Actualité
Appels à contributions
Sociétés savantes, pratiques naturalistes et nature en ville (XIXe-XXIe siècles)

Sociétés savantes, pratiques naturalistes et nature en ville (XIXe-XXIe siècles)

Publié le par Université de Lausanne (Source : B. Percheron)

Appel à communications

Sociétés savantes, pratiques naturalistes et nature en ville (XIXe-XXIe siècles)

(La version longue du présent appel est consultable sur

Sociétés savantes, pratiques naturalistes et nature en ville (XIXe-XXIe siècles) | Urbanature (hypotheses.org)

Paris, 21 et 22 octobre 2021.

 

Plus d’un millier de sociétés savantes sont créées en France au cours du XIXe siècle (Chaline, 1995 ; Fox, Weisz, 1980). Environ un tiers pratiquent l’histoire naturelle, souvent dans un cadre pluridisciplinaire (sciences, lettres, histoire, archéologie, arts, etc.). Des sociétés spécialisées dans différents domaines de l’histoire naturelle sont fondées, surtout à partir de la seconde moitié du siècle. Leurs publications répondent aux attentes d’un lectorat hétérogène. Elles sont animées par des « amateurs », une catégorie dont les contours sont difficiles à saisir. Jusqu’à aujourd’hui, « amateurs » ou « profanes » pratiquent des sciences de « plein air », nécessitant du temps mais peu de matériel et de prérequis. On peut alors se demander comment se négocient les rapports entre profanes et scientifiques, avec la montée en puissance des professionnels (Charvolin, Micoud, Nyhard, 2007).

Au XIXe siècle, les naturalistes arpentent leur « petite patrie locale », ceux des plaines découvrent la montagne (Pont, Lacki, 2000). Les excursions laissent une place importante à la collecte et la collection, à l’observation et à l’érudition. Les données s’accumulent, publiées dans des périodiques, des catalogues, des monographies, des  guides, des Flores et des Faunes. La prise en compte de la diversité des productions et des activités des sociétés savantes : littérature naturaliste, participations à des manifestations scientifiques, gestion et création de jardins botaniques, musées, bibliothèques, conduit à interroger leur caractère savant, leur visibilité dans l’espace public, leur ancrage culturel local. Si leurs productions sont importantes, les institutions centralisées les ont longtemps considérées comme indigentes, sur le plan scientifique. Elles suscitent pourtant l’intérêt d’écrivains, plus ou moins célèbres, comme Hector Malot, Ernest Cotty ou encore Maurice Maindron. Dans les sciences du vivant, des sociétés savantes manifestent l’appropriation de concepts scientifiques : fixisme, transformisme, évolutionnisme, concepts taxinomiques, phytogéographiques, zoogéographiques et écologiques, etc. En phytogéographie, elles construisent des programmes qui développent des problématiques écologiques ancrées dans des territoires (Matagne, 1999).

Au XIXe siècle, les données relatives à la faune et la flore rurale et sylvestre sont abondantes. À la fin du siècle naît une tradition naturaliste qui s’intéresse à la nature en ville. Il semblerait que pour la France les recherches les plus nombreuses concernent la capitale. En Province, des sociétés savantes contribuent à introduire ou à maintenir la nature en ville par le biais de jardins botaniques, qui présentent des espèces indigènes, exotiques, cultivées. Ce sont des terrains d’expérimentations (acclimatation, sélection, hybridation), qui rendent visible des concepts de la systématique, de la géographie botanique et de l’écologie (Fischer, 1999). Ouverts au public, les jardins de ville ont un rôle scientifique, culturel, pédagogique, économique. Ils s’inscrivent dans un plan d’urbanisme marqué par le courant hygiéniste, par le modèle des cités jardins à l’anglaise pensées en réaction à une forte urbanisation et industrialisation.

