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Monde en crise, crise du Moi : réinventions littéraires de 1789 à Mai 68

Monde en crise, crise du Moi : réinventions littéraires de 1789 à Mai 68

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Annabelle Marion)

Monde en crise, crise du Moi : réinventions littéraires de 1789 à Mai 68

Colloque à l’Université de Paris, les 7 et 8 avril 2022.
Organisation : Annabelle Marion, Blandine Poirier.


« Toute désorganisation accrue porte […] en elle le risque de mort, mais aussi la chance d’une nouvelle réorganisation, d’une création, d’un dépassement » : par ces mots, le sociologue Edgar Morin met en lumière « le double visage de la crise[1] », qui signe la fin d’un ordre ancien et le début d’un ordre nouveau. Si elle constitue une épreuve souvent douloureuse, la crise se révèle également féconde en ce qu’elle contraint celles et ceux qui la traversent à investir ou à inventer des solutions nouvelles susceptibles d’y répondre.
La crise peut s’opérer à une échelle collective, comme remise en cause d’un ordre social et politique, ou à une échelle individuelle, comme bouleversement des repères et des habitudes. Il arrive que la crise individuelle survienne indépendamment du contexte social et politique : la perte d’un être cher, l’expérience de la maladie, la rupture amoureuse ou l’interrogation spirituelle sont autant de schèmes biographiques identifiés par Barthes dans les vies d’écrivains que présentent les manuels[2]. Barthes évoque également dans son analyse des cas d’écrivains soumis aux turbulences de l’Histoire, sans pour autant avoir approfondi le rapport entre crise collective et crise individuelle.
C’est ce rapport que nous souhaitons explorer en interrogeant la manière dont la crise comme « désorganisation » sociale et politique, se répercutant dans le parcours d’un écrivain, peut conduire à un « dépassement » de son ancienne identité auctoriale. Ainsi, ce n’est pas la « création » née de la crise, évoquée par Morin, qui nous intéressera mais la re-création : comment la crise qu’expérimente une société à un moment donné peut-elle aboutir à une réinvention de l’écrivain et/ou de son œuvre ?
En partant de la Révolution de 1789 jusqu’à Mai 68, nous interrogerons la manière dont les écrivains ont traversé les crises qui ont jalonné l’Histoire, et la façon dont celles-ci ont contribué au renouvellement de leur œuvre ou de leur image d’auteur. 


Dans cette optique, différents axes d’étude seront envisagés :
1) La crise conduit à une remise en question des repères et des certitudes qui peut impacter la manière dont un écrivain conçoit son identité, son rôle ou son œuvre. Jusqu’à quel point une crise collective est-elle susceptible de conduire à un renouvellement chez un auteur ? La nature même de ce renouvellement doit être interrogée. Les mouvements de l’Histoire peuvent entraîner l’écrivain à adopter une nouvelle posture face au monde, le menant à s’engager ou au contraire à se retirer. Ainsi Hugo se fait-il le défenseur des opprimés après la révolution de 1848 tandis qu’à cette même date George Sand débute un cycle champêtre qui semble bien éloigné de son engagement antérieur. Le renouvellement peut aussi être d’ordre esthétique : le passage d’un genre à un autre, le changement thématique ou l’évolution stylistique en sont autant de manifestations possibles. Dans quelle mesure, dès lors, l’écriture représente-t-elle un moyen de dépasser la crise ?
2) La crise peut également mettre en danger l’écrivain : les changements de régime font de certains auteurs des exilés ou des « traîtres », les contraignant à justifier leurs choix, à réaffirmer leur statut, voire leur autorité. Quelles stratégies de défense un écrivain attaqué peut-il mettre en place ? La publication, en 1791, de De l’administration de M. Necker par lui-même est ainsi pour l’ancien ministre la tribune idéale pour conduire sa propre réhabilitation, en adoptant un ton polémique inédit sous sa plume. De quelle manière un auteur qui a vu son image défigurée peut-il tenter de la reconstruire ? Outre les mémoires et les autobiographies, les préfaces, les postfaces ou les entretiens constituent des lieux d’observation privilégiés de ce processus. Les œuvres de fiction méritent aussi d’être interrogées : dans quelle mesure proposent-elles des transpositions de la vie de l’auteur, qui sont autant de tentatives d’explication ou de justification ?
3) Quelles sont les images convoquées par l’écrivain et/ou le public pour décrire sa réinvention à la suite d’une crise ? Le retour d’un auteur après une période d’éclipse se fait-il sur le mode de la renaissance glorieuse d’un phénix, ou sur celui de la « revenance » inquiétante d’un spectre ? Et quelles réactions suscite ce retour (incompréhension, méfiance, célébration) ? Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, après une période de silence imposé aux auteurs accusés de collaboration, le renouvellement de Giono est ainsi perçu comme une miraculeuse métamorphose tandis que le retour de Céline évoque celui d’un fantôme gênant. Dans quelle mesure le public et la critique participent-ils à ce processus de réinvention de l’image de l’auteur ? L’étude de réception s’appuiera sur l’analyse de la presse, des ouvrages critiques, mais aussi des représentations iconographiques (dessins, caricatures, tableaux, photographies, films…).


Bibliographie indicative :
Ruth AMOSSY, La présentation de soi, Ethos et identité verbale, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.
Ruth AMOSSY, « La double nature de l’image d’auteur », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 15 octobre 2009, n°3.
Roland BARTHES, La Préparation du Roman. Cours au Collège de France 1978-79 et 1979-80, Paris, Éditions du Seuil, 2015.
José-Luis DIAZ, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007.
Jérôme MEIZOZ, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine Érudition, 2007.
Jérôme MEIZOZ, « Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], n°3, 15 octobre 2009.
Edgar MORIN, « Pour une crisologie », Communications, n°25, « La notion de crise », 1976.


Comité scientifique :
José-Luis Diaz (Université de Paris)
Evelyne Grossman (Université de Paris)
Florence Lotterie (Université de Paris)
Annabelle Marion (Université de Paris)
Jérôme Meizoz (Université de Lausanne)
Claude Millet (Université de Paris)
Blandine Poirier (Université de Paris)
Jean-Marie Roulin (Université Jean Monnet - Saint-Étienne)
Gisèle Sapiro (EHESS-CNRS)
Alain Vaillant (Université Paris-Nanterre)

 

Les communications seront de 30 min.
Les propositions de contribution (d’environ 500 mots) sont à envoyer à l’adresse reinventions.litteraires@gmail.com avant le 15 février 2022. 


 
[1] Edgar Morin, « Pour une crisologie », Communications, n°25, « La notion de crise », 1976, p. 161.
[2] Roland Barthes, La Préparation du Roman. Cours au Collège de France 1978-79 et 1979-80, Paris, Éditions du Seuil, 2015, p. 466-467.