Atelier



Audiovisuel et littérature

par Selina Follonier
(Doctorante à l'Université de Lausanne)


Dossiers Audiovisuel, Etudes culturelles





Audiovisuel et littérature


Poser la question de l'audiovisuel dans les études littéraires soulève des enjeux importants d'un point de vue institutionnel, médiatique et archivistique, mais cerner le rapport qu'il entretient à la littérature ne va pas de soi, en premier lieu en raison de sa labilité définitionnelle. En effet, face à une notion éminemment polysémique dont l'étendue sémantique a fortement évoluée au fil des décennies — au point où le Dictionnaire théorique et critique du cinéma stipule qu'elle aurait « le plus souvent joué un rôle de brouillage[1] » — il faut s'interroger sur le cadre d'un tel questionnement. S'agit-il de réfléchir aux relations entre littérature et télévision ? Parle-t-on d'un champ de production médiatique, d'un mode de communication, d'une catégorie d'œuvres ou encore de toute une culture fondée sur un nouveau rapport à l'image, au temps et à la connaissance – correspondant à la « quatrième révolution culturelle[2] » annoncée par André Malraux ou à la vidéosphère[3] théorisée par Régis Debray ?


Si les contours du domaine envisagé semblent difficiles à délimiter, on ne saurait nier le fait que la généralisation, au cours du XXe siècle, de techniques d'enregistrement, de méthodes d'information et de moyens d'expression associant l'image animée et le son — que l'on pourrait poser comme première définition approximative de l'audiovisuel —, a eu un impact décisif dans le monde des lettres et modifié notre compréhension du littéraire, d'une manière qui ne se restreint pas au domaine du « petit écran » et dont l'avènement du numérique ne dément pas l'importance mais au contraire la renforce. Partant de ce constat, on se propose, dans ce qui suit, d'analyser les modalités de l'articulation entre littérature et audiovisuel dans une perspective essentiellement historique. Il s'agira de cartographier des points d'intersection, de retracer des interrogations critiques que ces derniers ont soulevé ainsi que de rendre compte de perspectives de recherche actuelles, afin de mettre en évidence la manière dont ils reflètent certaines dynamiques d'évolution du contexte littéraire contemporain.


Une notion plurielle


Dans un article paru en 2010[4], Gilles Delavaud retrace l'historique de la notion d'« audiovisuel », issue de l'anglais et adoptée dans la langue française vers le milieu du XXe siècle. Comme le relève l'auteur, le terme a servi à désigner, successivement ou alternativement, une méthode pédagogique basée sur l'utilisation conjointe de supports visuels et sonores, le rapport entre l'image et le son dans des œuvres filmiques, une attitude perceptive (l'audio-vision au sens où l'entend Michel Chion[5]) ou le champ médiatique constitué par l'ensemble des chaînes de (radio-)télévision — tout en pouvant englober, dans son acception la plus large, « les secteurs du téléphone, de la radio, du cinéma, de la télévision, de la photographie, de la vidéo et du multimédia[6] » (Le Petit Larousse). Si ce panorama n'est pas fait pour réduire la complexité de la question, on en retiendra que les ambiguïtés sémantiques inhérentes à la notion découlent d'une part de la variabilité du rapport entre les deux racines étymologiques du terme (l'association entre le son et le visuel pouvant être constitutive de chaque élément de la catégorie ou seulement la propriété de la catégorie d'ensemble), d'autre part du fait qu'elle renvoie tantôt à un type de message, tantôt à un type de support technique. Il faut y ajouter d'autres fluctuations relèvant des domaines d'usage, selon que le terme soit mobilisé dans les secteurs médiatique, archivistique[7], scientifique (en fonction des disciplines) ou pédagogique.


Si, à l'heure actuelle, l'emploi dominant tend à se restreindre à des techniques et à des œuvres associant de manière constitutive l'image et le son, une autre ambiguïté réside dans la situation face au cinéma, qui peut être considérée selon un rapport d'inclusion ou de différence. En effet, si les propriétés et le fonctionnement sémiotiques des messages filmiques, télévisuels ou vidéographiques paraissent être identiques, les pratiques s'opposent du point de vue de leur histoire, de leurs usages, de leur mode de production et des cadres institutionnels dans lesquels elles s'inscrivent. En ce qui concerne les relations entre télévision et cinéma, l'opposition ne saurait être plus grande ; elle équivaut, dans le discours critique — et a fortiori dans celui des défenseurs d'un cinéma auteuriste —, à l'opposition entre art et industrie, entre culture légitime et culture de masse. Cependant, dans le contexte médiatique actuel, où les différents types d'œuvres audiovisuelles (films de fiction, documentaires, émissions et séries télévisées, vidéos, contenus multimédia...) sont progressivement diffusés sur les mêmes supports techniques, selon une dynamique qui fait converger les moyens de communication, d'information et d'expression vers le numérique, la frontière qui les sépare tend à s'estomper et le terme audiovisuel acquiert une valeur générique[8]. Suivant une telle acceptation, une œuvre audiovisuelle peut donc aussi bien être cinématographique, télévisuelle ou vidéographique. C'est à cette définition que nous souscrivons ici, au regard du contexte actuel mais aussi parce qu'elle possède l'avantage de la précision, en établissant une distinction à l'égard de sources exclusivement visuelles ou exclusivement sonores, et parce qu'elle permet de lever l'ambiguïté susmentionnée entre les propriétés sémiotiques des différents messages et la matérialité des supports.


