Essai
Nouvelle parution
W. Marx, Vie du lettré

W. Marx, Vie du lettré

Publié le par Florian Pennanech

Compte rendu publié dans Acta fabula : "Vingt-quatre heures de la vie d'un lettré ou la vie secrète du lettré : un essai de biographie collective" par Marie Gueden et "Portrait de l'intellectuel en sinthome" par Alexandre Gefen.

William Marx, Vie du lettré, Paris, Éditions de Minuit, coll. "Paradoxe", 2009, 244 p.

ISBN : 978-2-7073-2072-8

Prix : 18 €

Présentation de l'éditeur :

Ils lisent des textes, les rassemblent, les éditent, les commentent,les transmettent aux générations futures, produisent à leur tourd'autres textes : ce sont les lettrés, apparus parmi nous voici déjàquelques millénaires. Voués à l"écrit, ils forment le socle d'unecivilisation, en garantissent la continuité, mais participent aussi àsa contestation. Le plus souvent invisibles ou méconnus, ils composentune communauté secrète, reliée à travers les temps et les lieux par desrites partagés, des habitudes analogues, des affinités mystérieuses.
Quisont-ils ? Comment vivent-ils ? Où habitent-ils ? Que mangent-ils ? Àquelles amours s'adonnent-ils ? Comment naissent-ils et meurent-ils ? Àtoutes ces questions et à bien d'autres, ce livre apporte des réponsesprécises et concrètes. Il peut se lire comme la description d'un mythefondateur des civilisations à écriture, de Confucius à Barthes, enpassant par Cicéron, Pétrarque et Freud. Mais peut-être vaut-il mieuxle prendre comme une invitation à se détacher de l'existence ordinaire,pour entrer dans un autre rapport au monde et au temps. C'est un manuelde savoir-vivre. Ou de savoir-livre.

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Voir sur le blog de F. Ferney un billet sur ce livre…

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Dans Le Monde des livres du 21/3/9, on pouvait lire un article de R. Solé sur cet ouvrage:

Critique "Vie du lettré", de William Marx : des vies entières dans les livres LE MONDE DES LIVRES | 20.03.09 |

Non,nous ne "dévorons" pas les livres : ce sont eux qui nous dévorent,prenant notre temps, mangeant notre espace et occupant notre esprit.Certaines victimes consentantes poussent très loin le sacrifice,finissant par ordonner toute leur existence autour de la chose écrite.William Marx les appelle "les lettrés".

35326534393030383437353938663730?&_RM_EMPTY_ Ils ne sont pas nécessairement écrivains. Unlettré se situe du côté du lecteur plutôt que de l'auteur : il asacrifié sa vie pour faire entendre la parole d'autrui. Souvent, uneparole ancienne, qu'il doit rendre accessible à ses contemporains. Car "le passé ne se transmet pas de lui-même, il faut l'y aider", l'apprivoiser, le réinventer en quelque sorte : "Lelettré jette des ponts par-dessus les époques ; il rend accessible lepassé ; il le reconfigure à la lumière des exigences du présent."

Normalien,professeur de littérature française et comparée à l'universitéd'Orléans, après avoir enseigné notamment aux Etats-Unis et au Japon,William Marx s'était déjà distingué en dissertant sur Les Arrière-gardes au XXe siècle (PUF, 2004) ou en déclarant L'Adieu à la littérature (Minuit, 2005), qui se serait autodétruite au XIXe siècle en s'autonomisant et se repliant sur elle-même.

Cettefois, il aborde l'histoire littéraire de manière encore plusaudacieuse, en nous promenant dans l'espace et dans le temps. Sousl'appellation non contrôlée de "lettré", il regroupe desindividus d'époques et de cultures différentes - du scribe égyptien àl'intellectuel parisien post-soixante-huitard -, leur supposant uneposture commune. C'est parfois tiré par les cheveux, souvent déroutant,mais toujours intelligent et formulé de manière brillante.

Par exemple, il vous assène que "les lettrés sont des gens de nuit".Ah bon ? Nous en connaissons beaucoup qui sont du matin, et ce devaitêtre tout aussi vrai du temps de Cicéron, de Confucius ou de Zola. MaisWilliam Marx balaye nos réticences deux pages plus loin en remarquantque le lettré n'est pas celui qui sait : "Il est celui qui veut savoir et sacrifiera pour cela, s'il le faut, le temps de son sommeil."

VAGABONDAGE ÉRUDIT

Neprenons donc pas ce livre pour un essai scientifique, même sil'appareil de notes et la bibliographie peuvent en donner l'illusion.C'est un vagabondage érudit, tout en finesse, avec des exemplesinattendus et des rapprochements séduisants, sinon toujoursconvaincants. A travers vingt-quatre chapitres, l'auteur parcourt lavie d'un lettré imaginaire, qui incarnerait tous ses semblables, de lanaissance à la mort.

A en croire William Marx, le cabinet d'étude de tout lettré "recouvre la structure, la fonction et l'idéal d'un jardin". A moins que ce ne soit le contraire, puisque l'on y travaille, s'y délasse et y croît indifféremment. D'ailleurs, "le mot culture ne dit pas autre chose qu'une certaine augmentation de l'être, commune à la plante et à l'esprit".Vous ne marchez pas ? Admettez au moins que tout lettré a besoin demarquer son espace de travail et de le mettre en scène. Regardez-les'entourer de divers accessoires, nécessaires à son inspiration ou saconcentration, et demandez-vous pourquoi il le fait. "Le toucher d'un papier fin ou la vue d'un bel objet, remarque l'auteur, forment autant de compensations sensibles à l'abstraction desséchante des métiers de l'esprit."

Lechapitre sur la mélancolie nous balade d'Aristote à Valéry, en passantpar Erasme, Shakespeare ou Nietzsche. Choisit-on l'étude parce qu'onest mélancolique ou devient-on mélancolique à force d'étudier ? En toutcas, travail intellectuel et mélancolie semblent se renforcermutuellement. Un lettré (mais comment ce mot s'accorde-t-il au féminin?) ne vit pas entièrement dans son propre temps. Sa mélancolie vientsans doute de son sentiment "d'appartenir aux marges des siècles"...

Les lettrés, nous dit William Marx, sont à la fois le socle d'une civilisation et ce qui la menace. Car "rien n'est plus révolutionnaire que le passé" qui, en revenant, peut détruire le présent.

Les guerres, elles, détruisent... les lettrés, faisant des ravages dans leurs rangs. "En 1919, on recensa450 écrivains français "morts pour la patrie", soit beaucoup plus de450 livres qui ne virent jamais le jour. A côté des cimetièresmilitaires devraient se dresser les bibliothèques des ouvrages qui nefurent jamais écrits et dont les auteurs reposent sous la dalle."

Celadit, les lettrés ne meurent jamais tout à fait, puisqu'ils laissent destextes, un enseignement, des lecteurs, voire des disciples. Ilssurvivront à Internet, comme ils ont survécu à l'imprimerie : WilliamMarx nous l'assure, sans le démontrer. Mais on ne demande qu'à lecroire.

VIE DU LETTRÉ de William Marx. Minuit, "Paradoxe", 240 p., 18 €.
Robert SoléArticle paru dans l'édition du 21.03.09