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Présent(s) de la science-fiction : évolution et diversification du genre à l’époque contemporaine

Présent(s) de la science-fiction : évolution et diversification du genre à l’époque contemporaine

Présent(s) de la science-fiction :

évolution et diversification du genre à l’époque contemporaine

 

L'année 2020 et les premiers mois de l’année 2021 ont été marqués par une actualité riche en matière de science-fiction. La « Red Team », équipe chargée par l’armée française d’élaborer des scénarii possibles du futur, en imaginant des progrès techniques et leurs conséquences, mais aussi en anticipant d'éventuels conflits, publie ses premiers travaux. L’apparition et la propagation de la Covid-19 fait surgir dans notre quotidien un thème récurrent du genre, celui de la pandémie mondiale, tandis que, le 18 février 2021, des caméras embarquées retransmettant l’atterrissage sur Mars du robot Persévérance revivifient le rêve de la colonisation interstellaire. Sur le plan littéraire, on assiste au sacre d'un maître du genre, Philip K. Dick, dont l'intégralité des nouvelles bénéficie d'une édition dans la prestigieuse collection « Quarto », chez Gallimard, aux côtés des plus grands classiques. Dans le domaine cinématographique, le dernier trimestre 2020 a été marqué par l'annonce de la sortie d'une nouvelle adaptation de Dune, immense classique de la science-fiction écrit par Frank Herbert, presque quarante ans après celle de Lynch. À cette occasion, Robert Laffont réédite le roman dans une nouvelle traduction, à laquelle a participé, entre autres, Renaud Guillemin, chercheur en physique moléculaire au CNRS.

Si ces événements engagent des acteurs et domaines différents, leur concomitance nous paraît toutefois significative, en ce qu’elle invite à questionner non seulement la valeur de la science-fiction dans les traditions littéraires et artistiques, mais également son rôle au sein de la société. En plaçant la focale sur les productions récentes et contemporaines, cette journée d’étude a pour objectif d’analyser l’évolution de ce genre sous un angle comparatiste transdisciplinaire, translinguistique et transmédial, afin d’en souligner une richesse et une potentialité trop souvent dévaluées. Elle s’articulera autour de trois axes principaux :

— la question de la réception : on interrogera la place qu’occupe la science-fiction dans les études universitaires, en particulier dans le domaine des sciences humaines. Deux points nous paraissent fondamentaux. En premier lieu, on constate un rapport inversé entre l'engouement jamais démenti qu'elle suscite parmi les lecteurs/ spectateurs et le désintérêt encore important dont elle est l'objet, en raison d'un manque de légitimité, au sein de l'Université. En effet, genre populaire, la science-fiction est traditionnellement perçue comme un pur divertissement, une littérature « facile » ou un cinéma uniquement consacré aux amateurs d’effets spéciaux, soulignant ainsi le caractère avant tout spectaculaire du genre, qui serait peu propice à constituer un sujet d’étude. Pourtant, elle semble plus que jamais nécessaire dans nos sociétés qui ne peuvent plus adhérer sans réserve à l'optimisme de la philosophie du progrès. Second point, il est intéressant de constater que de plus en plus de chercheurs n’appartenant pas aux champs des études artistiques (sciences dures, droit, philosophie, médecine, histoire, géographie) utilisent la science-fiction comme une fenêtre d’ouverture de leur discipline vers le monde. Dépassant les limites strictes de leur spécialité, ils trouvent dans la science-fiction le moyen de transmettre leurs intérêts à un public plus large qui embrasse cette nouvelle approche, modernisant ainsi des disciplines qui n’étaient pas facilement accessibles en dehors du cadre universitaire. Un exemple caractéristique de cet échange se manifeste au sein de la discipline de l’astrophysique où plusieurs scientifiques (Jean-Pierre Luminet, Roland Lehoucq, Trinh Xuan Thuan) se servent de la science-fiction pour tirer des exemples, expliquer ou illustrer les nouvelles théories développées autour de concepts physiques comme le trou noir, les exoplanètes, le noir intergalactique ou l’existence de la vie extraterrestre. Par ailleurs, on perçoit que la science-fiction portée à l’écran tend à se rapprocher du réel, notamment dans les films mettant en scène des missions spatiales, en jouant ainsi un rôle dans la création d’une nouvelle perception sociale face aux innovations de la science et de la technologie. On pense, par exemple, à High life (2019), Interstellar (2014), The martian (2015) ou encore Gravity (2013).

— la diversification du genre qui, à rebours de l'accusation de littérature facile, trouve un nouveau souffle et parvient à se diversifier : à l'ère du numérique et du transhumanisme, les possibles de la science et leurs conséquences offrent de nouvelles perspectives dont les artistes s’emparent pour penser les problématiques sociales qui parcourent les sociétés contemporaines, permettant au genre de se renouveler. Cette diversification se traduit notamment par l’apparition, dans des œuvres d’anticipation se situant parfois à la frontière du genre de la science-fiction, de nouvelles approches interrogeant les rapports de pouvoir et de domination sous le prisme du genre ou des discriminations raciales. On pense notamment à The Handmaid's Tale, de Margaret Atwood et à l’adaptation sérielle à laquelle elle a donné lieu en 2017, plus de vingt ans après la publication du roman, mais aussi aux œuvres d’Ursula Le Guin, Ann Leckie, Joëlle Wintrebert ou Sylvie Lainé, ou, dans un tout autre registre, à l’afrofuturisme, courant qui se manifeste à la fois au cinéma et les arts visuels (John Sayles, Ryan Coogler), dans la musique (Sun Ra) ou les arts plastiques (Jean-Michel Basquiat) et dans la littérature (Samuel R. Delany, Nnedi Okorafor, Octavia Butler, Nalo Hopkinson, Léonora Miano ou Abdourahman A. Waberi). Cette diversification du genre ne s'opère pas uniquement du point de vue des thématiques abordées mais aussi des pratiques d'écriture, puisque certains auteurs, pleinement conscients des potentialités du genre, sans en être eux-mêmes des spécialisés, y font des incursions (Ishiguro, Oates, Eggers...).