Dès lors, le statut de l'audiovisuel dans son rapport à la littérature peut se concevoir suivant trois modalités principales, dont il va de soi qu'elles ne sont ni exhaustives ni mutuellement exclusives. En tant que langage ou forme d'expression, l'audiovisuel suscite un dialogue théorique ; en tant que support, il conserve des traces historiques relatives à la vie littéraire ; en tant qu'institution, il contribue à la médiation de la littérature dont il façonne inscription dans le social. Cette tripartition correspond aux trois principales acceptations du terme médium[9], qui peut désigner à la fois des types de messages ou de contenus, des vecteurs matériels de leur transmission et des organisations économiques dédiées à leur production.


Précisons encore, au sujet du cinéma, que bien que ce dernier soit par nature audiovisuel et appartienne au domaine considéré dans cet article – en tant qu'usage artistique du langage audiovisuel ou, selon une quatrième acceptation du terme de médium, en tant que médium artistique –, nous ne nous y attarderons pas, étant donné que les enjeux très spécifiques qui le concernent, engageant aussi bien des rapports de filiation, de concurrence et d'échange artistiques avec la littérature, ont été largement traités ailleurs[10].


L'audiovisuel comme institution : médiation et critique


Depuis les premières diffusions d'adaptations télévisées d'œuvres littéraires, mais surtout depuis la diffusion de la première émission littéraire Lectures pour tous[11] (1953-1968) par l'ORTF, l'Audiovisuel — entendu en premier lieu comme synonyme de télévision — constitue un vecteur de médiation majeur pour la littérature. Reposant sur une alliance jugée impossible, tant le fossé entre l'écrit et l'audiovisuel semble profond en termes de matérialité des supports, de structure sémiotique et de position symbolique dans l'espace culturel, le genre de l'émission littéraire sera non moins promis à un réel succès, au point d'accéder au statut de véritable mythe culturel (au sens de Barthes). Le phénomène a donné lieu à plusieurs thèses (Frédéric Delarue, 2010 ; Patrick Tudoret, 2007 ; Maria Pourchet, 2007[12]), dont pourtant aucune — faut-il s'en étonner ? — ne relève du champ disciplinaire des études littéraires. Issus de l'histoire culturelle, de la sociologie, des sciences politiques et des sciences de l'information et de la communication, ces travaux ont permis de retracer l'histoire de ce genre médiatique, d'en étudier les enjeux, la morphologie ainsi que les transformations à travers différents contextes institutionnels et politiques.


Les principaux aspects mis en avant concernent la fonction critique et le statut de l'auteur. Face à la difficulté à « inviter le livre lui-même sur le plateau », la télévision fait en effet de manière privilégiée appel aux écrivains qui apparaissent comme les représentants les plus légitimes de leurs œuvres. L'émission littéraire devient ainsi une nouvelle scène d'expression permettant aux auteurs de développer un métadiscours sur leurs écrits, mais aussi et avant tout de se forger une identité publique. Dans le sillage des réflexions pionnières de Philippe Lejeune sur « L'image de l'auteur dans les médias » (1980), cette question a surtout intéressé la sociologie de la littérature et alimenté, au même titre que la massification des portraits photographiques, les recherches sur la représentation de la figure de l'écrivain[13]. Quelques années seulement après la déclaration de la « mort de l'auteur » par Roland Barthes et l'affirmation des théories structuralistes, le succès du genre de l'émission littéraire, dont Apostrophes (1975-1990) de Bernard Pivot marque l'apogée, semble également contribuer à réinstaurer l'auteur, à force de surexposition médiatique, comme principe explicatif du texte. Son omniprésence sur les écrans s'avère en effet peu compatible avec les théories de l'autonomie de l'œuvre, et favorise au contraire un regain d'intérêt pour la personne biographique.


