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"Ulysse : un siècle, le monde entier", par Tiphaine Samoyault (en-attendant-nadeau.fr)

Publié le par Université de Lausanne

Ulysse : un siècle, le monde entier, par Tiphaine Samoyault

mis en ligne le 2 février 2022 sur en-attendant-nadeau.fr

Le 2/2/1922 paraissait Ulysses en anglais, à Paris, grâce à Sylvia Beach, à l’enseigne de Shakespeare and Company (12, rue de l’Odéon). C’était l’anniversaire de James Joyce, qui a eu quarante ans ce jour-là. Il était né le 2/2/1882. Le 2/2/2022, on fête ainsi le centenaire du roman et les cent quarante ans de Joyce. Tiphaine Samoyault, qui a participé à la retraduction collective d’Ulysse en 2004, prépare actuellement un livre sur sa relation à James Joyce intitulé Joyce, langue maternelle, à paraître dans le cours de l’année 2022.  Elle présente ici, en relation avec le centenaire, les raisons d’un succès mondial. 

Il y a plusieurs façons de penser l’émancipation littéraire. Elle peut être un arrachement au contexte et aux normes qui régissent à la fois la langue et un champ, qui prend alors le nom de l’avant-garde ou de l’autonomie. Mais l’émancipation peut être aussi plus radicale, en faisant exploser en même temps le concept d’autonomie par la mise en œuvre d’une lutte qui entraîne avec elle l’idée de littérature et tout le dispositif institutionnel qui la protège.

En devenant mondial, Ulysse s’est arraché à son ancrage national, mais aussi à sa position excentrée. En revanche, en créant autour de lui une nouvelle socialité, il a profondément transformé l’idée d’autorité littéraire.

Je propose de penser que l’œuvre de Joyce renverse par sa langue et sa politique l’idée même d’absolu littéraire alors même qu’en France elle a été placée sous la bannière de ce combat. Si, en situation postcoloniale, Joyce émancipe la langue et la nation, en France il affranchit du message. Pour Tel Quel, qui a le plus contribué à cet éclat français de l’écrivain, un roman de Joyce ne « dit » rien, il s’écrit. Même chose pour Robbe-Grillet. La récente publication de la correspondance croisée du groupe a permis de voir que c’est la lecture d’Ulysse qui conduit Alain Robbe-Grillet à vouloir écrire (il le dit clairement et en détail dans une lettre à Claude Ollier). Dans un entretien radiophonique avec Alain Veinstein en 1988, Claude Simon confie : « j’ai appris à lire dans Joyce et dans Faulkner ». Ce que l’on reconnaît alors à Joyce, c’est que l’équivocité du langage est première, et peu importe si, pour se faire entendre, il faut tendre vers une certaine univocité, que reconnaissent celles et ceux qui, finalement, s’attachent aux personnages. […]

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