Revue
Nouvelle parution
Littératures classiques61: Mme de Villedieu.

Littératures classiques61: Mme de Villedieu.

Publié le par Marc Escola (Source : N. Grande)

Madame de Villedieu, ou les audaces du roman


Actes du colloque international tenu à l’Université Lumière Lyon 2
les 16 et 17 septembre 2004

réunis et présentés par Nathalie Grande et Edwige Keller Rahbé
Groupe Renaissance et Âge Classique (GRAC - UMR 5037)



TABLE DES MATIÈRES

Nathalie Grande, Edwige Keller Rahbé
Villedieu, ou les avatars d’un nom d’écrivain(e)    p. 1

I – Textes    p. 23

Giorgio Sale
Cléonice ou le roman galant : entre renouvellement générique et réception problématique    p. 25

Yves Giraud
Agencements narratifs et variations thématiques dans le Journal amoureux    p. 35

Marie Gabrielle Lallemand
Les Exilés : forme et signification    p. 45

Gérard Letexier
Les Exilés de la Cour d’Auguste : Madame de Villedieu entre tradition et modernité    p. 57

Christophe Martin
Fabulation barbaresque et ingéniosité romanesque : à propos des Nouvelles affriquaines    p. 71

Jan Herman
La Fortune est bonne romancière : la fiction comme infection dans les Mémoires de la vie de Henriette Sylvie de Molière    p. 83

Jean Paul Sermain
Mémoires de la vie d’Henriette Sylvie de Molière : un point de vue féminin sur le mot d’esprit dans les années 1670    p. 93

Jean Garapon
Le Portefeuille, roman d’éducation en miniature    p. 103

Monika Kulesza
La lettre et la maxime, instruments du récit dans Les Désordres de l’amour de Mme de Villedieu    p. 111

II – Synthèses    p. 119

Charlotte Simonin
Des seuils féminins ? Le péritexte chez Madame de Villedieu    p. 121

Claudine Nédélec
Approches de la poétique du recueil chez Madame de Villedieu    p. 137

Nobuko Akiyama
Écouter et voir sans être aperçu : une situation théâtrale dans quelques nouvelles de Mme de Villedieu    p. 153

Suzanne Guellouz
L’exotisme de Madame de Villedieu    p. 165

Christian Zonza
La houlette et le sceptre : une écriture entre fiction et histoire    p. 175

III – Échos    p. 187

Laurent Thirouin
Mme de Villedieu et le pseudo Pascal. Désordres et passions de l’amour    p. 189

Nathalie Fournier
Affinités et discordances stylistiques entre Les Désordres de l’amour et La Princesse de Clèves : indices et enjeux d’une réécriture    p. 207

Rudolf Harneit
Quelques aspects de la réception de Mme de Villedieu et Jean de Préchac en Europe : éditions, rééditions et traductions de leurs romans et nouvelles    p. 223