Héritière de la pratique séculaire des salons littéraires, lieu d'une sociabilité orchestrée par ces agents médiateurs que sont les journalistes-animateurs et régulée par ses propres rites et codes de conduite, l'émission littéraire se présente non seulement comme un relais de l'actualité éditoriale mais contribue aussi à déterminer la place et la valeur des œuvres littéraires dans l'espace social. D'une part, elle offre une tribune pour la critique, en amenant journalistes, universitaires, auteurs, voire lecteurs anonymes à débattre de récentes parutions dans un cadre public ; tributaires de configurations socio-discursives et déterminée par le cadre institutionnel, cette critique polyloguée repose sur une grammaire dont Jean Peytard a sondé le fonctionnement dans son étude « La médiacritique littéraire à la télévision » (1993). D'autre part, la télévision intervient en tant que facteur de visibilisation ou d'invisibilisation : elle exerce un effet de prisme dans la mesure où elle accorde une attention privilégiée à des œuvres ou genres littéraires davantage aptes à faire l'objet d'un débat télévisé et plus conformes aux intérêts du « grand public » (tels que le roman et l'autobiographie, au détriment la poésie ou de l'essai), ainsi qu'à certains auteurs réputés « télégéniques » et répondant plus volontiers à l'appel des médias que d'autres confrères. Certains observateurs, discernant dans ce processus la substitution, par l'instance télévisuelle, de ses propres critères de jugement à ceux ayant traditionnellement cours dans la République des Lettres (l'appréciation des pairs, la critique académique...), vont jusqu'à conclure sur le « glissement sensible [...] des institutions littéraires vers les sphères médiatiques audiovisuelles[14] ». Si la portée réelle d'une telle assertion reste difficile à mesurer — de même que le paradoxe concernant l'influence « positive » ou « négative » de la télévision sur les pratiques de lecture du public demeure irréductible[15] — il semble tout aussi difficile de contester que la télévision, au regard de l'étendue qu'atteint son audience durant le dernier quart du XXe siècle, acquiert un pouvoir de prescription dont l'impact sur le marché éditorial et sur la vente des livres a été examiné par Édouard Brasey dans son ouvrage L'Effet Pivot (1987). Elle s'impose ainsi comme un vecteur de consécration et doit, au même titre que l'école, les ministères de la culture ou les bibliothèques, être comptée parmi les « institutions supralittéraires[16] » définies par Alain Viala.


Surmédiatisation de l'auteur, mise en péril d'une autonomie institutionnelle acquise deux siècles auparavant... les plateaux télévisés deviennent aussi le lieu vers lequel convergent maints discours sur une supposée fin de la littérature à l'orée du second millénaire. En effet, de nombreuses enquêtes s'intéressant à la médiation audiovisuelle concluent sur une dilution du littéraire dans l'économie du spectaculaire propre aux industries médiatiques modernes. Cependant, il convient de se rappeler que le genre de l'émission littéraire est loin d'être uniforme ; si la majorité desdits travaux sont centrés sur ses formats institutionnalisés — l'entretien d'auteur et l'émissions-débat, dont Lectures pour tous et Apostrophes incarnent les modèles canoniques —, ils laissent dans l'ombre ses déclinaisons plus expérimentales, émergées surtout durant les années 1960 à 1970, avant que le contexte fortement concurrentiel du marché de l'audiovisuel n'impose la « dictature de l'audimat ». Comme l'a déjà observé Jérôme Prieur dans un dossier de revue intitulé « Littérature et télévision » (Les Dossiers de l'audiovisuel, 1990)[17], et comme le confirme une récente étude de Céline Pardo sur la poésie à la télévision[18], la rencontre entre littérature et audiovisuel a engendré des créations parfois étonnantes et peu concernées par des problématiques de média-visibilité, qu'il s'agisse de « films-préfaces », de « vidéo-livres[19] » ou de diverses initiatives revisitant les œuvres du patrimoine — autant de formats dont l'histoire reste à écrire.


L'audiovisuel comme langage : un dialogue théorique


Dès les débuts du cinéma, théorie littéraire et théorie du film entretiennent un dialogue qui se traduit par un échange de concepts et par le recours à des cadres analytiques apparentés. En tant que système de signes destinés à la communication, l'audiovisuel appelle des interrogations similaires à celles soulevées par la langue écrite, servant pareillement à véhiculer des discours, à transmettre des informations, à articuler des récits et à créer des œuvres d'art. Comme l'observe Jean-Louis Jeannelle au sujet du rapport entre littérature et cinéma, « chacun des deux arts a fourni à l'autre un miroir dans lequel se penser lui-même et reformuler ses propres modalités de fonctionnement[20] ». Cette « équivalence critique[21] », que l'on peut étendre au domaine de l'audiovisuel dans sa globalité, s'est nouée en particulier autour des questions de l'énonciation, de la narration, de la généricité et des modes de signifiance. Elle relie l'audiovisuel à la linguistique, à l'analyse du discours, à la narratologie et à la sémiologie.


