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Nouvelles lectures politiques de Jules et Michel Verne (Amiens)

Nouvelles lectures politiques de Jules et Michel Verne (Amiens)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, UPJV)

Colloque

Nouvelles lectures politiques de Jules et Michel Verne

Amiens, 17-18 mars 2022

 

Cinquante ans après la publication par Jean Chesneaux d’Une lecture politique de Jules Verne, complété quelques années plus tard par de Nouvelles lectures politiques de Jules Verne, le sujet reste encore largement ouvert. Que l’œuvre de Jules Verne soit essentiellement politique est désormais admis dans la sphère académique. La découverte puis une lecture attentive des ouvrages posthumes, plus ou moins profondément remaniés par Michel, l’édition parallèle lorsque cela était possible du texte de Jules et de celui de Michel (Le Beau Danube jaune/Le Pilote du Danube ; En Magellanie/Les Naufragés du Jonathan ; Le Secret de Wilhelm Storitz ; Le Phare du bout du monde ; Le Volcan d’or, version originale et version revue) ont contribué à attirer l’attention sur un discours propre à Michel qui remet en lumière les choix de son père, de même que la génétique textuelle vernienne avait fait le départ entre marqueurs idéologiques propres à Jules et corrections de Hetzel. Mais rares demeurent les études disposées à creuser le sens politique de l’œuvre de Jules Verne, voire celui des ouvrages de Michel.

La tentation est évidemment grande de vouloir politiser Verne ou les Verne, dans un sens qui serait celui de notre modernité : il est loisible d’aborder dans la perspective des post-colonial studies celui qui, des Enfants du capitaine Grant à Mistress Branican ou Un capitaine de quinze ans dénonçait avec virulence le génocide (on n’employait pas encore ce terme) perpétré par les colons anglais et qui s’est prononcé à de nombreuses reprises contre les « doctrines anti-humaines de l’esclavagisme » (Le Testament d’un excentrique). On pourrait aisément développer une approche environnementaliste des Voyages extraordinaires qui tous font la part belle à la description des paysages naturels et posent, en de nombreux passages, la question de leur préservation : le « négationnisme économique », la collapsologie peuvent puiser leurs exemples dans une œuvre qui n’hésite pas à envisager de redresser l’axe de rotation de la Terre au risque de provoquer un abaissement ou une élévation du niveau des eaux susceptible d’assécher ou de noyer une partie du monde (Sans dessus dessous) ou qui met en scène l’engloutissement final de l’île Lincoln dans L’Île mystérieuse. Ne pourrait-on pas même envisager une lecture intersectionnelle autour de quelques grandes figures féminines, au premier rang desquelles Mrs Aouda (Le Tour du monde en quatre-vingts jours) ou l’esclave Zermah (Nord contre Sud) ? Sans doute pourrait-on aussi parler de l’augmentation technologique de l’homme voire de transhumanisme au regard de certains personnages si étroitement liés à la machine qu’ils semblent en épouser le fonctionnement : Phileas Fogg pourrait en être une esquisse, prolongeant les rêveries de Paris au XXe siècle.

S’il ne s’agit pas de repousser ces approches, il reste cependant nécessaire de dégager plus clairement le rapport de l’œuvre aux problématiques qui lui sont contemporaines, afin de tenter de nouvelles lectures politiques de(s) Verne. Quatre grands axes peuvent être envisagés : le rapport à la nation auquel Renan consacre une vibrante conférence en 1882, le rapport à la démocratie dans un second XIXe siècle qui voit les empires fragilisés cependant que l’Amérique impose l’horizon démocratique naguère dessiné par Tocqueville, le lien au libéralisme entendu dans sa double dimension de défense des libertés individuelles et de doctrine économique, enfin la tension entre l’individu et les modèles sociaux face auxquels l’individu déploie sa liberté.

