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Théâtre & jeunesse au XIXe siècle (Cahiers Fablijes)

Théâtre & jeunesse au XIXe siècle (Cahiers Fablijes)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Amélie Calderone)

Théâtre et jeunesse au XIXe siècle

Les Cahiers Fablijes sont la revue du séminaire de recherche la Fabrique des littératures des jeunesses, animé par Marion Mas (INSPE-Lyon 1) et Amélie Calderone (IHRIM-CNRS), dont le premier numéro doit paraître à l’automne prochain. Ce groupe de travail entend, dans une perspective interdisciplinaire, mettre au jour et explorer le laboratoire esthétique et pédagogique que put être la littérature de jeunesse au XIXe siècle. Pour son troisième numéro, dirigé par Marine Wisniewski (Lyon 2 – IHRIM), la revue se propose d’explorer les rapports entre théâtre et jeunesse.

Dans l’ouvrage qu’elle consacre à Léon Chancerel, fondateur de l’une des premières troupes professionnelles de théâtre pour la jeunesse dans les années 1930, le Théâtre de l’Oncle Sébastien, Maryline Romain affirme : « Jusqu’au début du XXe siècle, en dehors du cirque, du guignol et des théâtres d’ombres, il n’existe pas en France de théâtre spécifique pour la jeunesse. L’enfant-spectateur découvre le théâtre en famille à travers le répertoire « tout public » (vaudeville, opérettes, mélodrames) des théâtres de boulevard et des troupes ambulantes[1] ». Nicolas Faure, auteur d’une thèse pionnière sur le théâtre de jeunesse contemporain, confirme ce propos, soulignant qu’avant le XXe siècle, l’enfant est « soit spectateur aux côtés des adultes, soit spectateur de ses pairs, c’est-à-dire d’autres enfants en représentation d’un théâtre pédagogique ou commercial[2] ».

Le théâtre d’éducation, né à la fin du XVIIe siècle sous l’influence de Mme de Maintenon à la Maison Royale de Saint-Cyr, et développé dans le cadre de pratiques scolaires, familiales ou de société au XVIIIe siècle[3], est un champ déjà bien exploré par la recherche universitaire[4], qui s’intéresse par ailleurs au théâtre de jeunesse contemporain, plus récemment érigé en objet critique[5]. Dans l’entre-deux, le XIXe siècle semble un peu ignoré. Dans l’ouvrage qu’ils consacrent à la littérature de jeunesse, Francis Marcoin et Christian Chelebourg n’évoquent que très brièvement le genre dramatique parmi la littérature dédiée à la jeunesse au XIXe siècle, affirmant que le théâtre de jeunesse est une notion « des plus récentes[6] ». Aucune œuvre citée dans la chronologie du XIXe siècle ne relève ainsi du genre dramatique, l’ensemble des productions envisagées appartenant au genre romanesque, qui triomphe alors et sur lequel se fonde l’élaboration d’un lectorat enfantin spécifique par le champ éditorial[7].

Est-ce à dire qu’il n’existe pas de répertoire dramatique et de pratiques théâtrales spécifiques à la jeunesse au XIXe siècle ? C’est que nous nous proposons d’interroger dans le troisième numéro de la revue en ligne les Cahiers Fablijes, faisant l’hypothèse que le XIXe siècle constitue un point de passage important, entre le théâtre d’éducation du XVIIIe siècle, qui se déploie dans une sphère bourgeoise essentiellement familiale et recouvre un enjeu d’édification bien identifié, et la constitution, au XXsiècle, d’une création dramatique professionnelle et diversifiée dédiée à la jeunesse, investissant des espaces et des enjeux nouveaux.

Dès le début du XIXe siècle, des théâtres sont en effet créés pour des troupes de jeunes gens, dont le jeu excède ainsi la sphère privée ou le cadre du théâtre de société, non sans mal, car la loi interdit aux enfants de moins de 15 ans de se produire sur scène et exige donc de nombreuses dérogations adressées à la censure. Le Théâtre des Jeunes-Artistes (1790-1807), le Gymnase enfantin (1829-1843) ou encore le Théâtre Comte (1820-1846), proposent des spectacles exclusivement joués par des enfants, tandis que d’autres établissements, comme le Théâtre de Séraphin, surnommé « Spectacle des enfants de France » à partir de 1781, affichent nettement le caractère spécifique de leur auditoire. Certaines salles de spectacle, comme le Théâtre de la Galerie Vivienne, proposent même à la fin du siècle des « matinées enfantines », exhibant par cette temporalité particulière, la différenciation de leur public.

Si le théâtre d’éducation connaît encore au XIXe siècle une certaine vitalité, au gré de pratiques de société qui en exploitent toujours le double enjeu récréatif et édifiant (Comtesse de Ségur, Comédies et Proverbes), souvent dans le cadre d’expériences scolaires (Jean Macé, Théâtre du Petit Château), les lieux se diversifient donc, ainsi que les supports, grâce au développement d’une presse spécialisée, qui convoque par ses titres un jeune public – Journal des enfants, Journal des jeunes personnes, Journal des demoiselles – et leur associe des enjeux explicites – on pensera au célèbre Magasin d’éducation et de récréation de Jules Hetzel. Si ces revues promeuvent essentiellement le roman sous la forme du feuilleton, on pourra interroger la place qu’y tient le théâtre et analyser le répertoire qu’elles proposent : quels genres sont présentés ? quels thèmes sont abordés ? quels enjeux les pièces ainsi publiées recouvrent-elles ? quel public enfantin spécifique visent-elles ? et quels discours ces pièces tiennent-elles sur l’enfance, mais aussi sur la société dans son ensemble ?

