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Les jeux vidéo francophones : y a-t-il une French Touch? Des développeurs et créateurs indépendants à Ubisoft 

Les jeux vidéo francophones : y a-t-il une French Touch? Des développeurs et créateurs indépendants à Ubisoft

Publié le par Vincent Berthelier (Source : Alternative Francophone)

Les jeux vidéo francophones : y a-t-il une French Touch?
Des développeurs et créateurs indépendants à Ubisoft

L’industrie culturelle vidéoludique est dominée par deux géants, les États-Unis et le Japon. D’autres pays, dont la France, ont pourtant réussi à se tailler une part de marché non négli- geable dans ce domaine. Souvent, les développeurs et éditeurs français ou francophones se sont présentés sur les marchés francophones en adaptant des personnages ou thèmes francophones, misant sur des héros de la culture populaire déjà célèbres, et, au vu de l’importance de la bande dessinée, nombreux sont ceux qui viennent de cet univers. Ainsi, comme le cinéma français l’a fait, des jeux vidéo ont repris les aventures d’Astérix, Tintin, Spirou, Titeuf, XIII, etc. Pourtant, bon nombre de ces compagnies de jeux vidéo ont aussi fait le choix de s’inspirer d’autres cultures pour proposer des produits avec des narrations nouvelles. Récemment, Detroit: Become Human de Quantic Dream s’est placé dans la continuité de la pensée japonaise sur l’androïde et son âme, alors que Life is Strange de Dontnod a traité de l’histoire d’une jeune femme au prisme de la contre-culture américaine. Pourtant, ces jeux vidéo demeurent très français dans leur dé- marche artistique.

D’un point de vue organisationnel et historique, les créateurs français sont en général soit des indépendants (Eric Chahi, Frédéric Raynal, Paul Cuisset), soit des sociétés de taille intermé- diaire (Dontnod, Quantic Dream, Cyanide, etc.). L’exception est Ubisoft, qui est sans aucun doute l’une des sociétés francophones les plus importantes. Ubisoft est une société créée par les frères Guillemot, originaires du Morbilhan. Celle-ci se détache des autres entreprises en raison de sa taille importante - 13 742 employés et 45 studios de développements en 2018 - , mais aussi de sa démarche créative favorisant la narration en monde-ouvert de jeux AAA — en dehors de son studio à Montpellier —, plutôt que les jeux linéaires ou semi-linéaires. Par ailleurs, cette so- ciété a marqué son désintérêt pour la reprise de personnages ou contextes francophones, préfé- rant s’appuyer sur des créations originales où la création d’univers prévaut sur les histoires. Avant de multiplier ses locaux dans divers pays, elle employait des ingénieurs, designers, concepteurs, scénaristes, tous de langue française. Michel Ancel en est l’un des représentants les plus connus. Présente sur plusieurs continents, l’une des questions est de savoir dans quelle me- sure ses jeux restent français ou francophones, et d’étudier ainsi son cycle de création, de la pré- production à la post-production (Martel, 2010).

Cependant, qu’y a-t-il de français ou de francophone aux sens linguistique et culturel dans les jeux créés par Ubisoft? Qu’est-ce qui serait français dans un jeu comme Prince of Persia produit par Ubisoft, mais créé par Jordan Mechner né à New York? Ont-ils davantage quelque chose d’« européens » (la référence dominante au passé, à l’histoire, spécialement antique dans Prince of Persia ou de pré-moderne dans Assasssin’s Creed? Serait-ce par d’autres aspects que le « thème » qu’Ubisoft se distinguerait des autres sociétés francophones et surtout américaines et japonaises? Le degré ou le type de violence? Le genre de narration? Le type de jouabilité?

Alternative francophone cherche des textes qui réfléchissent sur la « French Touch » du jeu vidéo chez Ubisoft ainsi que dans les autres sociétés françaises.