En zoologie, un essor des publications est relevé dans les années 1930-1950, notamment sur les mammifères de Paris et de sa banlieue. Jusqu’à aujourd’hui, les Rencontres naturalistes d’Île-de-France mobilisent le réseau associatif aux côtés d’institutions et de laboratoires (CNRS, MNHN, universités).  À la fin du siècle, Paris Espace Nature passe commande de travaux sur des classes de vertébrés (oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles). L’ornithologie bénéficie depuis 1912 de la Ligue pour la protection des oiseaux et de la Société d’études ornithologiques de France (fondée en 1993). Pour les invertébrés, les travaux sont plus rares (notons ceux de l'Association des Coléoptéristes de la Région Parisienne, fondée en 1923) (Maurin, Henry, 1997). Le congrès international de botanique (Paris, 1954) valorise les amateurs et les contributions des sociétés savantes. Les actes recensent des publications de l’après-guerre qui s’inscrivent dans une tradition des « herborisations parisiennes », qui remonterait à la fin du XIXe siècle. Certains herbiers, comme celui de Paul Jovet, regroupant autant des espèces banales qu’exotiques issues du territoire parisien, interrogent la validité de certains concepts écologiques dans des milieux particulièrement sélectifs (Jovet, 1954 et Lizet, Wolf, Celecia, 1999).

Dans le dernier tiers du XXe siècle, une impulsion est donnée à l’étude de la nature dans des capitales (Paris, Chicago, Londres, Berlin, Bruxelles), dans le contexte d’émergence d’une nouvelle demande sociale en matière d’écologie, de structuration de la biologie de la conservation et du concept de biodiversité. En France se met en place le réseau des villes durables.        

Des citoyens sont initiés, voire formés à des pratiques naturalistes. Excursions, séances de détermination et stages sont régulièrement proposés par des associations, parfois par des universités à destination des étudiants. Les amateurs d’aujourd’hui, profanes, bénévoles, investissent des terrains délaissés par les professionnels. Comme leurs prédécesseurs du XIXe siècle, leurs découvertes visent à combler un défaut de connaissance de la biodiversité. Ils réalisent des inventaires, mettent à l’épreuve les hypothèses scientifiques des chercheurs (sciences participatives). À la connaissance s’ajoute la vigilance collective, citoyenne, permettant d’appréhender la dynamique complexe de la biodiversité urbaine, de documenter la recherche, de médiatiser des demandes sociales et culturelles en matière de santé, d’influer sur les choix opérés (espèces patrimoniales, invasives, notions controversées d’espèces utiles ou nuisibles, etc.). Des décisions en matière d’aménagement urbain intègrent des données naturalistes et écologiques : trames vertes et bleues, éco-quartiers et éco-villes, jardins en mouvement, jardins publics et privés. On assisterait à un renouveau des pratiques naturalistes et de la systématique, utilisatrice des derniers développements de la génomique et des technologies informatiques, à un renouvellement de l’expertise des amateurs (Bonneuil, Joly, 2013 ; Mauz, 2011 et Péty, 2020).

Les termes : sociétés savantes, pratiques naturalistes, nature en ville, ont été retenus comme éléments d’articulation de communications qui s’inscriront dans un cadre chronologique commençant au XIXe siècle.

Ces journées d’étude ont pour objectif d’interroger la production, la diffusion et la médiation des savoirs par les réseaux savants, d’aborder le rôle des sociabilités savantes à partir du XIXe siècle, les transformations opérées aux XXe et XXIe siècles, les nouveaux enjeux relatifs aux savoirs naturalistes, à l’écologie et à la biodiversité urbaine, à la diversité des formes de demande sociale et culturelle de nature en ville.

Les questionnements pourront s’organiser autour de plusieurs thématiques :

- L’évolution de la figure de l’amateur, de ses terrains et pratiques naturalistes, en lien avec les transformations du modèle historique de sociabilité construit autour des sociétés savantes. La négociation des rapports entre amateurs/profanes et scientifiques, avec la montée en puissance des professionnels. La présence des femmes et leurs catégories socio-professionnelles.

