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Poétiques de l'émeute / Poetics of the riot (L'Esprit créateur)

Poétiques de l'émeute / Poetics of the riot (L'Esprit créateur)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Justine Huppe)

Appel à contributions / Call for Papers (please scroll down for English)

Poétiques de l’émeute

L’Esprit Créateur édité par Justine Huppe (Université de Liège) et Julien Jeusette (Università degli Studi di Milano).

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Proposition de communication (250-300 mots) pour le 15/01/2022, envoi à justine.huppe@uliege.be et julienjeusette@hotmail.com

Envoi des articles : 15/07/2022

Publication : printemps 2023

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« Nous sommes dans le temps des émeutes », écrit Alain Badiou en 2011, dans un livre qui rend compte du réveil de l’histoire et de la recrudescence des conflits sociaux au XXIe siècle. Ce constat est corroboré par des sociologues, historiens, politistes et anthropologues tels qu’Alain Bertho, Joshua Clover, Romain Huët, Michel Kokoreff ou Isabelle Sommier. Depuis quelques décennies, en France et dans le monde, la forme-émeute revient en force et joue un rôle de plus en plus important dans le répertoire de l’action collective (Los Angeles, 1992 ; Clichy-sous-bois, 2005, Villiers-le-Bel, 2007 ; Athènes, 2008 ; Hambourg, 2009 ; Tottenham et Liverpool, 2011 ; Ferguson, 2014 ; Wukan, 2011 et 2016, etc.). Or, contre la tendance à inscrire l’émeute du côté de la violence gratuite, du vandalisme et de l’irrationnel – étymologiquement, le terme est relié à l’émotion –, ces chercheurs en soulignent la dimension politique. Ils insistent sur la nécessité de prendre en compte le phénomène sans le disqualifier d’emblée, afin d’en penser les dynamiques d’action, les enjeux sociaux et la rationalité propre.

L’émeute, cependant, est un terme fuyant. Même parmi celles et ceux qui lui accordent une dignité politique, il est parfois indistinct de l’insurrection, du soulèvement, de la grève sauvage, ou encore des mouvements d’occupation de places. Relèverait en somme de l’émeute tout type de contestation du pouvoir ne s’inscrivant pas dans les formes d’opposition prévues par la démocratie libérale. Tout en prenant acte du caractère mouvant et difficilement catégorisable du terme, on s’en tiendra ici à sa représentation paradigmatique: un mouvement collectif, urbain, spontané et potentiellement violent (bagarres, affrontements, casse, etc.) qui suscite autant la critique que le fantasme.

Prise en ce sens particulier, l’émeute est omniprésente dans la production littéraire contemporaine. Parallèlement à l’augmentation des émeutes constatée par les sciences sociales, on observe un intérêt, voire une fascination pour ce type de contestation dans l’œuvre d’écrivains aussi différents que Pierre Alféri, Aurélie Champagne, François Cusset, Sophie Divry, David Dufresnes, Yannick Haenel, Leslie Kaplan, Lola Lafon, Noémi Lefebvre, Marin Fouqué, Wilfried N’Sondé, Joël Pommerat, Nathalie Quintane, Charles Robinson, Lyonel Trouillot, Antoine Volodine, Éric Vuillard… Ce numéro de L’Esprit Créateur entend se pencher sur l’émeute en tant que phénomène littéraire, tâchant ainsi de décrire, de cartographier et d’analyser les poétiques de l’émeute contemporaines.

À partir d’un corpus ouvert aux pratiques d’écritures non nécessairement étiquetées comme “littéraires” (nous pensons aux livres du Comité Invisible, aux slogans des cortèges de tête, aux articles publiés sur des sites comme lundi.am), trois principaux axes de réflexion seront envisagés :

           a) Un axe poétique

            « A riot is the language of the unheard », a déclaré Martin Luther King. Comment la littérature prend-elle en charge ce langage ? Y a-t-il des scènes archétypales du récit émeutier, des métaphores récurrentes, des procédés narratifs particuliers pour raconter ce type d’événement ? Lorsque les textes évoquent des émeutes ayant réellement eu lieu, cherchent-ils à se démarquer des représentations médiatiques ? Quelle est la place des émeutes imaginaires dans l’économie narrative des récits ? La narration vise-t-elle à réintroduire de la clarté, de la rationalité ou de la complexité dans une forme d’action en apparence opaque ? Et sur un mode plus réflexif, comment les textes littéraires préoccupés par la forme émeutière envisagent-ils leur propre rôle ? Trouvent-ils dans l’émeute une métaphore de leur fonctionnement, à l’instar de Christophe Hanna (2011), qui compare le mode opératoire des « casseurs » à celui des dispositifs poétiques qui l’intéressent ?