Du fait de son antériorité historique sur les formes d'expression audiovisuelles, la littérature et les travaux qui lui ont été consacrés ont fourni de nombreux outils théoriques aux études filmiques. Signe de cet héritage, la notion de « texte » et les concepts visant à illustrer les relations systémiques dans lesquels les œuvres écrites s'inscrivent, servent fréquemment de cadre d'intelligibilité et de catégorie descriptive pour des créations audiovisuelles. Dans son ouvrage Les Genres du cinéma (2002), Raphaëlle Moine propose ainsi, en s'appuyant sur les travaux de Gérard Genette et de Jean-Marie Schaeffer, d'envisager le genre filmique en tant qu'architexte et le rapport entre différentes œuvres et genres à travers l'analyse de leurs relations « intertextuelles ». Dans le domaine télévisuel, Noël Nel et Jérôme Bourdon pensent la grille des programmes en termes de co- et d'intertexte et les programmes eux-mêmes sous l'angle de leur structure séquentielle, de leur fonction pragmatique et de leurs propriétés stylistiques[22].


La question de savoir si l'audiovisuel peut être considéré comme une langue constitue le point de départ de nombreuses entreprises de théorisation. Il en est ainsi de l'article « Le cinéma : langue ou langage ? » (1964) de Christian Metz, texte fondateur de la sémiologie du cinéma. Si cette discipline s'est fortement inspirée de la linguistique, le transfert des concepts y a néanmoins souvent conduit à conclure sur une fondamentale altérité entre communication écrite et audiovisuelle, divergence qui devient manifeste, par exemple, au sujet de la distance entre signe et référent. C'est surtout la narratologie qui a été le lieu d'un échange suivi et fécond entre études littéraires et études filmiques. Développée dans le sillage des travaux de Gérard Genette, cette discipline a rapidement trouvé son pendant cinématographique, porté par des chercheurs comme André Gaudreault et François Jost. La narratologie filmique partage avec son aînée littéraire des questions ayant trait à la construction du récit, à la temporalité ou à la focalisation, qu'elle réarticule au regard du matériel sémiotique qui est le sien. Elle complète les notions héritées par ses propres concepts[23], tel celui d'ocularisation, dont François Jost indique la possible application dans l'analyse du récit littéraire[24].


C'est à présent autour des concepts d'intermédialité et de transmédialité que se développent de nouvelles perspectives théoriques. Un des objets privilégiés de ces recherches constituent les séries télévisées et plus généralement culturelles, emblématiques d'une époque où les récits se déclinent de manière transversale sur différents supports (littérature, bande dessinée, cinéma, télévision, jeux vidéo). Prolongeant les réflexions de Philippe Marion sur le récit médiatique et celles d'André Gaudreault sur la dimension intermédiale de la narratologie[25], Raphaël Baroni appelle à l'instauration d'une narratologie transmédiale[26], qui serait à même d'élargir le périmètre d'une discipline longtemps cantonnée à l'étude du récit écrit, et plus spécifiquement du récit de fiction. Comme l'auteur le précise, il s'agit dès lors de refonder « des concepts transversaux suffisamment souples pour s'adapter à n'importe quel média, tout en réfléchissant à la manière spécifique dont chacun d'entre eux s'incarne médiatiquement[27] ».


Rappelons encore que l'idée d'une continuité des pratiques discursives par-delà les frontières entre les supports matériels se retrouve également dans la théorie littéraire et dans l'analyse du discours. Les travaux issus de ces disciplines s'appuient de plus en plus souvent sur des corpus transversaux, incluant aussi bien des textes écrits que des sources sonores ou audiovisuelles, comme en témoigne de récentes études portant sur l'entretien médiatique[28] et sur sa (conditionnelle) littérarité[29]. Cette hybridation croissante des pratiques pose plus fondamentalement la question de la transmédialité des genres discursifs, manifeste aussi bien dans le cas de l'entretien que dans d'autres formes historiquement cristallisées telles que la biographie[30], mais dont la théorisation affronte l'écueil délicat de l'hétérogénéité des cadres disciplinaires. Loin d'être un phénomène lié au contexte médiatique le plus actuel, la porosité entre formes d'expression littéraires et audiovisuelles a déjà été relevé par Gérard Genette. Des productions audiovisuelles telles que des entretiens télévisés trouvent en effet mention dans sa théorie de la transtextualité[31]. Elles y figurent comme éléments du paratexte, plus précisément de l'épitexte public, en tant qu'elles fournissent un métadiscours accompagnant ou une performance verbale prolongeant l'œuvre écrite. Il est significatif que les dernières pages de Seuils (1987) se terminent sur l'évocation de cette « mine d'informations paratextuelles[32] » que constituent les enregistrements de lectures données par des écrivains.