— les processus d’adaptation et de transfictions (selon la terminologie proposée par Richard Saint-Gelais) : le succès de la science-fiction est rendu manifeste par l'importante vitalité créative qu'elle suscite en matière de réécritures et de transpositions, qui font voyager les univers et les personnages. Il semble en effet impossible de parler de science-fiction sans convoquer la notion d'intermédialité, dans la mesure où ce genre est représenté sur une multitude de supports (film, bande-dessinée, manga, jeux vidéos...). Ce phénomène explique en grande partie la popularité du genre et permet de comprendre les enjeux de la production culturelle contemporaine, qui tend de plus en plus à décloisonner les arts et, par conséquent, à remettre en cause des hiérarchies encore persistantes. De surcroît, parce qu'elle est un genre éminemment visuel, elle permet de penser la création d'une imagerie commune, de nouveaux topoï transnationaux, transgénérationnels qui transcendent donc les barrières culturelles traditionnelles (Annihilation (2018), Blade Runner 2049 (2017), Arrival (2016), Minority Report (2002), Total Recall (1990)). Genre du présent projeté dans le futur et représenté selon les modalités du possible, la science-fiction devient, grâce à l’adaptation, un produit de l’imitation mais aussi, simultanément, d’une nouvelle identification. Ainsi émerge la notion d’« historicité » du genre, qui pose directement la question des différentes circonstances (sociologiques, scientifiques, psychologiques, politiques, historiques) qui conduisent à la création de sa nouvelle identité. Dans cette perspective, la science-fiction va jusqu’à réinterroger le traitement de l'Histoire elle-même.

On sera particulièrement sensibles aux propositions offrant une approche comparatiste, notamment intermédiale, ainsi qu'aux travaux s'appuyant sur des approches critiques qui permettent de croiser les différents discours sur la science-fiction (historique, psychanalytique, études de genre ou études postcoloniales...).

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Cette journée d’étude, dont l’un des objectifs est de favoriser la rencontre et l’émergence de liens entre les jeunes chercheurs de toutes disciplines dont les travaux portent sur la science-fiction, aura lieu en présentiel à Aix-en-Provence (Aix-Marseille Université), vendredi 19 mai 2022 (nb. si les conditions sanitaires ne le permettaient pas, elle serait reportée à une date ultérieure).

Les propositions de communication (1 page max., accompagnée d'une brève notice bio-bibliographique) sont à envoyer à l’adresse  presents.sciencefiction@gmail.com, avant le 20 décembre 2021.

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Bibliographie indicative :

Adler, Charles L. Wizards, Aliens, and Starships: Physics and Math in Fantasy and Science Fiction. Princeton University Press, Princeton, N. J, 2014.

Chion, Michel. Les Films De Science-Fiction. Cahiers du cinéma, Paris, 2008.

Colson, Raphaël, Ruaud, André-François, Science-Fiction, Une Littérature Du Réel. Klincksieck, Paris, 2006.

Curir, Anna, de Felice, Fernando, De la science-fiction à la science. Le rôle de l'imaginaire dans le développement des sciences, Paris, l'Harmattan, 2020.

Defferrard, Fabrice, Le Droit Saisi Par La Science-Fiction. Editions Mare & Martin, Paris, 2016.

Dufour, Éric, Le Cinéma De Science-Fiction : Histoire Et Philosophie. A. Colin, Paris, 2011.

Hottois, Gilbert (dir.), Philosophie et science-fiction, Pris, Vrin, 2000.

Jung, Carl G., Cahen, Roland, Un Mythe Moderne : Des "Signes Du Ciel". Gallimard, Paris, 1974.

Landragin, Frédéric, Comment Parler à Un Alien ? : Langage Et Linguistique Dans La Science-Fiction. Le Bélial, Saint Mammès, 2018.

Langlet, Irène, La Science-fiction, lecture et poétique d'un genre littéraire, Paris, Armand Colin, 2006.

Langlet, Irène, Le Temps Rapaille, science-fiction et présentisme, Limoges, PU de Limoges, 2021.

Lehoucq, Roland, Lehman, Serge, SF : la science mène l'enquête. le Pommier, Paris, 2011.

Michaud, Thomas, Prospective et science-fiction, Paris, L'Harmattan, 2010.

Michaud, Thomas, La Stratégie comme discours, la science-fiction dans les centres de recherche et développement, Paris, L'Harmattan, 2010.

Saint-Gelais, Richard, L’Empire du pseudo. Modernités de la science-fiction, Québec, Éditions Nota Bene, 1999.

Saint-Gelais, Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Éditions du Seuil, 2011.