- L’émergence de nouveaux centres d’intérêt et de nouveaux territoires pour l’étude de la nature. La naissance et l’évolution d’une tradition des excursions naturalistes urbaines. L’introduction, la conservation et la gestion de la nature en ville. Les naturalistes à l’épreuve de la ville : enjeux scientifiques, culturels, démocratiques, sociétaux.

- La nouvelle image de modernité, le renouveau des inventaires de la biodiversité lié à l’utilisation de technologies numériques et à l’implication des amateurs ou profanes dans des programmes de recherche collaborative ou participative. Légitimité, expertise.

- Les acteurs de la médiation scientifique, pédagogique et culturelle. Pratiques et discours, inclusion sociale et culturelle. Les relations entre les réseaux associatifs, les pouvoirs politiques, les décideurs, les professionnels et les profanes. Interactions avec le monde littéraire ; participation aux travaux des sociétés ; réception de l’action des sociétés savantes.

*

Les réponses à l’appel prendront la forme de propositions (titre, 20 lignes, mots-clés) adressées avant le 7 juin 2021 à patrick.matagne@univ-poitiers.fr, pour une annonce du programme début juillet et la tenue de journées d’étude l’après-midi du 21 et 22 octobre 2021.

*

Bibliographie

BLANC Nathalie, « 1925-1990 : l'écologie urbaine et le rapport ville-nature », in Espace géographique, tome 27, n°4, 1998.p. 289-299.

BONNEUIL Christophe, JOLY Pierre-Benoît, Sciences, techniques et société, La Découverte, coll. « Repères Sociologie », 2013.

CHALINE Jean-Pierre, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, Éditions du CTHS, 1995.

CHARVOLIN Florian, MICOUD André, NYHART Lynn K., Des sciences citoyennes ? La question de l'amateur dans les sciences naturalistes, Éditions De L'aube Aube Essai, 2007.

FISCHER Jean-Louis (dir.), Le jardin entre science et représentation, Éditions du CTHS, 1999.

FOX Robert, WEISZ George, The organization of Science and Technology in France, 1808-1914, Cambridge University Press, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1980.

JOVET Paul, « Flore et phytogéographie de la France », Histoire de la botanique en France, 8e congrès international de botanique, Paris-Nice, 1954, p. 243-268.

LIZET Bernadette, WOLF Anne-Elisabeth, CELECIA John, Sauvages dans la ville : de l'inventaire naturaliste à l'écologie urbaine : hommage à Paul Jovet (1896-1991), Muséum national d’histoire naturelle, 1999.

MATAGNE Patrick, Aux origines de l’écologie. Les naturalistes en France de 1800 à 1914, Paris, éditions du CTHS, 1999.

MATHIS Charles-François, PEPY Emilie-Anne, La ville végétale. Une histoire de la nature en milieu urbain (France, XVIIe – XXIe siècle), Champ Vallon, 2017.

MAURIN Hervé, HENRY Jean-Pierre, « Les inventaires du patrimoine naturel en milieu urbain », in Sauvages dans la ville. De l'inventaire naturaliste à l'écologie urbaine, Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 39ᵉ année, bulletin n°2, 1997, p. 333-355.

MAUZ Isabelle, « Le renouveau des inventaires naturalistes au début du XXIe siècle », Quaderni [En ligne], Automne 2011.

PÉTY Dominique, « Le rôle de l’amateur dans la construction des savoirs (XIXe-XXIe siècles) : du collectionneur à l’internaute », in MEYNARD Cécile, LEBARBÉ Thomas, COSTA Sandra (dir.) (2020), Patrimoine et Humanités numériques, Éditions des archives contemporaines, 2020, p. 29-38.

PONT Jean-Claude, LACKI, Jan, Une cordée originale. Histoire des relations entre science et montagne, Georg éditeur, 2000.

RUDOLF Florence, Les glissements de sens de l’écologie dans ses associations avec la ville : écologie urbaine, ville écologique et ville durable. Penser le développement durable urbain : Regards croisés, 2008.