L'audiovisuel comme support : histoire et patrimoine


Parler de « mine d'informations » à propos de corpus d'enregistrements audiovisuels semble parfaitement adéquat au vu de la richesse et de l'extension des archives sonores et filmiques relatives à la vie littéraire qui se sont accumulées jusqu'à nos jours. En même temps qu'un agent de transmission, l'audiovisuel s'impose en effet comme un support de conservation et comme un opérateur de patrimonialisation. Des productions telles que des émissions littéraires télévisées, des documentaires ou encore des vidéos publiées sur des blogs personnels ou sur des sites web de maisons d'édition, initialement conçues dans un objectif de médiation et fréquemment liées à l'actualité éditoriale, se transforment en documents historiques et se voient investies de nouvelles significations. Comme le suggérait déjà Philippe Lejeune en 1980 : « il n'y aura plus besoin de fabriquer des archives, dans la mesure où la pratique quasi quotidienne d[es] nouveau[x] média[s] accumulera une masse d'information dans laquelle le problème sera de choisir[33] ». Cette mémoire, « alimentée à flux ouvert[34] » à l'heure de la collecte et du stockage informatisés des données et de l'introduction de lois prévoyant un dépôt légal de l'audiovisuel, canalise la temporalité éphémère de la diffusion à l'antenne ou en streaming dans un hors temps de l'archive. Elle recèle des données précieuses concernant de nombreux aspects de la production littéraire et des conditions sociales, historiques, socioprofessionnelles de l'exercice du métier d'écrivain. Dotés d'un intérêt à la fois contextuel, biographique, métadiscursif et paratextuel, ces sources gagnent une importance majeure au sein d'une nouvelle économie mémorielle et constituent, pour des chercheurs s'intéressant la littérature des XXe et XXIe siècles, des matériaux documentaires incontournables.


Ce potentiel heuristique demeure toutefois peu exploité par les études littéraires, bien que la diffusion des premiers documentaires consacrés à des écrivains remonte au début du XXe siècle (Ceux de chez nous de Sacha Guitry en 1915). Un des premiers, Roger Odin observe en 1990 que « l'histoire littéraire ne peut se dispenser de prendre en compte ce qui se passe dans le champ des médias[35] » et insiste sur la nécessité de considérer les sources audiovisuelles dans une perspective historiographique, mais sa voix aura tardé à se faire entendre. Sans doute faut-il y voir la conséquence d'une méfiance à l'égard de productions issues du secteur médiatique et par conséquent réputées pour leur souci de vulgarisation et leur quête du divertissement, voir entachées du soupçon d'obéir à des finalités principalement commerciales. On se rappelle que dans le champ disciplinaire de l'histoire, traditionnellement fondé sur l'étude de sources textuelles, il a fallu de longs efforts pour que l'audiovisuel soit pleinement reconnu comme document[36]. Ce n'est qu'au cours des deux dernières décennies que les œuvres sonores et filmiques ont acquis une véritable légitimité épistémologique. Cette évolution a sans doute aussi bénéficié du développement des technologies numériques qui facilitent considérablement la consultation et par conséquent l'analyse de ces objets. Reste à s'interroger sur la nature et sur les limites des connaissances auxquelles celles-ci peuvent objectivement donner accès ainsi que sur la méthodologie qu'appelle leur mobilisation, compte tenu de la complexité du dispositif énonciatif qui les sous-tend et des contraintes que le support de diffusion fait peser sur leur élaboration[37].


Au-delà de leur statut de source « passive », certaines productions audiovisuelles témoignent d'une volonté active de constitution de connaissances et de patrimonialisation de la littérature ; elles se chargeant d'une fonction mémorielle, documentaire ou encore pédagogique traditionnellement attribuée à l'écrit. On observe en effet une véritable migration de dispositifs éditoriaux vers le support filmique, pendant que les rayons réservés aux documents audiovisuels dans les médiathèques – y compris universitaires – s'allongent à vue d'œil. Outre la catégorie des films documentaires qui prolongent le modèle des monographies écrites, on pense à la série d'entretiens des Archives du XXe siècle (1968-1974), conçue explicitement dans le but de sauvegarder l'image et la voix de personnalités ayant marqué le siècle finissant ; à la collection de documentaires Un siècle d'écrivains (1995-2001) qui reconduit la formule des collections de monographies illustrées de poche (Poètes d'aujourd'hui, Écrivains de toujours...) ; ou encore à une Histoire de la littérature française publiée sur DVD[38]. De même, dans la continuité de la vague des anthologies sonores ou radiophoniques, le mouvement d'extension de la poésie hors du livre[39] se poursuit à travers la publication d'une première anthologie filmique de poésie : l'Anthologie vidéo de la poésie en Suisse romande (2018-2019). Des supports audiovisuels se voient ainsi confier la mission de faire revivre, au second millénaire, l'héritage littéraire des siècles passés, de perpétuer la connaissance des œuvres et de leurs auteurs à une époque où les modes de conservation et de diffusion de savoir se déplacent progressivement de l'imprimé vers l'écran.


