Actualité
Appels à contributions
Travaux de littérature :

Travaux de littérature : "Poétique(s) de l'objet"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Myriam Marrache-Gouraud)

"Poétique(s) de l’objet"

Appel à contributions pour la revue Travaux de Littérature (Droz)

*

DESCRIPTION :

Si les objets sont partout dans la littérature, la représentation qui en est donnée n’en épuise pas la présence énigmatique. Prenant acte de cette tension, l’écriture s’efforce non seulement d’adapter au plat de la page une présence tridimensionnelle, mais de voler au secours de la description en mettant en scène l’objet par d’autres moyens, par exemple par l’exposé de son histoire, par l’éloge, voire la prosopopée, etc. Les ruses du texte sont variées pour représenter une réalité matérielle qui ne se laisse pas circonscrire aisément. 

Des réflexions menées jusqu’à présent sur la distinction chose/objet, on peut retenir qu’au sens strict, la Renaissance préfère le mot chosepour désigner de simples éléments matériels. L’emploi actuel du mot objetdans un sens indéterminé ne date que du XVIIIesiècle où le mot « se dit de tout ce qui est doté d’existence matérielle » (1784). Auparavant, le mot objet, hérité du latin médiéval, réfère à« toute chose qui affecte les sens et en particulier la vue » ou encore à « ce qui frappe les autres sens » : au sens étymologique ob-jectumsignifie au XVIesiècle et pendant tout l’âge classique « la chose qui se tient devantl’observateur […], non pas en elle-même, mais en tant qu’elle sollicite notre attention »[1]. L’objet proposerait une sorte de spectacle dont la restitution dépend de l’observateur et du rapport qu’il entretient avec ledit objet.C’est en ce sens qu’objectumet ressont fermement distincts du point de vue de la théorie de la connaissance depuis la philosophie scotiste : « L’objet (objectum) n’est pas la chose (res) : si la chose, par essence, peut être définie pour soi-même, l’objet est toujours relatif à une faculté par rapport à laquelle il se définit. […] L’objet désigne donc le mode de présence d’une chose connue dans une faculté de connaissance »[2].

On peut en inférer que l’observateur qui rend compte d’un objet « habille la chose de sens divers », disent joliment Jean Bazin et Alban Bensa, lesquels par ailleurs reconnaissent que si le discours de l’ethnologue est capable de décrire les formes et les fonctions des objets, il a plus de difficulté à dire l’effet produit par les objets, car il « ne sait pas expliciter l’événement de leur présence »[3]. Le texte littéraire, lorsqu’il nomme et décrit, rencontre-t-il les mêmes apories, et le cas échéant comment trouve-t-il à les résoudre ? Il importe, pour tenter de répondre à cette question, d’analyser l’art et la manière par lesquels le discours littéraire s’empare de « l’événement » de la présence des objets.

Après la publication de travaux importants s’interrogeant sur la fonction des objets en littérature (Luc Fraisse et Eric Wessler (dir.), L’œuvre et ses miniatures. Les objets autoréflexifs dans la littérature européenne, 2018) ou sur les sens symboliques d’objets désuets rendus visibles et vivants par les textes littéraires (Francesco Orlando, Les Objets désuets dans l’imagination littéraire, 2013), ce numéro de Travaux de Littératureentend recentrer plus spécifiquement la réflexion sur la question de la poétique réservée aux objets. 

Les études s’intéresseront donc aux procédés de représentation des objets, voire s’interrogeront sur le « parti-pris », dirait Ponge, qui permet au littéraire d’en rendre compte, ce qui n’exclut pas un questionnement sur le retour à la notion de « chose » (Ponge, Perec). En somme il s’agira de se tourner vers la Muse matérielle, pour tenter de saisir comment un texte figure la déconcertante présence des objets rares ou quotidiens, pleins ou insignifiants, soit qu’il les porte ou les épuise, qu’il les décrive ou les raconte.

Selon l’usage de la revue, l’enquête se bornera aux écrivains francophones, mais sans limitation chronologique, du Moyen Âge à aujourd’hui. Le champ littéraire sera entendu au sens large, en incluant aussi bien les genres dits littéraires à visée esthétique, que l’écriture savante des encyclopédistes, des naturalistes, ou des médecins. Les travaux pourront porter sur un objet en particulier, un type d’objet (les instruments de physique…), un aspect de l’objet (la couleur…), ou sur un auteur, un mouvement littéraire, un procédé spécifique, sans exclure le lien de la littérature aux savoirs, le rapport texte-image, le travail de la série, de la collection – ces quelques pistes ne prétendant pas à l’exhaustivité.

***

Les propositions de contributions sont à adresser à Myriam Marrache-Gouraud (myriam.gouraud@univ-brest.fr) avant le 20 décembre 2019

La composition du numéro sera établie fin janvier 2020.

Les textes définitifs (au maximum 35 000 signes, incluant espaces et notes)seront à remettre le 30 mai 2020

***

[1]Emmanuel Buron (« Le mot ‘objet’ dans la poésie amoureuse (1544-v.1560) », dans Vocabulaire et création poétique dans les jeunes années de la Pléiade (1547-1555), dir. Marie-Dominique Legrand et Keith Cameron, Paris, Champion, 2013, p. 67-82) insiste ainsi sur la notion de spectacle visuel associé à ce qui « se présente devant nous » (p. 75). C’est ainsi que Rome peut devenir « l’unique objet » de tel ressentiment, ou qu’une dame peut être « objet de plus haute vertu ».

[2]Dominique Demange, Jean Duns Scot. La théorie du savoir, Paris, Vrin, 2007, p. 212. Ces distinctions se retrouvent chez Heidegger avec la notion de chose en soi, qui se tient par elle-même avec son autonomie (Selbstand), à la difference de l’objet, qui quant à lui, n’existe qu’à travers la relation que nous établissons avec lui (Gegenstand, « en tant qu’il nous fait face »).

[3]Jean Bazin et Alban Bensa, « Les objets et les choses : des objets à ‘la chose’ », Genèses, 17, 1994, p. 4-7 (http://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1994_num_17_1_1257) : p. 4.