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Romanesque et ville dans le roman populaire du XIXe au XXIe s. : documents, indices, stratégies

Romanesque et ville dans le roman populaire du XIXe au XXIe s. : documents, indices, stratégies

Publié le par Marc Escola (Source : Isabelle Hautbout)

Colloque international à Amiens, 12-14 octobre 2017

Ce projet de colloque s’inscrit dans le cadre d’un programme Balaton porté, d’une part, par le Centre d’Etudes des Relations et des Contacts Linguistiques et Littéraires (axe Roman & Romanesque) de l’Université de Picardie Jules Verne et, d’autre part, par le Département des Sciences de la Communication et des Médias et le Département des Études Françaises de l’Université de Debrecen. Il en constitue le second volet, après un séminaire de recherche organisé à Debrecen du 16 au 19 novembre 2016 pour préciser les questions propres au romanesque de la ville dans le roman populaire européen du XIXe au XXIe siècle.

Idéalement, les nouveaux échanges permis par ce colloque international déboucheront sur une troisième étape : celle d’un jumelage avec un autre centre de recherche et un autre pays, de façon à préciser notre perspective comparatiste selon un axe géographique, dans le cadre du programme Elargissement d’Horizon 2020[1].

Les travaux retenus pourront alors faire l’objet d’un volume de la collection Romanesques[2] en 2020.

 

Au cours du XIXème siècle, la population des villes, particulièrement celle de Londres et de Paris, augmente considérablement sous l’effet de la révolution industrielle et de la révolution des transports. La multiplication des ateliers et des usines, la naissance des quartiers de gares, les bouleversements de la trame urbaine et la croissance des banlieues s’observent parallèlement aux transformations d’une société marquée par la misère des ouvriers et la détresse des mal lotis. Cette mutation sociale et spatiale trouve un écho dans la littérature qui, elle aussi, s’industrialise ; par le biais de la presse, elle se diffuse en masse et se sérialise. Le roman, en particulier, publié en feuilletons très suivis, décline les problèmes les plus actuels de la société contemporaine, tel un  guide d’initiation palpitant à la vie urbaine moderne. Prototype du genre, Les Mystères de Paris d’Eugène Sue (1842-1843) sont vite imités et amplifiés par G.W.M. Reynolds à Londres, mais aussi traduits et transposés en Hongrie, comme partout en Europe et même au-delà. D’autres genres populaires émergent dans ce sillage médiatique, du roman d’aventures étudié par Matthieu Letourneux[3] aux récits policiers (dont Christine Calvet a récemment examiné les configurations urbaines[4]), jusqu’à la chick lit ou aux séries télévisées contemporaines qui, comme Peaky Blinders lancée en 2013 par Steven Knight, peuvent encore puiser aux sources du roman populaire du XIXe siècle et faire de la ville, bien au-delà d’un simple décor, un élément foncièrement signifiant en même temps qu’un principe organisateur.

Le site medias 19[5], et son recensement des mystères, les revues Le Rocambole[6] (de l’Association des Amis du Roman Populaire), Belphégor[7] (du réseau de l’Association internationale des chercheurs en Littératures Populaires et Culture Médiatique) ou encore Pardaillan[8] (organe du Centre International Michel Zévaco) rendent bien compte de cette profusion.

Nous voudrions explorer plus précisément ce vaste corpus du roman populaire en examinant comment s’articulent ancrage urbain et écriture romanesque, non sans bouleverser les taxinomies littéraires.

 

DOCUMENTS

On sait ce que l’apparition des mystères urbains et du roman policier doit à la publication des archives de la préfecture, des mémoires de Vidocq, d’une foule d’études sanitaires et sociales sur la ville de l’époque et aux récits de presse. Mais il reste à interroger cette littérarisation du document en mythe littéraire. Comment le document sur la ville fait-il son siège dans le romanesque ? S’exhibe-t-il ? Quelles sont ses fonctions ? Comment est-il recréé ?

Rares sont les lieux urbains qui n’ont pas déjà été décrits, parfois de façon déjà très littéraire au sein même de la production documentaire. Comment le document prépare-t-il une mythification de la ville ?

Nombre de motifs urbains se répètent d’une œuvre à l’autre, avec une pertinence référentielle qui interroge parfois, quand on retrouve dans les mystères consacrés à la capitale hongroise, à peine constituée comme ville et représentée de même en peinture, bien des traits propres à la capitale française. Universalisation des phénomènes urbains ou sérialisation des stéréotypes ? Quelle est la part des sources documentaires et littéraires ?

Comment se renouvellent néanmoins les lieux décrits, loin du figement d’une ville passéiste ? Comment la littérature contemporaine investit-elle de nouveaux espaces, comme les non-lieux étudiés par Marc Augé[9] ?

 

INDICES

La richesse sémiotique du cadre urbain ne laisse pas d’apparaître à travers les représentations romanesques qui font de la ville un mystère à révéler, une surface à creuser pour explorer des profondeurs dont David L. Pike[10] a bien mis en évidence l’inépuisable fortune, un labyrinthe à parcourir... Le romanesque urbain illustre ainsi le paradigme indiciaire dont Carlo Ginzburg[11] a souligné l’émergence à la fin du XIXe siècle en montrant comment des savoirs, des récits, se fondent alors sur l’attention portée aux détails généralement négligés ou aux réalités absconses. 

