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Rectitude politique, langue de bois et novlangue (Baia Mare, Roumanie)

Rectitude politique, langue de bois et novlangue (Baia Mare, Roumanie)

Publié le par Marc Escola (Source : Ina Motoi)

L’Université Technique Cluj-Napoca, Centre Universitaire Nord Baia Mare, Roumanie

et

l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Canada

vous invitent à participer

à la deuxième édition de la Conférence internationale sur

la COMMUNICATION DE MASSE DANS UN CONTEXTE DE PROPAGANDE

ayant comme thème: 

Rectitude politique, langue de bois et novlangue

les 10 et 11 juillet 2020 à Baia Mare en Roumanie

 

APPEL À COMMUNICATION

Le présent appel vise à encourager la participation de chercheurs et de chercheuses de différentes disciplines (littérature, linguistique, analyse du discours, études culturelles, travail social, sociologie, philosophie, psychologie, éducation, sciences politiques, etc.), provenant de l’Europe de l’Est et de l’Europe de l’Ouest, ainsi que du Québec et du monde universitaire de partout ailleurs. Cette rencontre s’inscrira dans une réflexion sur la valeur de l’information dans nos sociétés globalisées.

Face à la rectitude politique[1], à la langue de bois et à la novlangue, il s’agit de s’interroger, de comprendre et d’analyser la manière dont ces modes de communication de masse contribuent au vacarme général; de saisir comment et pourquoi ils se propagent; de clarifier aussi de quoi ils parlent et à qui ils s’adressent. En tant que fabrications publiques, leur finalité peut être idéologique, politique, technologique, scientifique ou communautaire. Il faut se donner le temps de réfléchir critiquement ensemble à ce sujet et de développer une littératie pour s’y orienter afin que tout cela prenne un sens.

Lorsqu’il y a un manque de cohérence ou une contradiction entre les faits concrets de la vie quotidienne, dont les expériences individuelles des humains et leurs représentations abstraites dans les différents discours/récits publics, souvent médiatisés, nous devons nous poser des questions. Pourquoi cela se passe-t-il et comment la démocratie est-elle comprise? Ce façonnage continu du réel provoque-t-il ou non une rupture de cohérence généralisée qui participerait au malaise de nombreux citoyens et citoyennes? Quel est son impact sur la cohésion sociale et sociétale de nos pays respectifs? Est-il un champ de bataille rendu invisible par les médias et le discours de sourds des politico-gestionnaires?

Ce phénomène sociétal que nous venons de décrire brièvement - est aussi une stratégie politique. Cela n’a rien de nouveau. La formule de rectitude politique peut nous être utile afin de saisir ce qui se passe. Celle-ci est une notion polysémique, donc floue. Empruntée au jargon stalinien (1930), elle désignait « un comportement de soumission et d’obéissance aveugle en faveur de la ligne dogmatique imposée par le comité central du Parti »[2]. Dans les pays de l’ancien bloc soviétique, les régimes infligeaient ainsi leur idéologie en niant le réel des besoins, des intentions, des actions et des sensibilités de la plupart de ses citoyens et citoyennes. En conséquence, au nom des libertés individuelles, la lutte pour l’affirmation des droits de la personne (de l’homme) était devenue indispensable. La valeur de la liberté des humains se situait-elle avant celle de l’égalité « communiste »?

De nos jours, la rectitude politique est aussi à l’œuvre en Occident et prône la sensibilité et le respect de la dignité des individus pouvant être discriminés en raison de leur altérité. Leur différence est revendiquée comme légitime pour empêcher une vision dénigrante de celle-ci. Au départ, l’intention était nécessaire afin de prescrire des relations plus équitables entre les gens, mais avec le temps, plusieurs la dénoncent explicitement comme contrôle social de la libre expression qui entrave tout désaccord ou toute contestation. La stratégie déployée est posée comme une polarisation entre ceux qui la légitiment et ceux qui la remettent en question. Cependant, en plaçant la défense de l’égalité « néolibérale » avant celle de la liberté, une tension entre égalité et liberté s’installe et s’intensifie, et deux visions de ce que c’est la démocratie se font face. 

Donc, un gouvernement et ses institutions peuvent agir à rectifier les perceptions, les attitudes ou les comportements non appropriés en changeant certains termes pour d’autres expressions qui rehausseraient l’image des individus ou des actions dont la valeur est ignorée. En 1949, Orwell, s’inspirant du stalinisme pour son roman - 1984, nomme ce procédé la fabrication d’une novlangue (newspeak) officielle imposée. À la même période, Klemperer observe le déploiement de la LTI (Lingua Tertii Imperii), cette langue du Troisième Reich. Tout comme à cette époque, l’espace public actuel est occupé par plusieurs novlangues de gauche et de droite, dont la managériale avec ses notions d’excellence, de performance et de productivité. C’est ainsi que la langue autorisée, qualifiée de politiquement correcte, peut entrer en opposition avec:

1. Le "vrai parler", dans le sens d'authentique, des gens ordinaires;

2. Les mots permettant de critiquer ces nouveaux termes et de les remettre en cause;

3. La langue comme lieu de questionnement et de réflexion.

Y a-t-il une guerre, mais aussi une convergence, entre les novlangues de gauche et de droite ? Ont-elles, comme dénominateurs communs, les mêmes moyens communicationnels au service de la rationalisation excessive, de l’administration ou de la surveillance des représentations et des mots présentés publiquement ? Les rapports sociétaux entre majorité et minorités se retrouvent-ils toujours inversés par une valorisation uniquement de ces derniers? Qui représente qui? Y a-t-il des limites au-delà desquelles les recettes de la rectitude politique deviennent autoritaristes et coercitives? Quels sont les mécanismes démocratiques qui permettraient de les remettre en cause et d’en débattre? Comment éviter que ce phénomène progresse jusqu’à la fracture sociale?