           b) Un axe politique

            La disqualification de l’émeute est souvent redoublée par celle des sujets qui y participent. Joshua Clover rappelle ainsi à quel point le caractère apparemment « déraisonnable » de l’émeute concorde avec les préjugés racistes nourris à l’encontre de celles et ceux qui seront à l’origine du renouveau émeutier aux États-Unis. On pourrait faire un constat similaire en France, eu égard aux révoltes des banlieues de 2005 (Niang 2019). La littérature reconduit-elle ces prismes de lecture dépolitisants, ou cherche-t-elle à les déplacer ? Si l’émeute est valorisée ou dévalorisée, comment s’opère cette « interprétation » ? Le lecteur est-il poussé à s’identifier avec les émeutiers, dans une forme de « romantisme révolutionnaire » (Lefebvre 1957) ? Le récit d’émeute vise-t-il à produire des sujets « indisciplinés » (Razsa 2014) ? Dans quelle mesure les écrivains soutiennent-ils, ou encouragent-ils les émeutes (Alféri et al., 2010) et avec quels moyens (tribunes, manifestes, romans, etc.) ?

           c) Un axe historique

            Si les révolutions ont leurs mémoires et leurs contre-mémoires, entretenues à leur manière dans les textes littéraires, qu’en est-il des émeutes ? Ont-elles des modes de transmission propres ? S’agit-il pour les écrivains d’archiver, par les textes littéraires, le souvenir des émeutes, dont le caractère bref et prétendument désorganisé peut compliquer l’enregistrement ? Les écrivains contemporains se fondent-ils sur des récits plus anciens (Les Misérables de Hugo, par exemple), ou, au contraire, cherchent-ils à s’en démarquer (Vuillard remontant par exemple plutôt au XVIe siècle, dans La Guerre des pauvres) ? Si le siècle précédent (de la fin du XIXe à la fin du XXe) a été celui de la grève et de la manifestation encadrée, sur quels modèles et quelles références les auteurs contemporains s’appuient-ils pour penser et se figurer ce qui apparaît comme une nouvelle ère des soulèvements? 

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Bibliographie 

Pierre Alféri et al., « Pour les cinq de Villiers-le-Bel », Libération (21 juin 2010, URL : https://www.liberation.fr/societe/2010/06/21/pour-les-cinq-de-villiers-le-bel_660439).
Alain Badiou, Le Réveil de l’histoire (Paris : Lignes, 2011).
Franco Berardi, The Uprising : On Poetry and Finance (Cambridge : MIT Press, 2012).
Alain Bertho, Le Temps des émeutes (Paris : Bayard, 2009).
Alain Bertho, Time over ? Le temps des soulèvements (Vulaines-sur-Seine : éditions Du croquant, 2020).
Joshua Clover, L'Émeute prime. La nouvelle ère des soulèvements (Paris : Entremonde, 2018).
Mike Davis, Au-delà de Blade Runner. Los Angeles et l’imagination du désastre (Paris : Allia, 2006).
Georges Didi-Huberman, Désirer désobéir. Ce qui nous soulève, vol. 1 (Paris : Minuit, 2019).
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer. Ce qui nous soulève, vol. 2 (Paris : Minuit, 2021)
Émilie Goin & Julien Jeusette, Écrire la révolution (Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2018).
Jean-François Hamel, Nous sommes tous la pègre (Paris : Minuit, 2018).
Christophe Hanna, « Actions politiques/Actions littéraires » in Jean-Christophe Bailly et al., « Toi aussi tu as des armes » Poésie & politique (Paris : La Fabrique, 2011).
Romain Huët, Le Vertige de l’émeute (Paris : PUF, 2019).
Justine Huppe, Jean-Pierre Bertrand & Frédéric Claisse, Radicalités. Contestations et expérimentations littéraires, Fixxion, 20 (2020).
Michel Kokoreff, La Diagonale de la rage. Une histoire de la contestation sociale en France des années 1970 à nos jours (Paris : Divergences, 2021).
Henri Lefebvre, Vers un romantisme révolutionnaire (Paris : Lignes, 2011 [1957]).
Mame-Fatou Niang, Banlieues, féminités et universalisme (Leiden-Boston : Brill-Rodopi, 2019).
Nathalie Quintane, « Lettre à Jean-Paul Curnier », Les Années 10 (Paris : La Fabrique, 2014).
Maple John Rasza, « Beyond “Riot Porn” : Protest Video and the Production of Unruly Subjects », Journal of Anthropology, 79.4 (2014).
Isabelle Sommier (dir.), Violences politiques en France de 1986 à nos jours (Paris : Presses de Sciences Po, 2021).
Anne Steiner, Le Goût de l’émeute. Manifestations et violences de rue dans Paris et sa banlieue à la « Belle Époque » (Paris : L’Échappée, 2012).