L’instauration d’espaces nouveaux – qu’il s’agisse de salles de spectacle ou de la presse spécialisée – amène à s’interroger sur les formes et les genres qui y sont pratiqués. Si les pièces d’ombres de Séraphin revendiquent un répertoire de « petites pièces enfantines[8] » et les spectacles de Guignol présentés dans les castelets des jardins publics semblent s’adresser tout particulièrement aux enfants[9], ces deux formes théâtrales que sont le théâtre d’ombres et la marionnette ne sont pas a priori exclusivement réservées à la jeunesse – les marionnettes satiriques de Duranty et les pièces d’ombres du cabaret du Chat Noir offrent deux contre-exemples éloquents. On peut dès lors se demander, en comparant les répertoires, ce qui justifie la restriction du public. Celle-ci repose-t-elle sur le choix de genres dédiés – le conte ou la comédie morale, par exemple –, de formes plus brèves, exploitant des éléments symboliques identifiés, ou encore sur un contenu thématique et moral spécifique ? Une porosité existe-t-elle entre les répertoires, permettant une polysémie du discours ?

Axes de réflexion

Quel(s) théâtre(s) pour la jeunesse au XIXe siècle ?

Nous proposons quelques pistes de réflexion non-exhaustives. Les propositions qui ne relèvent pas d’un de ces axes seront aussi examinées.

1 – Quels répertoires dramatiques spécifiques se constituent au XIXe siècle pour la jeunesse ? On pourra étudier la postérité du théâtre d’éducation, tout en envisageant les autres formes mises en œuvre et la diversité des genres pratiqués.

2 – Quels sont les enjeux de ce théâtre spécifique ? Porté par un souci d’édification morale et religieuse, de récréation mais aussi d’éducation, ce théâtre – et en particulier le théâtre publié dans la presse – joue-t-il un rôle de vulgarisation des savoirs ? Quel(s) discours sur la société tient-il ? Celui-ci est-il toujours corseté ou peut-on déceler un propos plus subversif ?

3 – Quels lieux spécifiques le théâtre dédié à la jeunesse investit-il ? Quelle est la temporalité propre de ces théâtres ? Comment cette temporalité influe-t-elle sur la représentation dramatique et son contenu ? Quelles sociabilités spécifiques implique-t-elle ?

4 – Quel intérêt la critique dramatique porte-t-elle aux pièces plus spécifiquement adressées aux enfants ? Existe-t-il une critique dramatique propre ?

5 – Comment se constitue l’idée même d’un public enfantin spécifique ? Existe-t-il des stratégies éditoriales, des discours qui participent à la construction de l’idée d’enfant-spectateur ?

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Les propositions d’article en français (environ 500 mots) ainsi qu’une courte bio-bibliographie seront à envoyer par courrier avant le 1er décembre 2021, conjointement à Marine Wisniewski (marine.wisniewski@gmail.com) et Amélie Calderone (amelie_calderone@yahoo.fr).

Les articles (30 000 signes environ) seront attendus pour le 1er juin 2022.

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Bibliographie indicative

Catherine Ailloud-Nicolas (dir.), Théâtre contemporain et jeune public, Lyon, CRDP, 2003.

Catherine Ailloud-Nicolas (dir.), Écritures théâtrales et jeunes publics, Lyon, CRDP, 2008.

Marie Bernanoce et Sandrine Le Pors (dir.), Entre théâtre et jeunesse : formes esthétiques d’un engagement, Recherches et Travaux, n° 87, 2015.

Marie Bernanoce et Sandrine Le Pors (dir.), Poétiques du théâtre jeunesse, Arras, Artois Presses Université, coll. Études littéraires, 2018.

Nicolas Faure, Le Théâtre jeune public. Un nouveau répertoire, Rennes, PUR, 2009.

Francis Marcoin, Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006.

Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Mme de Genlis et le théâtre d’éducation au XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1997.

 

 

[1]Maryline Romain, Léon Chancerel : portrait d’un réformateur du théâtre français (1886-1965), Lausanne, L’Âge d’homme, 2005, p. 246.

[2]Nicolas Faure, Le Théâtre jeune public. Un nouveau répertoire, Rennes, PUR, 2009, p. 8.

[3]Voir notamment Alexandre de Moissy, Les Jeux de la petite Thalie (1764), Mme de la Fite, Entretiens, drames et contes moraux destinés à l’éducation de la jeunesse (1778), et Mme de Genlis, Théâtre à l’usage des jeunes personnes (1779-1780).

[4]Voir les travaux de Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval : Mme de Genlis et le théâtre d’éducation au XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1997 ; Le Théâtre de société : un autre théâtre ?, Paris, Honoré Champion, 2003.

[5]Voir notamment les ouvrages de Marie Bernanoce et Sandrine Le Pors (dir.), Entre théâtre et jeunesse : formes esthétiques d’un engagement, Recherches et Travaux, n° 87, 2015 ; Poétiques du théâtre jeunesse, Arras, Artois Presses Université, coll. Études littéraires, 2018. Voir également Catherine Ailloud-Nicolas (dir.), Théâtre contemporain et jeune public, Lyon, CRDP, 2003 ; Écritures théâtrales et jeunes publics, Lyon, CRDP, 2008.

[6]Christian Chelebourg et Francis Marcoin, La Littérature de jeunesse, Paris, Armand Colin, 2007, p.

[7]Voir Francis Marcoin, Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006.

[8]Arthur Pougin, « Un théâtre enfantin. Les ombres chinoises de Séraphin », Revue universelle illustrée, 1890.

[9]Dans son Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre, Arthur Pougin évoque les « jeux de marionnettes dont nos enfants peuvent voir les descendants aux Tuileries et aux Champs-Élysées » (Paris, Firmin-Didot et Cie, 1885, p. 386).