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Visage de l’humain dans les fictions littéraires et cinématographiques contemporaines : enjeux et défis (revue Mosaïques)

Visage de l’humain dans les fictions littéraires et cinématographiques contemporaines : enjeux et défis (revue Mosaïques)

Publié le par Marc Escola (Source : Ecole Normale supérieure de l'Université de Maroua)

Visage de l’humain dans les fictions littéraires et cinématographiques contemporaines : enjeux et défis

 

Le plus grand défi de l’art contemporain repose sur la « poétisation », c’est-à-dire la conception, l’invention ou la transformation des signes. L’humain figure parmi les signes les plus manipulés et transformés par l’imaginaire. Signe certes non linguistique, le personnage  ou l’acteur connaît de perpétuelles transfigurations qui tentent de l’éloigner, si elles ne l’éloignent pas déjà, de l’humain, de l’humanisme et de l’humanité dans les fictions littéraires et cinématographiques au point de susciter des interrogations quant à l’intentionnalité d’une telle déconstruction qui touche finalement à la déconsidération. Courante aujourd’hui, cette pratique littéraire et cinématographique sur l’Homme (actant, acteur) prend source chez Nicolas Boileau (1969). Elle s’explique non plus par la simple volonté de l’homme de se faire Dieu et de re-créer le monde, mais plutôt par l’orgueil de l’artiste de le défier, de s’y opposer et de s’inventer un univers autre. Cette posture a évolué avec le Nouveau Roman et la pensée postmoderne, à ce que Jacques Prévert désignait déjà comme un « ordre nouveau », fondé sur la transgression, la décomposition, la dislocation et la démesure, phénomène que Jacques Derrida (1979)  désigne comme la théorie du déconstructivisme. D’ailleurs, selon Coussy (2000 : 53), « l’évolution de la représentation de l’homme est foudroyante, la figure du personnage moderne perd son prestige ». Et selon Guillebaud (1995) nous sommes à l’ère où l’« individu autosuffisant et prioritaire se déconstruit sur le moi devenu fou ». Il devient aisé de constater que cette forme de sujet marque « une levée de l’ordre archaïque  de la loi de l’interdit » (Lipovetsky, 1983 : 20).

Plus rien n’est défendu, sacré, prohibé ; l’être humain semble avoir une totale liberté, sauf que cette dernière prête à confusion et entraîne l’humanité vers des choix absurdes et parfois contraires à la pensée humaniste. En suivant Gontard (1999 : 66) « les contradictions entre le procès d’émancipation de l’homme par la raison et la modernisation avec son impératif technico-économique de rationalisation ont fait éclater le sujet collectif des lumières en particules individuelles dont le comportement régi par les lois d’attraction du désir ». Dans ce contexte, il devient facile d’accorder du crédit à la thèse de Nathalie Sarraute qui désigne cette période par « l’ère du soupçon », car l’évidence des faits dans la littérature et le cinéma aujourd’hui nous rapproche d’une telle position.

De la sorte, nous observons comment l’Homme, hier communément défini comme valeur suprême, devient désuet, polémique, ou tout simplement insignifiant. Est désormais mis à mal la théorie Sausurienne du rapport signifiant/signifié. Ainsi s’explique la propension des phénomènes comme le néologisme, la polysémie et l’asémantisation en linguistique. Au plan non linguistique, le signe cinématographique et littéraire qu’est l’Homme fait parfois l’objet de nouvelles créations, de représentations dénigrantes et étranges. Pire encore, l’Homme est confondu à la chose, remplacé par l’objet ou tout simplement privé d’existence par l’intelligence informatique. Il est alors impératif de parcourir la littérature et le cinéma, principaux médias de diffusion et de vulgarisation du signum humanum afin d’asseoir une méthode qui permettrait sa lecture dans le contexte de ses nouvelles formes d’apparition.