*


Nous avons indiqué, en ouverture, la forte dynamique de transformation qu'ont connu la notion, le concept et le champ de production audiovisuels au fil des décennies. La diversité des intersections qui se dessinent par rapport à la littérature — concernant manifestement un grand nombre d'aspects institutionnels et critiques, et donnant lieu à des recherches très actives aujourd'hui — est à l'image de cette complexité. Au-delà des fluctuations historiques et de la variabilité de l'extension terminologique, on notera la manière paradoxale dont l'audiovisuel, du point de vue des fonctions qui lui sont assignées, se situe par rapport à la valeur symbolique attachée à la littérature et à l'idée de culture légitime que cette dernière incarne. Une même œuvre audiovisuelle, outre le fait d'exemplifier l'hybridation croissante des pratiques discursives, apparaît tantôt comme symptôme de la fin de la primauté culturelle de la littérature, tantôt comme document mémoriel doté d'une valeur patrimoniale et garante de la perpétuation de la culture littéraire à l'époque contemporaine. Ainsi, le studio d'Apostrophes, s'il est fréquemment dépeint comme le théâtre d'un asservissement de l'écrivain aux impératifs médiatiques et d'une réduction du livre au statut de marchandise, fait désormais figure de lieu de mémoire.


Ces tensions, qui témoignent une fois de plus de la difficulté de constituer l'audiovisuel en un objet théoriquement conceptualisable et historiquement descriptible, doivent avant tout être considérées comme résultantes d'une évolution conjointe des régimes socio-symboliques et des contextes culturel, technique et scientifique. Elles confirment que le contenu d'un document audiovisuel ne saurait être analysé au regard de ses simples propriétés sémiotiques et matérielles ; aussi bien sa création que son interprétation sont conditionnées par le cadre de production et de réception, par les traditions discursives, médiatiques et artistiques dans lesquelles il s'inscrit, ainsi que par les concepts mobilisés pour l'appréhender – autant de facteurs qui fluctuent dans le temps et selon les éclairages disciplinaires. C'est dire que les observations actuelles sont loin d'être définitives et que la prise en compte de cette constellation plurielle et mouvante doit constituer la base de toute démarche d'analyse.



Sélina Follonier (Doctorante à l'Université de Lausanne)


Mis en ligne dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula en octobre 2019.



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[1] Jacques Aumont et Michel Marie (dir.), Dictionnaire théorique et critique du cinéma, 2e édition, Paris, A. Colin, 2008, p. 22.

[2] André Malraux, « Audio-visuel, mai-juin 1975 », cité dans Jean-Louis Jeannelle, Cinémalraux : essai sur l'œuvre d'André Malraux au cinéma, Paris, Hermann, 2015, p. 147.

[3] Voir les travaux de Régis Debray, et en particulier le Cours de médiologie générale (1991). Rappelons que, chez Debray, la vidéosphère constitue la troisième des médiasphères qu'a connu l'histoire de l'humanité ; elle fait suite à la logosphère et à la graphosphère. Louise Merzeau a plus récemment proposé de compléter cette périodisation par une hypersphère correspondant à l'ère numérique.

[4] Gilles Delavaud, « Historique du terme “audiovisuel” », in Pascale Cassagnau, Isabelle Giannattasio, Marc Vernet (dir.), Archimages 2010 : de la création à l'exposition : les impermanences de l'œuvre audiovisuelle : actes du colloque des 17-19 novembre 2010, aaar.fr/wp-content/uploads/2010/11/122209_actes_archimages_2010.pdf [consulté le 22 août 2018], p. 25-28.

[5] Voir Michel Chion, L'Audio-vision : son et image au cinéma, Paris, A. Colin, 2013, [1990].

[6] Jacques Florent (éd.), Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2018, p. 115.

[7] Ce que l'on désigné communément par archive audiovisuelle regroupe le plus souvent des sources sonores et des sources audiovisuelles proprement dites, étant donné que les deux émanent pour la plupart des mêmes organismes institutionnels (entreprises de radio-télédiffusion) et impliquent des enjeux de conservation similaires.