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Poetics of the riot

Issue of L'Esprit créateur guest-edited by Justine Huppe (Université de Liège) et Julien Jeusette (Università degli Studi di Milano).
 
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Proposals (250-300 words) by 15/01/2022 to justine.huppe@uliege.be and julienjeusette@hotmail.com

Articles by:  15/07/2022 

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In a book about the resurgence of social conflicts in the 21st century, Alain Badiou wrote: “we live in the time of riots” (2011). This claim is corroborated by sociologists, historians, political scientists and anthropologists such as Alain Bertho, Joshua Clover, Romain Huet, Michel Kokoreff or Isabelle Sommier. In recent decades, in France and around the world, riots have played a major role in the repertoire of collective action (Los Angeles, 1992; Clichy-sous-bois, 2005, Villiers -le-Bel, 2007; Athens, 2008; Hamburg, 2009; Tottenham and Liverpool, 2011; Ferguson, 2014; Wukan, 2011 and 2016, etc.). However, against the dominant discourse that characterizes the riot as vandalism and irrational, gratuitous violence--etymologically, the term is linked to emotion--these researchers emphasize the political dimension of the riot. They insist on the need to take this phenomenon into account without disqualifying it from the outset, in order to reflect on its dynamics, its social value and its rationality.

The term “riot”, however, is vague. Even among those who grant the riot a political dignity, the term is often indistinct from insurrection, uprising, wildcat strike, or even the occupy movements; in short, it refers to any protest that does not fit into the forms of opposition provided for by liberal democracy. While taking note of the difficulty to define the term, this issue will concentrate on what Badiou calls “the immediate riot”, that is, a spontaneous collective movement, limited in time, which, most often in an urban environment, goes beyond an official and authorized framework (street fights, clashes, damage, etc.).

Such riots pervade contemporary literary production. Along with the increase in riots observed by the social sciences, there is an interest or a fascination for this type of protest in the works of writers as different as Pierre Alféri, Aurélie Champagne, François Cusset, Sophie Divry, David Dufresnes, Yannick Haenel, Leslie Kaplan, Lola Lafon, Noémi Lefebvre, Marin Fouqué, Wilfried N'Sondé, Joël Pommerat, Nathalie Quintane, Charles Robinson, Lyonel Trouillot, Antoine Volodine, Éric Vuillard... This special issue fits within the framework of studies questioning the relationships between literature and political radicalities (Hamel, 2018; Goin & Jeusette, 2018; Huppe, Bertrand & Claisse, 2020). It examines the riot as a literary phenomenon, attempting to describe, to map and analyze contemporary riot poetics.

Drawing on a corpus open to writings not necessarily labelled as “literary” (books of the Comité invisible, slogans of the “cortège de tête”, articles published on lundi.am), the issue will consider three lines of research:
 
           a) Poetics

           « A riot is the language of the unheard », said Martin Luther King. How does literature take up this language? Are there archetypal scenes in the representation of riots, recurring metaphors, particular narrative processes for recounting this type of event? When the texts evoke riots that actually took place, do they differ from media representations? What is the place of imaginary riots in contemporary fiction? Do the writers aim to reintroduce clarity, rationality, or complexity into a seemingly opaque form of action? Can the riot be a metaphor for particular kinds of writing (Christophe Hanna compared, for instance, the poetic “dispositifs” he favours to the action of the “casseurs”)? 