La question de la nation se pose avec acuité dans la seconde moitié du XIXe siècle, marquée par une première mondialisation qui se décline sous diverses formes, des conflits guerriers au cosmopolitisme soutenu par le développement des voyages, mais aussi des traductions ou de la presse dont plusieurs romans soulignent l’influence avant même La Journée d’un journaliste américain en 2889. Nombreux sont les romans de Verne qui interrogent les frontières et leur passage, du Tour du monde en quatre-vingts jours à Mathias Sandorf en passant par Kéraban-le-Têtu et les Mirifiques aventures de Maître Antifer. Parcourant le monde, les héros s’interrogent sur ce qui fait la patrie et sur ce qui fait la nation, patrie et nation apparaissant parfois dans une complémentarité indistincte : Sandorf, le patriote hongrois, s’affirme pourtant bientôt sans patrie et fonde à Antekirtta une nouvelle nation ; quant à Servadac, est-ce une patrie ou une nation qu’il prétend installer sur la comète qui emporte les représentants de plusieurs nationalités ? On a pu présenter Verne en défenseur des nationalités, dans une perspective quarante-huitarde : force est pourtant de constater qu’il ne les défend pas systématiquement – la guerre d’indépendance bulgare est ainsi totalement passée sous silence dans Le Beau Danube jaune –, s’y attache parfois sans constance – la Hongrie est ainsi tantôt victime (Mathias Sandorf), tantôt agresseur (Le Château des Carpathes) – ou sans connaissances précises comme le montre Un drame en Livonie. Le défenseur des nationalités est-il nationaliste ? De nombreux romans, notamment ceux consacrés à l’Amérique, soulignent les tentations sécessionnistes, à rebours du rêve ou d’un mythe d’unité nationale. La conquête coloniale au profit des grandes puissances européennes ouvre le questionnement sur une approche ethnique voire ethniciste : les peuples colonisés font-ils nation ?

Corollaire à bien des égards des interrogations sur la nation se pose la question du régime et de l’expression démocratique : du régime autoritaire du Tsar de toutes les Russies (Michel Strogoff) aux réticences du Kaw-Djer à exercer le pouvoir (Les Naufragés du Jonathan), tous les régimes politiques sont représentés dans les romans. Les « robinsonnades » de Verne mettent la démocratie à l’épreuve, puisque les Robinsons, quel que soit leur âge, doivent se désigner un chef. Il en va de même des personnages abandonnés pour une raison ou une autre en des lieux improbables, sur une comète (Hector Servadac) ou sur la lune : du moins les habitants du boulet expédié Autour de la lune l’imaginent-ils, qui envisagent déjà l’organisation politique de la future colonie. Du gouvernement des savants et des ingénieurs à l’anarchie, de la manipulation des masses aux différents processus d’élection, du suffrage à l’acclamation en passant par le tirage au sort, les romans de Verne posent la question de la constitution du pouvoir, de sa représentativité, de son autorité, également inscrite au cœur des cités utopiques ou dysphoriques qu’imagine le romancier. A cet égard, il est intéressant de mettre les romans en regard de l’activité politique de Verne, conseiller municipal à Amiens, même s’il insiste sur la dimension purement administrative de son mandat.

La tension entre autorité et liberté s’inscrit aussi au cœur des structures sociales qu’interroge Verne, famille, classe, entreprise, Église, constitutives d’une politique définie comme « vivre ensemble ». La structure familiale adopte dans les romans des contours variés, de la famille nucléaire du Secret de Wilhelm Storitz organisée autour du couple parental à la « tribu » de 26 enfants de Famille-Sans-Nom, des structures matriarcales générées par la fréquente absence des pères (des Enfants du capitaine Grant à Famille-sans-nom en passant par Mathias Sandorf ou Mistress Branican) à l’auto-gestion des enfants, qu’ils soient orphelins comme P’tit Bonhomme, naufragés comme les personnages de Deux ans de vacances, susceptibles d’exercer de lourdes charges comme Dick Sand dans Un capitaine de quinze ans ou P’tit Bonhomme devenu négociant. La question des classes semble a priori neutralisée, dans un roman où s’affirme l’autorité du savant, où l’enrichissement peut tenir à un pari réussi et où les domestiques négocient leur contrat. Il n’empêche que fait parfois retour une logique de lutte des classes (Le Chancellor) ou que la classe de loisirs peut apparaître dangereusement détachée du commun de l’humanité (L’Île à hélice). Enfin si les références religieuses sont relativement rares, elles ne sont pas pour autant absentes : la religion, plus que la foi, tient une large place notamment dans les romans « coloniaux », comme dans La Maison à vapeur ou L’Invasion de la mer. N’oublions pas que les héros les plus célèbres peut-être de Verne, le capitaine Nemo et Cyrus Smith, ont pu être regardés comme figures respectivement de la Providence divine et du Christ. Une étude approfondie des marques du religieux et du discours religieux chez Verne manque encore cependant. Et nous sentons que c’est ici aussi, tant dans la question religieuse que dans celle des structures sociales, que peuvent apparaître d’intéressantes tensions entre le discours romanesque du père et celui du fils.