[8] On notera à ce propos que Le Récit cinématographique (1990), ouvrage de référence dans le domaine de la narratologie du cinéma, signé d'André Gaudreault et de François Jost, a vu l'intégration progressive de questionnements liés à la télévision, voire aux jeux vidéo. Si la troisième édition, parue en 2017, maintient le titre de l'édition originaire, elle le complète par le sous-titre « films et séries télévisées », et les auteurs précisent dans l'introduction que le « “récit cinématographique” [...] désigne en l'occurrence plus généralement le “récit audiovisuel” – expression que nous aurions d'ailleurs pu utiliser pour parler de la catégorie d'ensemble, comme cela se fait de plus en plus ». (André Gaudreault et François Jost, Le Récit cinématographique : films et séries télévisées, 3e édition revue et augmentée, Malakoff, A. Colin, 2017, p. 12.) D'autres auteurs – libres quant à eux de toute contrainte découlant de la fidélité au titre d'une édition antérieure – optent d'emblée pour cette dernière expression, tel Pierre Beylot avec Le Récit audiovisuel (2005).

[9] À ce propos, nous nous référons à l'article de Pascal Krajewski, « Qu'appelle-t-on un médium ? », Appareil, 2015, journals.openedition.org/appareil/2152 [consulté le 6 octobre 2019].

[10] À part les nombreux ouvrages traitant de manière globale des relations entre littérature et cinéma (Jeanne-Marie Clerc, Littérature et cinéma, 1993 ; Francis Vanoye (dir.), Cinéma et littérature, 1999 ; et plus récemment Jean Cléder, Entre littérature et cinéma : les affinités électives, 2012, pour n'en citer que quelques-uns), les études se sont principalement focalisées sur la question des adaptations cinématographiques d'œuvres littéraires ainsi que sur celle de l'influence réciproque entre les deux arts. Depuis quelques années, on assiste à un renouvellement et à une diversification des angles d'approche, dont témoignent par exemple le dossier « Écrivains-cinéastes » (Fixxion, n° 7, 2013) dirigé par Jean-Louis Jeannelle et M. C. Flinn, un numéro de Fabula LhT consacré à la poésie dans le cinéma, intitulé « Un je-ne-sais-quoi de “poétique” » (dir. Nadja Cohen et Anne Reverseau, 2017) ou encore un récent numéro de la revue Études françaises, « Écrire après le cinéma » (dir. Jan Baetens et Nadja Cohen, 2019), qui explore les effets du cinéma sur la littérature sous l'angle particulier du rôle du cinéma dans certaines évolutions du système des genres littéraires.

[11] Devenue un véritable lieu de mémoire de la culture française, cette émission a fait l'objet d'une étude monographique. Voir Sophie de Closets, Quand la télévision aimait les écrivains : Lectures pour tous, 1953-1968 (2004).

[12] Patrick Tudoret, De la paléo-télévision à la sur-télévision : vie et mort de l'émission littéraire (2007) ; Maria Pourchet, Faces et envers des écrans de la littérature, 1950-2007 : archéologie d'un monde du discours : images, acteurs et publics de télévision (2009) et Frédéric Delarue, À la croisée des médiations : les émissions littéraires de la télévision française de 1968 à 1990 (2010).

[13] Voir, entre autres, les travaux de Nathalie Heinich, ainsi que, en ce qui concerne l'aspect iconographique, ceux de David Martens et d'Anne Reverseau.

[14] Sylvie Ducas, « À défaut de génie... : la panthéonisation de Bernard Pivot », Communication et langages, n° 135, 2003, « Littérature et trivialité », p. 81.

[15] Il s'agit sans doute d'une des questions les plus largement débattues en matière de relations entre littérature et télévision. Mais les diverses études menées ce sujet ne parviennent pas à dépasser un paradoxe foncier : la télévision se présente aussi bien comme un outil indispensable pour la promotion du livre et de la lecture auprès d'un vaste public que comme une concurrence pour la littérature et les formes de « culture classique » qu'elle menace de supplanter.

[16] Alain Viala, « L'histoire des institutions littéraires », in Henri Béhar et Roger Fayolle (dir.), L'Histoire littéraire aujourd'hui, Paris, A. Colin, 1990, p. 122. L'auteur propose une typologie des institutions littéraires divisée en trois catégories : les institutions littéraires proprement dites (genres, codes collectifs d'écriture...), les institutions de la vie littéraire (académies, groupes, prix...) et les institutions supralittéraires (l'École, l'Église, les salons, la Cour, les médias...) regroupant des « instances sociales à autorité communément reconnue et qui incluent “du littéraire” parmi d'autres objets et disciplines » (Idem.).

[17] Voir Jérôme Prieur (dir.), « Littérature et télévision », Les Dossiers de l'audiovisuel, n° 29, 1990. Quelques années plus tard, un second numéro thématique de revue, dirigé par Pierre Beylot et Stéphane Benassi, a paru sous un même titre, dans la revue Cinémaction (n° 79, 1996).

[18] Céline Pardo, « Poésie et télévision : la rencontre rêvée », in Stéphane Hirschi, Corinne Legoy, Serge Linarès, Alexandra Saemmer, Alain Vaillant (dir.), La Poésie délivrée, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017, p. 539-551.

