflictuelle temporalité et valeur de l'écrit conduit à reconnaître le caractère historiquement emblématique du topos du manuscrit retrouvé: le motif de la quête du texte fantôme résume à lui seul le régime d'historicité d'une époque.



3 / Théorie et délire: fantasmer avec Pierre Bayard.


Tout comme Michel Charles, dont il partage le goût pour la lecture rhétorique, Pierre Bayard se montre très accueillant à l'égard des textes fantômes, notamment lorsqu'il encourage le lecteur à suivre les élans de sa créativité propre dans un ouvrage tel que Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? (2007), où la force de son propos déculpabilisant, décomplexant et émancipatoire donne confirmation de ce que l'on sait intimement, à savoir qu'il n'est pas nécessaire de lire — entièrement, attentivement, correctement — un livre pour se laisser marquer profondément par lui, tant il est vrai que la frontière entre lecture et non-lecture est fragile et illusoire[21]. Les terres inconnues de nombreux textes déterminent notre navigation dans l'existence à peu près autant, si ce n'est davantage, que les rivages connus et parcourus: les textes fantômes font effet dans nos vies parce que, dans une large mesure, nos vies sont elles-mêmes fantomatiques, observe Pierre Bayard. Il convient néanmoins d'observer qu'avant de se déployer comme le terrain d'une liberté conquise où les fantômes textuels semblent apprivoisés, le règne des spectres est pour la plupart une condition subie plus qu'elle n'est consciemment choisie, et ce tout particulièrement s'agissant des lecteurs «experts». Dans Enquête sur Hamlet, lorsqu'il rapporte les sidérantes querelles de spécialistes — dont le duel Dover Wilson / Greg est le symbole —, Pierre Bayard fournit la preuve que le délire personnel, ou, ce qui revient au même, le monologue dans un «idiolecte théorique autonome», est consubstantiel au débat critique. Par définition prisonnier de son «paradigme intérieur»[22], l'expert ne peut en effet échapper à l'«hallucination intellectuelle» qui lui fait «soudainement percevoir, par exemple dans un texte littéraire, autre chose que les autres, avec une conviction intime aussi forte que l'incompréhension de ceux qui fixent le même point sans rien voir»[23]. Voici le complexe de Marcellus une fois de plus attesté! En tirera-t-on un bilan désespérant? Au contraire, semble nous dire Pierre Bayard: dans le geste même où il ratifie l'existence de ces spectres qui font de «toute discussion littéraire» […] un dialogue de sourds»[24], il souligne en même temps le caractère bouffon de la querelle, nous engage à en rire et à poursuivre coûte que coûte notre activité d'interprète. Car telle est la vertu de l'humour, que Pierre Bayard définit comme une posture mentale permettant de négocier, ou plutôt d'assumer sans dommage les situations où le sujet existe sous des états contradictoires[25] — à ce compte, les fantômes doivent beaucoup rire. Pour continuer son activité de lecture critique sans laisser le tumulte de commentaires pétrifier son esprit, l'interprète a le choix de prendre au sérieux les spectres des autres, et jouer avec eux comme s'ils apparaissent à tous universellement — c'est le principe des jeux de rôle propres aux enfants. Tel est le parti-pris de Pierre Bayard.


Osons maintenant la reconstitution d'une partie. Dans son séminaire sur Hamlet, Lacan commente ainsi le coup fatal par lequel le Prince de Danemark élimine enfin Claudius à l'acte V: «C'est là, justement, que porte la clef, ce qui fait que cette pièce géniale n'a jamais été remplacée par une autre mieux faite»[26]. Qu'importe ici cette clef. Ce qui compte, c'est que consciemment ou non, Pierre Bayard ait justement pris au mot cette «vision» lacanienne, au sens spectral du terme, en jetant les bases d'une autre version «mieux faite» de la pièce de Shakespeare dans «Ce qui s'est passé à Elseneur», épilogue de l'Enquête sur Hamlet. Ce faisant, Bayard répondait en outre à l'appel lancé deux ans plus tôt par le narrateur perfectionniste et maniaque qu'il mettait lui même en scène à la fin de Comment améliorer les œuvres ratées[27]! On pourrait baptiser cet exemple d'activité littéraire et théoricienne «le jeu des trois fantômes»; dans sa démarche poétique, Pierre Bayard mobilise en effet des paradigmes de pensée éloignés les uns des autres (emblématiquement ici: ceux d'un spectre lacanien ainsi que d'un narrateur mégalomane), et les prend au sérieux pour en explorer les confins. Le lecteur quant à lui se laisse irrésistiblement emmener dans la ronde des spectres.