Il semble évident que les signes littéraires et artistiques, tels qu’ils se présentent aujourd’hui, tentent d’échapper – s’ils n’échappent déjà pas – à des méthodes classiques d’analyse, la sémiotique ou la sémiologique, la psychanalyse, la sémantique, la sociocritique, et la thématique. L’on comprend pourquoi certains théoriciens ont la présence d’esprit de compenser les limites de certaines approches en leur associant d’autres, dans le but de palier aux limites épistémologiques, c’est dans cette logique qu’il faut comprendre l’avènement de la sociopoétique (Alain Viala, Alain Montandon), la sémiostylistique (Georges Molinié), la sociohistoire (Paul Ricœur), la sociopragmatique, etc.

À ce jour, au triple sens de création, d’embellissement et de mise en forme de l’expression, la poétique des signes est une réalité qui s’impose dans la littérature et le cinéma comme une nouvelle vision du monde. Il ne s’agit plus de s’éterniser sur « un statut sémiologique du personnage » (Hamon, 1977), mais de considérer que la littérature et le cinéma contemporains nous entraînent vers un nouveau statut sémiologique du monde à travers la création. Il devient impératif de se tourner vers une approche complète et efficace qui permettrait de rendre simultanément compte des stratégies de production de nouveaux signifiants, de les analyser et de comprendre les signifiés figurés. L’approche qui prendrait alors en charge l’analyse et l’interprétation de la poétique des signes et leur investissement sémantique ou sémiologique sera alors appelée la « sémiopoétique ».

Envisager une telle approche revient à considérer l’art comme un espace de construction ou de mobilisation des signes, un discours sur les signes et une occasion de la rencontre des signifiants souvent éloignés des signifiés communément admis, conventionnels et reconnus. Autrement dit, l’art se réduit à un investissement sémiologico-sémantique, consciemment ou inconsciemment déployé à des fins idéologiques. Ainsi, l’acharnement du poète sur le signe a un rétro-effet, la tentative de corrompre le récepteur, conditionné par un encodage programmé. Il s’ensuit donc que toute étude sémiopoétique aura pour vocation de s’intéresser aux deux pôles artistiques que sont le discours  et sa finalité. Le signum étant ce qui établit le contact entre l’artiste et le public, une description approfondie de ses types et de leurs formes comme voulus par un écrivain ou un cinéaste conduit à la lisibilité des intentions de l’encodeur, ainsi qu’à l’effet attendu du récepteur. 

 En effet, les fictions contemporaines font de l’Homme un signe privilégié, régulièrement mis dans des situations horribles. Elles refusent de s’arrimer à la considération de l’Humain comme une entité supérieure, proche de la divinité. Le rapprochement de l’Homme avec le sacré remonte à des fictions très anciennes comme les mythes de sa création (la Bible, la mythologie grecque, la mythologie romaine, etc.), les épopées, les légendes. Dans la littérature gréco-romaine par exemple, l’on observe un clivage entre les humains et les divinités, voilà pourquoi les héros antiques sont classés en trois ordres : les divins, les semi-divins et enfin les humains. Dans cette perspective, l’Homme n’était qu’un mortel aux côtés de Zeus dans la mythologie Grecque, Jupiter dans la mythologie romaine, car il est le fruit d’une union entre les déesses, les nymphes et les mortelles. Sa représentation dans la littérature et autres fictions non littéraires donnait sa grandeur et lui restituait toute la dignité liée à ses origines, d’où l’usage du terme « héros ».

À l’époque contemporaine, les rapports entre l’Homme, son semblable et l’environnement ne reflétaient véritablement plus la rationalité qu’il incarnait. L’avènement des guerres meurtrières, des génocides, des attentats suicides et autres atteintes à la vie s’étant multipliés comme des occasions de l’horreur. Le besoin de représentation de ces pratiques dans les littératures et le cinéma est soumis aux rôles tenus par des sujets maudits, méchants et inhumains, controversés et dangereux. La révolution scientifique et technologique au XIXe siècle a certes apporté des facilitations à l’Homme dans ses activités et ses besoins de survie, mais elle semble avoir porté un coup à la valeur humaine. Les machines, les robots, les poupées sexuelles et l’intelligence artificielle ou informatique ont pris la place de l’Homme. Il est devenu un objet d’expérimentation scientifique.