[19] Voir notamment un épisode de l'émission Le Métier d'écrire, diffusé le 29 septembre 1985, visant à reproduire, par un mimétisme intermédial, un dispositif livresque.

[20] Jean-Louis Jeannelle, Cinémalraux : essai sur l'œuvre d'André Malraux au cinéma, Paris, Hermann, 2015, p. 55.

[21] Ibid., p. 43.

[22] Voir Noël Nel, « Les dispositifs télévisuels », in Jérôme Bourdon et François Jost (dir.), Penser la télévision : actes du colloque de Cerisy, Paris ; Bry-sur-Marne, Nathan ; INA, 1998, p. 59-73 ; et Jérôme Bourdon, Du service public à la télé-réalité : une histoire culturelle des télévisions européennes, 1950-2010, Bry-sur-Marne, INA, 2011.

[23] Pour ce qui est du rapport entre récit littéraire et récit filmique, voir notamment André Gaudreault et François Jost, Le Récit cinématographique (1990) ; André Gardies, Le Récit filmique (1993) ou Pierre Beylot, Le Récit audiovisuel (2005), ainsi qu'André Gaudreault, Du littéraire au filmique (1988) et Francis Vanoye, Récit écrit, récit filmique (1991).

[24] François Jost estime que « [t]out roman peut se prêter à une analyse narratologique en termes d'ocularisation et de focalisation ». (François Jost, L'Œil-caméra : entre film et roman, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1989, p. 135).

[25] Philippe Marion, « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication, n° 7, 1997, p. 61-88 ; André Gaudreault, « Pour une approche narratologique intermédiale », Recherches en communication, n° 11, 1999, p. 142.

[26] Raphaël Baroni, « Pour une narratologie transmédiale », Poétique, n° 182, 2017, p. 155-175.

[27] Ibid., p. 155.

[28] Voir par exemple le livre de Galia Yanoshevsky consacré à l'entretien littéraire : Galia Yanoshevsky, L'Entretien littéraire : anatomie d'un genre, Paris, Classiques Garnier, « Études de littérature des XXe et XXIe siècles », 2018.

[29] À ce sujet, voir en particulier l'article de David Martens et de Christophe Meurée, « Ceci n'est pas une interview : littérarité conditionnelle de l'entretien d'écrivain » (Poétique, n° 177, 2015).

[30] Nous avons tenté de réfléchir à cette question dans « La biographie d'écrivain à l'écran : entre figuration documentaire et façonnement médiatique », in Marion Brun et Marie-Clémence Régnier (dir.), Portraits et autoportraits d'écrivains sur écrans (cinéma, audiovisuel, web), à paraître.

[31] D'autres chercheurs proposent, en parlant précisément d'entretiens télévisés, de compléter la typologie genettienne par la notion de médiatexte. Voir Pascal Lardellier et Vanessa Lattès, « Les émissions littéraires à la télévision : ambiguïtés du “médiatexte” », Communication et langages, n° 119, 1999, p. 24-37.

[32] Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, « Poétique », 1987, p. 340.

[33] Philippe Lejeune, Je est un autre : l'autobiographie de la littérature aux médias, Paris, Seuil, « Poétique », 1980. p. 114.

[34] Emmanuel Hoog, L'INA, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 109.

[35] Roger Odin, « L'histoire littéraire et les médias », in Henri Béhar et Roger Fayolle (dir.), L'Histoire littéraire aujourd'hui, op. cit., p. 56.

[36] À ce sujet, voir Jean-Noël Jeanneney, « Audiovisuel : le devoir de s'en mêler », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 147-163.

[37] Ces questions commencent à être examinées dans différentes institutions archivistiques ainsi que dans le contexte académique, entre autres à travers des enquêtes relatives au patrimoine audiovisuel de la littérature, menés dans le cadre des activités du Centre d'archives Gaston-Miron de l'Université de Montréal ou encore dans le cadre d'une thèse de doctorat actuellement préparation à l'Université de Lausanne (Selina Follonier, Vers une histoire audiovisuelle de la littérature, sous la direction de Jérôme Meizoz et de François Vallotton).

[38] Jean d'Ormesson et Olivier Barrot, Histoire personnelle de la littérature française, Paris, Éd. Montparnasse, 2009. Conçue selon un dispositif dialogal, cette rétrospective éditée en sept DVDs se propose de retracer un millénaire d'histoire littéraire, depuis Chrétien de Troyes jusqu'à Roland Barthes et Michel Foucault.

[39] Nous empruntons cette expression au titre d'un récent ouvrage de Céline Pardo : La Poésie hors du livre (1945-1965) : le poème à l'ère de la radio et du disque, Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, « Lettres françaises », 2015.




Selina Follonier

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Dernière mise à jour de cette page le 20 Janvier 2020 à 8h38.