Si l'humour et la réécriture semblent offrir ponctuellement des résolutions heureuses au drame du théoricien incapable d'échapper à ses visions spectrales, on peut toutefois s'interroger sur les raisons structurelles qui condamnent certains critiques à un destin hallucinatoire particulièrement aigu. Pour Pierre Bayard, parmi les paradigmes critiques présentant un rendement imbattable dans le secteur de la production de fantômes, la psychanalyse arrive en tête. Difficile de vivre dans la sérénité, en effet, lorsque l'on évolue dans un cadre épistémologique aussi complexe que celui qui, de Freud à Lacan, a destitué le sujet de son socle de souveraineté par la révélation de sa large part d'activité psychique inconsciente, avant de le déclarer irréductiblement divisé du fait de son inscription dans le langage. Certes, comme la plupart des analyses «anachroniques» bayardiennes visent à le montrer, il n'a pas été nécessaire de patienter jusqu'à la venue de Freud pour soupçonner que derrière tout énoncé se cache un Doppelgänger fantôme[28]; mais «il est extrêmement difficile d'oublier la psychanalyse»[29], observe-t-il toutefois au cours d'un entretien. Dans son Enquête sur Hamlet, Bayard souligne à quel point la logique de lecture encouragée par la psychanalyse est propice à «accroître la multiplicité interprétative», dans la mesure où, pour ne donner qu'un seul exemple, «la séparation des niveaux psychiques» permet à des énoncés opposés de se succéder, «en étant simplement rapportés par l'interprète à des lieux distincts de l'appareil psychique»[30]. À cette mobilité du texte s'ajoute, symétriquement, la reconnaissance des investissements fantasmatiques que le sujet critique engage dans sa lecture. On ne saurait dès lors être surpris de la prodigieuse démultiplication des énoncés fantômes sous le regard du lecteur freudien, que son paradigme théorique semble prédestiner au délire hallucinatoire. Pierre Bayard se considère-t-il à l'abri de ces hordes de spectres? Nullement. La logique du multiple et la mobilité des discours, qu'il aperçoit dans la pensée psychanalytique, ont également leur place dans sa propre méthode critique. La psychanalyse n'est pas pour lui un simple cadre critique parmi d'autres: c'est son point de départ — au double sens où il en vient, mais s'en éloigne avec le temps.


Il ne suffit pas de reconnaître que Bayard affronte explicitement les spectres de la psychanalyse. Nous soutenons qu'il les (res)suscite intentionnellement, à condition de leur donner un visage nouveau. Comment imiter, sans le copier stérilement, le geste inaugural freudien consistant à trouver dans les œuvres littéraires des modèles pour se représenter différents secteurs de l'activité psychique? Comment ouvrir un espace critique suffisamment dégagé et stimulant pour y laisser circuler librement l'inconscient — du théoricien, des lecteurs, des écrivains et «du texte»? Est-il possible, sans le perdre entièrement, d'échapper au modèle herméneutique — c'est-à-dire policier — de production du sens, matriciel en analyse littéraire comme en psychanalyse? De quelle manière restituer sa place active et créative à l'interprète? Comment accueillir le fait qu'il n'y a pas de théorie sans sujet, à la fois fondateur et vulnérable? Quelle posture d'autorité assumer lorsque l'on se sait un sujet supposé savoir lacanien, c'est-à-dire que l'on se trouve dans la position paradoxale quoique bien réelle face aux lecteurs, qui consiste à savoir, tout en ne sachant pas mieux qu'eux (hormis le fait qu'on sait qu'ils croient qu'on sait…), à connaître sans connaître[31], et à croire en refusant de croire? Comment faire place au doute qui nous protège du délire cohérent, dont le mode de structuration (rigueur et rigidité) est parfois si proche du discours théorique[32]? Enfin, non moins capitale que les autres questions: peut-on encore nourrir la jouissance de l'interprète? C'est à ces questions que répond la mise en place des dispositifs de discours pluriels, instables et paradoxaux des essais de Pierre Bayard, où fiction et théorie avancent d'un même pas sur les terres partagées du psychisme et de la littérature. Intimidantes quoique fragiles, ces machines théoriques font penser aux mobiles hantés de Calder, dont les tiges métalliques dissocient autant qu'elles articulent ensemble des éléments en suspension — dont l'équilibre et la grâce doivent peu au hasard et beaucoup au calcul. Ces structures installent, à proximité de la scène inconsciente[33], un climat d'inquiétante étrangeté qui donne à penser qu'en littérature, le fantôme est peut-être d'abord le critique.