Des chercheurs tentent même de créer l’humain (bébés éprouvettes) à travers diverses manipulations de l’ADN, la mémoire humaine est substituée par l’ordinateur, le matériel passe avant l’humain, bref l’Homme perd sa posture privilégiée. Du héros légendaire, l’on est parvenu au héros vulgaire, démonique, négatif (Lukács et Goldman), voire à « l’homme sans qualités » (Musil, 1956), de sorte que la fin du XXe et le début du XXIe siècles apparaissent comme des points culminants de la déshumanisation et de la production de l’horreur. Aussi, y a-t-il lieu d’interroger ce qui reste de l’Homme et les visages qui en sont produits dans la littérature et le cinéma depuis la fin du XXe siècle. Sous quels visages l’humain apparaît-il dans la littérature et le cinéma du XXIe siècle ? Autrement dit, les travestissements et les substitutions de l’humain dans la littérature et le cinéma ne concourent-ils pas à la déshumanisation du monde ? L’horreur qui traverse le monde depuis le début du XXIe siècle ne s’explique-t-il pas comme un signe de banalisation de l’humain au profit de substituts technologiques, plus économiques et plus rentables ?

En réalité, l’engagement de certains artistes et de plusieurs organisations en faveur de l’humain et de sa dignité signifie que l’humanité est menacée. Les peintures de l’humain dans la littérature et le cinéma  depuis la fin du XXe siècle laissent voir une réalité opaque et tragique qui exige une analyse profonde des enjeux et des défis de la révolution  des signes représentatifs de l’humain. La littérature et le cinéma, depuis la fin du XXe siècle s’appuient sur la dégradation, la destruction et la disparition de l’humain dans des circonstances atroces et macabres comme la guerre, le terrorisme, les attentats suicides, les drames maritimes, aériens ou terrestres et les pandémies pour exprimer la dévalorisation de l’humain. Par ailleurs, les évolutions scientifiques et technologiques offrent des occasions de substitution de l’humain, pratique déjà présente dans la littérature et le cinéma. Des questions et des hypothèses non exhaustives ainsi formulées orientent la réflexion vers l’ensemble de signes et des formes de représentation de l’humain dans la littérature et dans le cinéma depuis la fin du XXe siècle. Elles poussent également le chercheur à décrypter les enjeux de la mobilisation des signes de la décomposition, la déconstruction et la dépréciation démesurée  de l’humain. Une étude contrastive dans la perspective de l’intermédialité, de l’imagologie ou de la transdisciplinarité serait la bienvenue, car elle permettrait d’analyser les variances perceptives de l’humain dans la littérature et le cinéma. Les axes suivants pourraient être abordés :

- l’intelligence informatique et le robot dans les discours littéraires du XXIe siècle ;

-la dégradation de l’humain dans les pratiques socioculturelles en littérature et au cinéma ;

- les discours et les techniques de substitution de l’humain ;

- la déshumanisation par l’horreur ;

- les figures et les fonctions des substituts de l’humain ;

- révolution, multiplication des signifiants de l’humain ;

- les sémantiques lexicale et grammaticale de l’humain ;

- lecture comparée des figures de l’humain dans la littérature et le cinéma ;

- la dissolution de l’individu au profit de la société ;

- etc.

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Les propositions de contribution (résumé de 300 à 400 mots) sont attendues au plus tard le 14 février 2021 à l’adresse suivante : fibernard2@yahoo.fr

Quelques repères du chronogramme :

  • 14 février 2021 : délai de recevabilité des propositions ;
  • 14 mars 2021 : réponse aux contributeurs ;
  • 14 juillet 2021 : délai de recevabilité des textes définitifs ;
  • 14 août 2021 : réponse aux contributeurs ;

octobre 2021 : publication.