La question des libertés ou du libéralisme sous tous ses aspects est contenue dans les précédentes : le roman du voyage, des nationalités, des assemblées et des systèmes de gouvernement est aussi le roman de la libre circulation des biens et des personnes, de la libre expression des pensées et des opinions, de l’examen des droits, devoirs et engagements individuels. Il existe dans le roman vernien une véritable interrogation, jusqu’à la perplexité, sur la liberté de contracter (La Chasse au météore) et un véritable goût pour la formulation des opinions contradictoires et la multiplication des points de vue. Il serait plutôt du côté du pluralisme que de la psychologie des foules. Il serait par-là inquiet du dissensus, lequel ne tarde pas à se figer en rivalité mimétique (Les Cinq Cents Millions de la Bégum). Quant à la question économique, omniprésente, imposée par la structure même de la série des Voyages – comment voyager sans ressources ? –, nourrie par un intérêt pour une géographie totale inspirée de la Nouvelle Géographie universelle d’Elisée Reclus, elle suscite de même bien des interrogations. Défenseur acharné de la libre circulation des personnes et des biens revendiquée à travers les aventures de Kéraban-le-Têtu, mais également de la libre circulation des savoirs au motif que « Les résultats obtenus par un savant ne lui appartiennent pas en propre ! » (L’Etoile du Sud), y compris des savoirs appliqués et des innovations industrielles, Jules Verne, qui a commencé sa carrière à la Bourse, réfléchit au commerce, aux effets de surenchère et d’emballement, aux différentes formes de spéculation, depuis la création d’une « Société en commandite (limited), au capital de cent millions de dollars » qui achève le voyage Autour de la lune, jusqu’aux fictions de Hopkins dans Le Humbug : si l’ingénieur est un personnage essentiel des Voyages, le commerçant sous toutes ses formes y tient aussi son rôle, et le parieur ou le spéculateur pointent sous tout débatteur. Cette figuration du libéralisme dans son acception économique et dans l’intense vie médiatique qui en est le corollaire, le journal lisant les signes de l’économique (voir la Bourse de San Francisco dans Les Cinq Cents Millions de la Bégum), semble parfaitement ambivalente. Capitaliste, défenseur de l’entreprise privée et de l’esprit d’entreprise jusque chez les enfants (P’tit Bonhomme), Verne n’hésite pas pour autant à condamner dans de nombreux romans le désir d’enrichissement et la fièvre de l’or (Le Volcan d’or), mais aussi parfois la propriété. Chantre de l’entreprise, il promeut dans ses robinsonnades un artisanat bien pensé qui est de facto soustrait aux lois du marché et concentré sur la valeur d’usage. Souvent présenté comme un prophète du progrès, il dénonce cependant les risques d’une industrialisation sauvage et, véritablement malthusien, prévoit l’épuisement des ressources naturelles (Les Indes noires). Paris au XXe siècle soulignait en retour les écueils du malthusianisme. Si Verne n’est assurément pas plus économiste qu’il n’est scientifique, la question économique traverse les Voyages extraordinaires.

La manière dont le roman vernien conjugue pensée de la nation et figuration du cosmopolitisme, la manière dont il pense la démocratie et le suffrage (dans un contexte d’affirmation républicaine dont Jules et Michel n’ont peut-être pas la même perception), la façon dont il représente et met en question des structures sociales (idem), ou encore dont il examine l’effet composé des libertés (et en particulier du libéralisme économique) paraissent pouvoir nourrir autant de nouvelles lectures politiques de Jules et/ou Michel Verne, sans préjuger d’autres pistes de réflexion.

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Les propositions de communication à ce colloque (5000 signes environ, avec un titre provisoire) seront adressées d’ici le 15 septembre 2021 à marie-francoise.montaubin@u-picardie.fr et christophe.reffait@u-picardie.fr.

Elles seront examinées par un comité scientifique dont la composition sera précisée prochainement. Les actes de ce colloque feront l’objet d’un « Hors-série » de la revue Romanesques (Classiques-Garnier) qui paraîtra le 1er décembre 2022, les articles retenus devant être prêts pour la première quinzaine de juin 2022.

  • Responsable :
    CERCLL, UPJV
  • Adresse :
    Amiens, Université de Picardie Jules Verne