Dans l'univers critique de Pierre Bayard, tout lecteur est fantomatique puisque les contours de la vie ne sont jamais tranchés. L'humour, qui se soutient dans la contradiction, apparaît comme le propre de cette condition spectrale; celui-ci confère également son principe à la poétique d'investigation théorique et littéraire de l'auteur, qui s'amuse à prendre au sérieux des paradigmes intérieurs (des visions!) éloignés les uns des autres, qu'il fait pourtant jouer entre eux avec rigueur. Par ailleurs, Pierre Bayard se reconnaît en partie dans le paradigme critique de la psychanalyse, dont il met en évidence la forte propension à multiplier les entités fantomatiques; son geste critique semble en définitive avoir vocation à produire une forme de pensée spectrale, elle-même destinée à un lecteur fantomatique. Curieusement, la cohérence de cette démarche paraît quant à elle totale; on se surprendrait presque à regretter qu'elle ne tolère nul flottement.



Conclusion: spectres et spécialistes.


Les textes fantômes analysés dans les trois parties de cet article ne sont pas de même nature et répondent à des nécessités théoriques différentes. Les énoncés fantômes de Michel Charles manifestent un partage disciplinaire du champ académique, et consacrent le refus de l'herméneutique. Les pièces perdues de Roger Chartier renvoient à une conception archétypale de l'œuvre littéraire, induite à partir de ses multiples espèces matérielles; leur représentation littéraire sous la forme d'un topos (la quête/trouvaille du manuscrit perdu) étaie une thèse d'historien concernant le rapport au temps de l'homme de la première modernité. Enfin, les discours délirants et les hantises intimes que met en scène, critique et suscite Pierre Bayard ont une symptomatologie clinique qui ne surprendrait aucun psychanalyste. Ainsi, on dénombre autant de Marcellus que d'apparitions au-dessus des remparts du discours théorique.


Est-ce à dire que tous ces spécialistes n'auraient rien en commun? Ce que les spécialistes partagent en vérité, c'est le contact avec la spectralité en tant que telle. Rappelons que le terme de spécialiste dérive du latin species, qui veut dire l'espèce, mais désigne aussi d'après le Gaffiot une «apparition nocturne, [une] vision», voire un «fantôme de l'imagination», c'est-à-dire ce qui se laisse discerner, sans qu'on puisse en appréhender distinctement la singularité. Si l'on se réfère à la nomenclature biologique et à ses rangs taxinomiques, le spécialiste est l'observateur qui passe pour ajuster sa vision au plus proche de la diversité des individus concrets, en réglant sa lecture au degré le plus macroscopique d'une échelle qui va du règne à l'espèce. Or on le sait, l'impératif de rationalité classificatoire le contraint, même au plus proche du réel, de céder à l'abstraction. Voilà pourquoi le spécialiste ne peut pas ne pas voir de l'invisible, comme si l'invisible était la condition d'existence du visible — du moins dans le paradigme d'une rationalité qui se veut scientifique. Comme l'écrit Pierre Macherey, «la science part du réel: c'est dire qu'elle s'en éloigne»: c'est bien dans cet écart que se constitue le savoir[34]. Cela dit, prisés de certains spécialistes, les textes fantômes n'en sont pas moins aperçus et appréciés par une large communauté de lecteurs, et heureusement! Abandonnons notre conclusion au fil d'une autre rêverie étymologique, et notons bien que si le spectre n'est pas là matériellement présent devant nous (prae-est), et qu'il n'est pas davantage hors de vue, absent (ab-est), c'est qu'il est sans doute quelque part entre deux, dans l'intervalle, inter-est: le fantôme, en cela, intéresse.



Marie Capel
(février 2015)



Pages de l'Atelier associées: Textes fantômes, Textes possibles.
Lire également Spectres de Derrida, pour une hantologie de la littérature, par Marie Capel.



Principales références

Bayard, Pierre, Le Paradoxe du Menteur. Sur Laclos, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 1993.

––, Qui a tué Roger Ackroyd?, Paris, Minuit, coll. «Double», 2008 (1999).

––, Comment améliorer les œuvres ratées?, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2000. [AOR]

––, Enquête sur Hamlet. Le Dialogue de sourds, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2002. [EH]

––, Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse?, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2004.

––, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2007.

––, Il existe d'autres mondes, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2014.

––,«Comment j'ai fait régresser la critique», in Pour une critique décalée. Autour des travaux de Pierre Bayard, textes réunis par Laurent Zimmermann, Nantes, Cécile Defaut, 2010.