Les modalités et les enjeux de cette herméneutique méritent d’être étudiés dans le roman populaire urbain. Comment descend-on dans la ville pour voir en-dessous, et qu’y voit-on alors ? Avant la logique plus purement intellectuelle de l’enquête dans le roman policier, comment la ville se prête-t-elle à une écriture du labyrinthe ? Comment un hasard entièrement esthétisé permet-il une restriction signifiante de l’espace fictionnel urbain ? Comment, dans le roman noir, l’espace urbain semble-t-il davantage faire sens lui-même, sans qu’il soit besoin d’une enquête pour le dramatiser ?

 

STRATEGIES

Plus largement, quels sont les modes de rencontre de la fiction et du réel dans le roman populaire urbain ? Plusieurs ressorts romanesques demandent à être étudiés. La filature, bien sûr, déjà mise à l’honneur par Jean-Claude Vareille[12], mais aussi la fuite, la flânerie et, plus particulièrement, l’arrivée de l’étranger – tel d’Artagnan à Paris – en ville dans le roman du XIXe siècle : comment permet-elle de s’identifier au personnage, d’animer la ville et d’y plonger, passant de la ville apparente à la ville cachée ?

Au-delà, comment les romanciers donnent-ils à sentir la ville ? Quel rôle joue le déplacement romanesque (et la conscience du temps qu’il implique), à l’inverse du figement pittoresque ?Les sensations jouent-elles le rôle heuristique décrit par Bachelard ?

Comment se crée ainsi une connivence ? Comment le lecteur se trouve-t-il inclus dans une fiction immersive, ou exclu d’un spectacle érudit, esthétisé, abstrait… souvent à rebours des déclarations auctoriales ? Quels moyens lui sont donnés de participer à la vie urbaine romanesque ?

 

UN REALISME ROMANESQUE ?

Cette plongée dans la réalité citadine contemporaine place le roman populaire urbain dans une polarité réaliste, face au roman gothique dont il s’inspire par ailleurs. Contre toute attente, peut-être, le roman populaire peut fonctionner pour nous comme un document sur les modes de transport ou de communication. Les Habits noirs de Paul Féval (1863-1875) en offrent une liste remarquablement fournie tandis qu’on trouve, dans Le Dossier n° 113 d’Emile Gaboriau (1867), des détails pratiques totalement ignorés de Zola !

Cette présence réaliste dans un genre qui ne l’est pas et ne se revendique pas comme tel (les protestations de vérité s’accompagnant souvent de revendications d’une fiction extraordinaire, sensationnelle et invraisemblable), à travers la topographie populaire de la ville, amène à reconsidérer la notion même de réalisme. Quelles sont les particularités de ce réalisme en tension avec une ville mystérieuse, lieu d’aventures souvent incroyables ? Quels modes de localisation sont utilisés ? Quel usage est fait des détails et du décor ? Comment un réalisme oblique, apparaissant de façon incidente, peut sembler plus convaincant dans les romans populaires urbains, soucieux d’être romanesques plus que réalistes ? Une comparaison s’impose avec un réalisme bien plus intentionnel, revendiqué à grands coups de manifestes et n’ayant de cesse de problématiser le réel plutôt que de le naturaliser.

 

Sur toutes ces questions, merci d’envoyer vos propositions de communications, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, à Isabelle Hautbout (isabelle.hautbout@free.fr) et Sándor Kálai (kalai.sandor@arts.unideb.hu) d’ici le 31 mars 2017.

 

Comité scientifique :

  • Université de Debrecen :

Katalin BÓDI

Sándor KÁLAI

Anna KESZEG

Gabriella TEGYEY

  • UPJV:

Anne DUPRAT

Elise GUIGNON 

Isabelle HAUTBOUT 

Marie-Françoise MELMOUX-MONTAUBIN 

Christophe REFFAIT 

Muriel ROSEMBERG 

 

Comité d'organisation :

Elise GUIGNON 

Isabelle HAUTBOUT 

Marie-Françoise MELMOUX-MONTAUBIN 

 

 

[1] https://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/en/h2020-section/spreading-excellence-and-widening-participation

[2] https://www.u-picardie.fr/unites-de-recherche/cercll/axes-de-specialites/revue-roman-romanesque-443092.kjsp?RH=1468241771368

[3] Matthieu Letourneux, Le Roman d'aventures 1870-1930, Limoges, PULIM, coll. "Médiatextes", 2010. 

[4] Christine Calvet (dir.), Configurations urbaines et discours des récits policiers, Champs du Signe, Editions Universitaires du Sud, juillet 2014.

[5] http://www.medias19.org/

[6] http://www.lerocambole.net/rocambole/pages/index.php

[7] http://belphegor.revues.org/ 

[8] http://lataupemedite.michelzevaco.com/index.php/revue-le-pardaillan/

[9] Marc Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 1992.

[10] David L. Pike, Subterranean cities. The world beneath Paris and London, 1800-1945, Ithaca & London, Cornell University Press, 2005.

[11] Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice », Le Débat, novembre 1980, p. 3-44.

[12] Jean-Claude Vareille, Filatures, Itinéraire à travers les cycles de Lupin et Rouletabille, PU Grenoble, 1980.