La novlangue facilite la rectitude politique par ses formules très précises. La langue de bois (de chêne, de coton, de plomb, etc.) se construit par des énoncés insignifiants, vagues et interchangeables en évitant d’articuler ce qui est signifié. Ces deux systèmes linguistiques peuvent se confondre. Leurs affirmations sont figées, rigides, stéréotypées, répétitives et ne s’adressent pas à notre compréhension ni à notre intelligence. L’absence de franc-parler se transforme en code, en jargon par des généralisations, des euphémismes, des lieux communs. Le vocabulaire politico-médiatique est truffé de déclarations et de promesses qui ne disent presque plus rien. L’acceptabilité sociale est glorifiée tout en exigeant la docilité et la passivité citoyenne. Cela provoque de plus en plus le contraire de ce qui est prêché. De plus, la qualité de l’enseignement offert dans nos sociétés est aussi questionnée. Dans nos universités, quelle valeur donne-t-on à la liberté d’expression et à la liberté de conscience pour former quel type de professionnel? Ce milieu n’est-il pas trop accueillant à la rectitude politique par l’instauration de pratiques d’évitement et d’autocensure limitant les libertés d’expression et pédagogique des professeurs, ainsi que leurs choix de sujets de recherche? La langue est-elle seulement un instrument pour exprimer nos idées sur la liberté ou le lieu même où nous exerçons cette liberté? 

Les « nouvelles » représentations du réel édifient imperturbablement une « nouvelle » normalité décontextualisée puisque les causes historiques et sociales sont effacées. Quel est leur impact sur nos manières de penser lorsque notre élaboration de sens dépend du contexte et des circonstances? Doit-on les rectifier et se laisser contrôlés par une pensée unique? Est-ce de là que provient la dimension dogmatique qui prescrit la soumission de l'intérêt public à une « classe spécialisée », à une nouvelle élite administrative? La plupart des mots deviennent-ils « positifs » et protègent-ils les individus des écarts de conduite au point de penser à leur place? Les gens commencent à manquer de mots pour exprimer, sans s’insulter, ce avec quoi ils ne sont pas d’accord ou pour le remettre en cause. Nous observons que plusieurs membres de la société deviennent indifférents et apathiques, voire apolitiques. Devons-nous nous contraindre au silence public préconisé par la rectitude politique ou nous mettre en tension par rapport à celle-ci et exprimer un contre-pouvoir citoyen? Quel est le rôle du peuple? De quelle pensée critique avons-nous besoin dans ce « royaume » de la rectitude politique qui cache la pluralité des opinions réfléchies?

Une crise mondiale de la communication de masse et de proximité est décriée partout. Comment sommes-nous arrivés à l’actuel contexte de communication publique qui produit sa rectitude politique comme idéologie et procède par manipulation de masse à l’aide de la novlangue et de la langue de bois? Les réactions viscérales des individus s’accumulent et le langage péjoratif et insultant des messages dans les réseaux sociaux devient insupportable. Ces effets et des résultats concrets apparaissent-ils comme autant d’évidences de la faillite idéologique de la rectitude politique, dont le vide de sens est le plus palpable?

                                                                       ***

Les propositions de communication doivent nous parvenir le 15 mars 2020 au plus tard. Elles n’excéderont pas 4000 caractères (espaces et titres compris). Elles peuvent être transmises en roumain, en français ou en anglais. Une réponse quant à l’acceptation ou non de votre proposition vous parviendra au début du mois de mai 2020.

Les propositions de communication seront évaluées par le comité scientifique. Elles doivent obligatoirement être accompagnées d’une bibliographie. Les critères d’évaluation seront :

  • Pertinence par rapport à la thématique et aux objectifs du colloque;

  • Explicitation du contexte de la recherche ou de la pratique exposée;

  • Cohérence des fondements théoriques ou méthodologiques soutenant la recherche ou l’expérience de terrain.

Les communications seront ensuite rassemblées par thématique pour la constitution des différents ateliers. Chaque communication sera d’une durée de 20 minutes, suivie de 15 minutes de discussion.

Pour déposer les propositions de communication et pour toutes informations complémentaires :

http://litere.cunbm.utcluj.ro/multiculturalism/fr/comite-organisation.html

 

 

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[1] Ce terme et l’anglicisme « politiquement correct » proviennent de l’expression anglaise politically correct.

[2] ALBER, J.-L. (2002). « De l’euphémisation: considérations sur la rectitude politique ». Dans Les mots du pouvoir: Sens et non-sens de la rhétorique internationale, prgr. 5. Genève: Graduate Institute Publications. https://books.openedition.org/iheid/2461