––, Entretien de Pierre Bayard avec Sylvain Dambrine, Xavier de La Porte, Philippe Mangeot et Lise Wajeman, Vacarme, 23 janvier 2012.

Charles, Michel, Introduction à l'étude des textes, Paris, Seuil, coll. «Poétique», 1995. [IET]

Chartier, Roger, Cardenio entre Cervantès et Shakespeare, histoire d'une pièce perdue, Paris, Gallimard, coll. «N.R.F. Essais», 2011. [Cardenio]

Derrida, Jacques, Spectres de Marx. L'État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale, Paris, Galilée, 1993. [SM]



[1] Shakespeare, Hamlet, I, 5. «Son imagination le rend fou» (traduction d'André Gide).

[2] Derrida, Jacques, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993, p. 34. Désormais abrégé SM.

[3] «Il n'y a plus, il n'y a jamais eu de scholar capable de parler de tout en s'adressant à n'importe qui, et surtout aux fantômes. Il n'y a jamais eu de scholar qui ait vraiment, en tant que tel, affaire aux fantômes. Un scholar traditionnel ne croit pas aux fantômes — ni à tout ce qu'on pourrait appeler l'espace virtuel de la spectralité. Il n'y a jamais eu de scholar qui, en tant que tel, ne croie à la distinction tranchante entre le réel et le non-réel, l'effectif et le non-effectif, le vivant et le non-vivant, l'être et le non-être (to be or not to be, selon la lecture conventionnelle), à l'opposition entre ce qui est présent et ce qui ne l'est pas, par exemple sous la forme de l'objectivité. Au-delà de cette opposition, il n'y a pour le scholar qu'hypothèse d'école, fiction théâtrale, littérature et spéculation.» (SM, p. 33) Marx est présenté à ce titre comme un scholar non conventionnel, qui le premier rendit justice au(x) spectre(s) qui hantaient sa réflexion critique.

[4] SM, p. 33.

[5] Charles, Michel, Introduction à l'étude des textes, Paris, Seuil, coll. «Poétique», 1995. Désormais abrégé IET.

[6] IET, p.210.

[7] IET, p.181.

[8] IET, p.141.

[9] IET, p.167.

[10] IET, p.176.

[11] IET, p.176.

[12] IET, p.177.

[13] IET, p.168.

[14] Pierre Bayard ne manque d'ailleurs pas de signaler l'intérêt des analyses qui conduisent Roger Chartier à qualifier le texte (le l'occurrence la pièce de Hamlet) d'«objet mobile», «décourageant tout espoir de stabilisation». Cf. Bayard, Pierre, Enquête sur Hamlet. Le Dialogue de sourds, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2002, p. 27-28.

[15] Chartier, Roger, Cardenio entre Cervantès et Shakespeare, histoire d'une pièce perdue, Paris, Gallimard, coll. «N.R.F. Essais», 2011, p. 286. Désormais abrégé Cardenio.

[16] Cardenio, p.288.

[17] Cardenio, p.16.

[18] Érasme déplore par exemple le manque de discernement des libraires, responsable d'une regrettable prolifération de discours qu'il juge parasites: «une bonne part […] de ces gens qui impriment des livres, ou bien sont poussés, par l'ignorance des belles-lettres et l'indigence du jugement, à considérer les plus mauvais auteurs comme les meilleurs; ou bien, mus par l'amour du gain, ils estiment que le meilleur des livres, c'est celui dont ils espèrent qu'il leur reviendra le plus ample profit.» Passage cité par Crousaz, Karine, Erasme et le pouvoir de l'imprimerie, Lausanne, Antipodes, coll. «Histoire moderne», 2005, p.122.

[19] «L'anxiété de la perte a obsédé un temps préoccupé par la récupération de l'héritage antique, l'inventaire de tous les livres qui furent écrits, les rêves de bibliothèque universelle. Dans ce désir d'exhaustivité, la disparition des œuvres était vécue comme une blessure. Pourtant, il était clair aussi que tous les écrits n'avaient pas vocation à subsister et à devenir des archives. Leur multiplication indomptée était perçue comme un autre péril: celui de la saturation, de l'étouffement, du désordre.» (Cardenio, p.285)

[20]Cardenio, p.286.

[21] Bayard reprend cette idée dans un essai postérieur : «Les livres que nous n'avons pas lus ou écrits ne sont pas absents de nos existences. Ils ne cessent au contraire de les hanter, avec d'autant plus de force que, loin d'être de simples songes comme le croient les esprits rationalistes, ils disposent d'une forme de réalité dont la douceur ou la violence nous submerge dans les heures douloureuses où nous traverse la pensée de tout ce que nous aurions pu devenir.» (Bayard, Pierre, Il existe d'autres mondes, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2014, p.68).