           b) Politics

           Often, the disqualification of the riot is redoubled by the disqualification of the subjects who participate in it. Joshua Clover thus recalls how the apparently “unreasonable” dimension of the riot is consistent with the racist prejudices nurtured against those who are at the origin of the revival of rioting in the United States. A similar observation could be made in France, given the reactions to the suburban revolts of 2005 (Niang 2019). Does literature renew these depoliticizing readings, or does it seek to displace them? If the riot is valued or devalued in literary texts, how does this “interpretation” come about? Does the writer want the reader to identify with the rioters, in accordance with a kind of “revolutionary romanticism” (Lefebvre 1957)? Does the riot narrative aim to produce “unruly subjects” (Razsa 2014)? To what extent do writers support or encourage riots (Alféri et al., 2010) and with what means (forums, manifestos, novels, etc.)?

           c) History

           Revolutions have their memories and counter-memories, cultivated (among others) in literary texts, but what about riots? Do they have their own memories and modes of transmission? Do writers aim to archive, through literary texts, the memory of riots, whose brief and allegedly disorganized dimension complicates recording? Do contemporary writers base their texts on older fictions (Les Misérables by Hugo, for instance), or, on the contrary, do they seek to distance themselves from these models (Vuillard, for example, going back to the 16th century, in La Guerre des Pauvres)? If the previous century (from the end of the 19th to the end of the 20th) was that of the strike and the supervised demonstration, whereas we have now entered into the era of uprisings and riots (Clover), what models and references do contemporary authors use to reflect on these particular forms of social conflict?
 
Bibliography

Pierre Alféri et al., « Pour les cinq de Villiers-le-Bel », Libération (21 juin 2010, URL : https://www.liberation.fr/societe/2010/06/21/pour-les-cinq-de-villiers-le-bel_660439).
Alain Badiou, Le Réveil de l’histoire (Paris : Lignes, 2011).
Franco Berardi, The Uprising : On Poetry and Finance (Cambridge : MIT Press, 2012).
Alain Bertho, Le Temps des émeutes (Paris : Bayard, 2009).
Alain Bertho, Time over ? Le temps des soulèvements (Vulaines-sur-Seine : éditions Du croquant, 2020).
Joshua Clover, L'Émeute prime. La nouvelle ère des soulèvements (Paris : Entremonde, 2018).
Mike Davis, Au-delà de Blade Runner. Los Angeles et l’imagination du désastre (Paris : Allia, 2006).
Georges Didi-Huberman, Désirer désobéir. Ce qui nous soulève, vol. 1 (Paris : Minuit, 2019).
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer. Ce qui nous soulève, vol. 2 (Paris : Minuit, 2021)
Émilie Goin & Julien Jeusette, Écrire la révolution (Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2018).
Jean-François Hamel, Nous sommes tous la pègre (Paris : Minuit, 2018).
Christophe Hanna, « Actions politiques/Actions littéraires » in Jean-Christophe Bailly et al., « Toi aussi tu as des armes » Poésie & politique (Paris : La Fabrique, 2011).
Romain Huët, Le Vertige de l’émeute (Paris : PUF, 2019).
Justine Huppe, Jean-Pierre Bertrand & Frédéric Claisse, Radicalités. Contestations et expérimentations littéraires, Fixxion, 20 (2020).
Michel Kokoreff, La Diagonale de la rage. Une histoire de la contestation sociale en France des années 1970 à nos jours (Paris : Divergences, 2021).
Henri Lefebvre, Vers un romantisme révolutionnaire (Paris : Lignes, 2011 [1957]).
Mame-Fatou Niang, Banlieues, féminités et universalisme (Leiden-Boston : Brill-Rodopi, 2019).
Nathalie Quintane, « Lettre à Jean-Paul Curnier », Les Années 10 (Paris : La Fabrique, 2014).
Maple John Rasza, « Beyond “Riot Porn” : Protest Video and the Production of Unruly Subjects », Journal of Anthropology, 79.4 (2014).
Isabelle Sommier (dir.), Violences politiques en France de 1986 à nos jours (Paris : Presses de Sciences Po, 2021).
Anne Steiner, Le Goût de l’émeute. Manifestations et violences de rue dans Paris et sa banlieue à la « Belle Époque » (Paris : L’Échappée, 2012).