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Polémique Céline

Polémique Céline

Publié le par Matthieu Vernet

Le ministre de la culture vient d'exclure Céline (1894-1961) de la liste de Célébrations nationales pour l'année 2011, dans laquelle il l'avait précédemment inscrit par la voix d'un comité de personnalités qualifiées que le Ministère avait lui-même nommé. 

A la suite de ce retrait, on peut lire un certain nombre de réactions, alimentant le débat de cette nouvelle polémique Céline. 

Lire aussi: "Tentative d'épuisement de L.-F. Céline": un dossier critique coordonné par A. Maujean pour nonfiction.fr

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Henri Godard écrit :

"Doit-on, peut-on célébrer Céline ? Les objections sont trop évidentes. Il a été l'homme d'un antisémitisme virulent qui, s'il n'était pas meurtrier, était d'une extrême violence verbale. Mais il est aussi l'auteur d'une oeuvre romanesque dont il est devenu commun de dire qu'avec celle de Proust elle domine le roman français de la première moitié du XXe siècle. Oeuvres de même ampleur (quatre volumes chacune dans la Bibliothèque de la Pléiade), opposées par bien des points mais qui, toutes deux, rejetant la production de leur temps mais s'enracinant dans la tradition antérieure, ont apporté à la littérature française quelque chose de radicalement nouveau." (lire la suite)

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Patrick Kéchichian écrit :

"L'écrivain Louis-Ferdinand Céline n'avait pas de sang sur les mains. Mais il y en avait plus que d'encre dans sa plume. Son usage exalté du langage n'excluait pas la roublardise et l'hypocrisie. Sous ses cris de rage, ses éructations, il pratiquait en maître raffiné la litote et le syllogisme. Mais une idée, un thème obsédant lui servit de clef magique, toujours et partout - à vrai dire surtout après 1945 : la victime, le persécuté c'était lui, ce n'était que lui. A partir de ce noyau dur, tout devint possible. La bonne foi, l'honnêteté, la capacité de reconnaître que l'on s'est trompé ou fourvoyé, furent balayées par la mauvaise foi la plus éclatante, la plus réfléchie. La littérature conférant à l'écrivain une sorte d'innocence de principe. Cela pourrait être comique si l'enjeu de la culpabilité n'était pas celui qu'il a été, s'il n'avait pas les dimensions de la Shoah.

Avant et pendant la guerre, Céline (re)publia plusieurs pamphlets antisémites. Le pire, Bagatelles pour un massacre, parut à la fin 1937 et connut un grand succès. Le livre fut aussitôt traduit dans l'Allemagne nazie. En France, interdit six mois en mai 1939, il fut réédité avec succès en octobre 1943, avec des photos. On ne peut lire aujourd'hui (légalement) ce livre monstrueux, mais on se reportera avec profit à l'ouvrage récent d'André Derval sur la réception critique de l'ouvrage (éd. Ecriture, 2010). Des jugements réprobateurs certes, mais aussi des rires et des applaudissements, accueillirent le pamphlet." (lire la suite)

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Frédérique Leichter-Flack écrit dans Le Monde : 

"Faut-il célébrer Céline en 2011 ? Le cinquantième anniversaire de la mort de l'écrivain fait resurgir la polémique. Mais entre ceux qui pensent que le grand écrivain ne doit pas faire oublier l'antisémite forcené, et ceux qui pensent que l'appel au meurtre des juifs ne doit pas nous priver du grand écrivain, la même dichotomie est à l'oeuvre, comme si Céline ne pouvait être que l'un en dépit de l'autre. Choisissez donc votre Céline, puis votre argumentaire pour passer outre l'abjection : le modèle "docteur Jekyll et Mr Hide" vous suggère de distinguer la partie honorable de l'oeuvre (les romans) et la partie indigne (les pamphlets antisémites, d'ailleurs censurés) ; le modèle "Faust" vous invite plutôt à défendre la valeur intrinsèque de la création littéraire, libérée de toute norme morale ou de tout jugement politique. On pourrait discuter longtemps de ces deux pistes, qui valent aussi pour d'autres écrivains. Mais cette manière de formuler le problème n'est pas seulement fausse dans le cas de Céline, elle témoigne surtout d'une lecture dangereuse pour nous aujourd'hui.Ces deux types d'arguments ne résistent pas à une relecture attentive de Céline, quand bien même on se concentrerait exclusivement sur son chef d'oeuvre incontesté, Voyage au bout de la nuit, le premier roman publié en 1932, dépourvu de toute référence antisémite : on peut y repérer le substrat idéologique qui allait prospérer quelques années plus tard dans les pamphlets. Car l'antisémitisme, chez Céline, n'est sans doute pas la juste mesure de la dangerosité de sa pensée. Sous l'antisémitisme, il y avait déjà la pensée antidémocratique, la haine de la République et des Lumières, le refus de l'idée d'émancipation." (lire la suite)

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Philippe Roussin revient dans Libération sur la polémique :

"On ne peut que comprendre la position de Serge Klarsfeld. Dès lors, en effet, qu'elle avait pour origine une initiative d'Etat, la «célébration» nationale de Céline (1894-1961) ne pouvait être reçue que comme un blanc-seing ou une consécration accordée par la République à celui qui fut aussi l'un des plus influents auteurs antisémites du siècle passé en France. Les choses, sans doute, se présenteraient autrement si, au lieu de célébrer l'homme, on avait pensé à célébrer une oeuvre, par exemple Voyage au bout de la nuit (1932)." (lire la suite)

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Marc Weitzmann publie également dans Libération une tribune :

"Que dire sur la commémoration, et finalement la non-commémoration, de Céline ? Sur le fond, le problème avait été réglé dès 1994 par Henri Godard, qui concluait son Céline scandale (Gallimard) par cette phrase définitive : «Céline s'est mis à jamais hors de toute consécration officielle.» Que six ans plus tard le même ait signé la notice d'introduction à Céline pour le «recueil des célébrations nationales» ne s'explique pas.

Henri Godard est l'éditeur de Céline pour la Pléiade. En écrivant cette phrase, il faisait une nette différence entre les antisémites disons culturels, parmi lesquels on pourrait ranger une bonne part des écrivains du patrimoine hexagonal, voire européen, et l'auteur de Bagatelle pour un massacre. Exemple parmi bien d'autres, les phrases d'un Voltaire («Vous ne trouverez en eux [les Juifs] qu'un peuple ignorant et barbare qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice [à la] haine pour tous les peuples qui les tolèrent et les enrichissent») n'empêchent pas le philosophe de s'élever contre les persécutions antijuives («Il ne faut pourtant pas les brûler», ajoute-t-il, magnanime). Elles n'ont rien de commun avec les fameux pamphlets céliniens, publiés à la veille de la guerre puis durant l'Occupation, et qui font preuve d'une violence extrême et paranoïaque, en phase, si je puis dire, avec l'occupant. Ces pamphlets, mais aussi la correspondance d'après-guerre de l'écrivain, dont on fait trop peu de cas, rangent Céline parmi les auteurs qu'aucun pays ne peut célébrer sous peine de se trahir lui-même." (lire la suite)

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Lire encore Céline aujourd'hui, par Jean-Pierre Martin, et sur le blog de P. Assouline: "5O ans après, Céline toujours impardonnable" (sur D. Alliot, D'un Céline l'autre).

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On peut enfin suivre l'émission "Céline et le côté obscur de la force" rassemblant Frédérique Leichter-Flack et André Derval, diffusé dans Arrêts sur images (accès payant).