[22] La notion de «paradigme intérieur» est introduite à la page 143 de Enquête sur Hamlet. Le Dialogue de sourds, Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2002. Désormais EH.

[23] EH, p. 106.

[24] EH, p. 145.

[25] Bayard, Pierre, Comment améliorer les œuvres ratées? Paris, Minuit, coll. «Paradoxe», 2000, p. 138. Désormais AOR.

[26] Lacan, Jacques, «Sept leçons sur Hamlet», in Le séminaire, livre VI: Le désir et son interprétation [1958-1959], texte établi par Jacques-Alain Miller, La Martinière et Le Champ Freudien, 2013, p.295. Nous soulignons. Bayard se réfère à plusieurs numéros de la revue Ornicar? où furent initialement publiés (entre 1981 et 1983) le séminaire de Lacan sur le désir. Cf. EH, p. 38 (note 8).

[27] Rappelons que ce narrateur mégalomane déplorait que tant d'«œuvres fantômes», «supérieures en qualité esthétique ou en émotion» échappent à «notre reconnaissance», et, faute «d'attention et d'amour de la littérature», tardent à «surgir des lieux cachés où elles continuent de vivre à l'état d'esquisses, dans la proximité secrète des textes ratés» (AOR, p.172). Le caractère délirant du discours du narrateur apparaît notamment à la faveur des propos «raisonnables» tenus par contraste dans Enquête sur Hamlet: «L'idée d'une amélioration de la critique, dès lors que l'on admet que les textes auxquels ont affaire les deux auteurs ne sont tout simplement pas les mêmes, est aussi peu fondée que le serait une comparaison entre des cartes géographiques portant sur deux pays différents» (EH, p. 126).

[28] C'est exemplairement dans les Liaisons Dangereuses de Laclos que se formule, selon Bayard, «toute une théorie implicite de la lecture»portant l'idée selon laquelle «lire, c'est entendre derrière le texte un autre texte, venu d'une autre scène, et où se lit la vérité de l'autre» (Bayard, Pierre, Le Paradoxe du Menteur. Sur Laclos, Minuit, coll. «Paradoxe», 1993, p.142).

[29] Bayard, Pierre, Entretien avec Sylvain Dambrine, Xavier de La Porte, Philippe Mangeot et Lise Wajeman, Vacarme, 23 janvier 2012.

[30] EH, p.71 et 74. Le chapitre intitulé «Logiques du multiple» traite extensivement de la capacité de la psychanalyse à démultiplier les sens d'un texte. L'énonciation multiple comme point de rencontre entre le texte littéraire et la «dimension de conflictualité, essentielle à la psychanalyse» apparaît déjà dans Le Paradoxe du Menteur(par exemple aux pages 143 et 121).

[31] On songe inévitablement au titre qui a fait polémique, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?, paru en 2007, et aux ouvrages dans lesquels Pierre Bayard met en œuvre une méthode qu'il nomme lui-même «critique incompétente» — laquelle nous semble déconstruire avec humour le mythe du sujet supposé savoir dans des situations de la vie ordinaire.

[32] «Le délire implique une distorsion majeure de la réalité, mais, dans le même temps, une certaine position psychique par rapport à cette distorsion, un mode particulier d'engagement dans le discours et de croyance, ou d'absence radicale de doute, en la véracité de ses productions, ce que résume très bien Poirot par sa formule à la troisième personne: ‘Hercule Poirot sait'». Bayard, Pierre, Qui a tué Roger Ackroyd?, Minuit, coll. «Double», 2008 (1999), p.117.

[33] «C'est à cette incertitude de l'énonciation que vise pour moi cette introduction massive de la fiction dans la théorie. Elle conduit bien à une forme de régression, puisque le sujet que j'essaie de faire parler est plus proche de la scène inconsciente — sur les plans formel, temporel et topique — que le narrateur de nombreux textes théoriques, assuré de lui-même et en harmonie avec soi.» (Bayard, Pierre, «Comment j'ai fait régresser la critique», in Pour une critique décalée. Autour des travaux de Pierre Bayard, textes réunis par Laurent Zimmermann, Nantes, Cécile Defaut, 2010, p.36-37).

[34] Macherey, Pierre, Pour une théorie de la production littéraire, Lyon, ENS Éditions, coll. «Bibliothèque idéale des sciences sociales», 2014 (1ère éd. 1966), p. 16.



Marie Capel

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Dernière mise à jour de cette page le 1 Mars 2015 à 10h55.