BIBLIOGRAPHIE    p. 237
 
Au lecteur désireux d’entrer dans l’univers littéraire de Mme de Villedieu, le « seuil » pose d’emblée problème, avec son inscription fluctuante du nom d’auteur : Alcidamie. Par Mademoiselle Desiardins (1661) ; Les Amours des grands hommes. Par M. de Villedieu (1671 1678) ; Les Exilez, par Me de Villedieu (1672 1678) ; Annales galantes de Grece. Par Madame de Ville Dieu (Baritel, 1697) ; Avantures ou Galanteries grenadines. Par Mademoiselle de Villedieu. Divisées en cinq Parties (Baritel l’aîné, 1711)… Le chercheur soucieux d’approfondir les choses se heurte au même casse tête onomastique en consultant catalogues et bibliographies. Quant aux principales études consacrées à l’auteure, elles renforcent la perplexité en même temps qu’elles désignent une vraie énigme. Si Émile Magne choisit Madame de Villedieu (Hortense des Jardins) 1632 1692, pour sous titre à sa fameuse étude sur les Femmes galantes du XVIIe siècle, Bruce A. Morrissette intitule sa biographie : The Life and Works of Marie Catherine Desjardins (Mme de Villedieu) 1632 1683, tandis que Micheline Cuénin opte, dans sa thèse, pour le sous titre : Madame de Villedieu (Marie Catherine Desjardins 1640 1683).
Variations dans les noms, donc, mais aussi dans les prénoms, les graphies, et même… le sexe ! Surtout, variation frappante, via un jeu savant de parenthèses, dans la hiérarchie adoptée pour les noms. D’où il ressort une difficulté pratique : comment désigner l’auteure Villedieu, Mlle Desjardins ou Mme/Melle de Villedieu ? Au demeurant, parle t on de la même personne ? Et s’agit il de la même figure publique ? La pertinence et la légitimité de ces questions trouvent à l’évidence un autre fondement dans les pratiques littéraires de Mme de Villedieu. De la « diversité des dénominations auctoriales »  – onymat, pseudonymat, anonymat –, l’auteure explore, voire sature, tous les possibles.
Reste aussi à s’interroger sur la pratique actuelle, et donc sur notre propre pratique, de l’onomastique. Micheline Cuénin dans sa thèse avait contourné l’obstacle en titrant : Roman et société sous Louis XIV : Madame de Villedieu (Marie Catherine Desjardins 1640 1683). Il semblerait que la disparition du prénom au profit du titre de civilité, et le passage du patronyme des débuts au nom de plume choisie par l’amante recoupe la distinction entre nom d’auteur (c’est le seul nom qui figure en couleurs et en gros caractères sur la page de garde) et nom de personne privée. Mais une telle interprétation ne minore t elle pas les premières œuvres de l’écrivaine, et ne donne t elle pas trop d’importance à la rencontre avec Antoine Boësset, l’encombrant M. de Villedieu ? En renvoyant au statut – non acquis – d’épouse, ce nom confère peut être une légitimité et un prestige que n’offre pas le nom de jeune fille : le « Madame » installe l’auteure dans une légitimité sociale que le prénom ou le titre toujours un peu ridicule de « Mademoiselle » n’ont jamais donnée. L’adjonction de la particule, qui manquait au patronyme, ainsi que la sonorité prestigieuse d’un nom aux riches consonances, fait de surcroît entrer la personne dans le cercle valorisant des noms aristocratiques. Pour autant, en cachant la modeste Marie Catherine Desjardins, le nom de « Madame de Villedieu » ne traduit il pas une forme d’aliénation sociale de la femme, soumise par l’usage français à perdre son nom et à n’exister que comme déclinaison du patronyme de l’époux ? Pour ce qui concerne « Madame de Villedieu » cette aliénation se manifeste surtout par la valorisation du nom de l’amant, triste sire à en juger par les biographies, et que son passage dans la vie de… qui vous savez a propulsé au rang de référence littéraire.
Peut on pour autant changer l’usage ? Outre Atlantique, dans les gender studies, on a vu ces dernières décennies apparaître l’emploi du nom sans terme de civilité : « Villedieu », qui se veut neutre. En gommant le sexe de l’auteure, le nom isolé présente l’avantage de traiter sans discrimination les signatures masculines et féminines, ce qui résout une difficulté réelle inhérente à la langue française. On peut cependant regretter que cet usage n’entraîne certaines confusions quant au référent que l’on souhaite désigner, car la neutralité vaut masculin dans l’usage français : Mme de Villedieu ne risque t elle pas ainsi de se voir inopinément dépossédée de sa création ? En effet, la dénomination traditionnelle correspond aussi à la volonté de la principale intéressée : même si une partie de ses œuvres n’est pas parue sous ce nom, même si ce nom fait trop d’honneur à Antoine Boësset, ce choix de « Madame de Villedieu » nous semble devoir être respecté, justement parce c’est un choix, et que ce nom si ambigu, et peut être si critiquable, a été celui qu’elle a voulu mettre en tête de ses œuvres de maturité. Le Dictionnaire du Grand Siècle (Fayard,1990) de François Bluche a raison d’indiquer avec une précision toute historienne « Mme de Chaste de Chalon, née Marie Catherine Desjardins, dite Mme de Villedieu » ; il n’en demeure pas moins que c’est à l’article « Villedieu », et nulle part ailleurs, que toutes ces précisions sont données. D’où le titre de ce numéro de Littératures classiques…

Nathalie Grande
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
Groupe Renaissance et Âge classique (GRAC – UMR 5037)

Edwige Keller Rahbé
Université Lumière Lyon 2
Groupe Renaissance et Âge classique (GRAC – UMR 5037)