Axes de recherche :

Ubisoft

Ubisoft est une société singulière du paysage vidéoludique français. En dehors de l’échec reten- tissant de Ghost Recon: Breakpoint, sa production la plus récente, elle a toujours montré un sa- voir-faire dans la création de succès commerciaux au travers de différentes licences. Outre sa taille, quelle est sa spécificité comparée à d’autres sociétés vidéoludiques françaises et franco- phones? En cela, peut-on déterminer des critères de succès d’un jeu vidéo sur les marchés fran- cophones et internationaux? En 2005, Ubisoft s’est installée à Montréal et est devenue un pôle puissant. Y a-t-il quelque chose de québécois?, de francophone dans cette nouvelle entité? Par ailleurs, la réception et la réputation des jeux Ubisoft en France est-elle différente de celle au Québec? Et dans d’autres pays non francophones? Au travers de l’analyse d’articles de médias spécialisés ou généralistes, par exemple les tests de jeu vidéo notés, il conviendra d’y répondre.

Narration

Ubisoft propose une narration en monde-ouvert alors que traditionnellement les studios français misaient davantage sur des expériences linéaires et semi-linéaires reposant une narration canali- sée d’inspiration classique où l’écrit occupait une place primordiale, d’Another World d’Eric Chahi à Detroit: Become Human de Quantic Dream.

Ce choix interpelle lorsqu’on connaît le penchant français pour la narration écrite au travers de dialogues. Le jeu vidéo à la française tend-il à renouveler cette approche, à l’époque des narra- tions environnementales et émergentes?

Thématiques

Remember Me et Life is Strange de Dontnod ont proposé des expériences vidéo-ludique où la figure féminine, parfois issue des minorités, devenait centrale dans la narration. Pour le second, l’histoire a même développé la relation homosexuelle entre les deux jeunes femmes, battant en brèche les habituels clichés des AAA. De la même manière, Ubisoft a souhaité s’établir comme une société multiculturelle et inclusive, ce que reflètent certaines de ses productions. Ainsi, quelle est la place de la femme, des minorités et de la sexualité dans les jeux vidéo francophones, comparées aux produits japonais et américains?

Néanmoins, contrairement à d’autres acteurs français, Ubisoft a toujours réclamé adopter une position de neutralité vis-à-vis d’éventuels contenus politiques. Laisser libre cours à l’imagina- tion du joueur et le placer comme coauteur n’est pas sans conséquence, comme le montre les jeux Rockstar Games (GTA V, Red Dead Redemption 2) En quoi la création de mondes em- pêchent-elle cependant de canaliser la narration, et de fait de laisser libre-cours à la réinterpréta- tion des enjeux initiaux par les joueurs?

Influence

À l’instar de la pop et geek culture qui est aujourd’hui l’un des fers de lance de l’influence, le jeu vidéo occupe une place première dans la stratégie culturelle de certains pays (Fregonese, 2019). Ainsi, quelles images Ubisoft projette-elle, d’elle-même et de la France? Quelle image est perçue par les médias spécialisés, généralistes et le public? Si on la compare à l’extraordinaire dévelop- pement du soft power japonais des trois dernières décennies (animé, manga, jeux vidéo), dans quelle mesure Ubisoft — et d’autres entreprises vidéoludiques françaises —, contribue-t-elle au soft power de la France?

Traduction

Enfin, nous aimerions aussi recevoir certaines propositions sur l’épineuse problématique de la traduction des jeux video qui recoupe la problématique de la localisation, autrement dit la prise en compte des aspects juridiques, économiques et culturels. Parfois, des textes ou scènes peuvent être censurés. De plus, le processus de traduction se situe dans des temporalités différentes selon les développeurs (pré-production, production, post-production).

Envoyez-nous un résumé de votre proposition de 400 à 500 mots en précisant bien la question à laquelle vous cherchez à répondre, la méthodologie, et les quelques références théoriques utilisées. Joignez-y une bio-bibliographie de 100 mots, à:
- reynschi@ualberta.ca

- pierre-william.fregonese@sciencespo-lille.eu

Pour le 1er mai 2020.
Réponse pour le 1er juin 2020.
Article complet pour le 1er octobre 2020. Publication en 2021.

Bibliographie sélective

Barnabé, F. et B-O. Dozo [Dir.] « Livre et jeu vidéo/Book and videogame », Mémoires du Studies in book culture 5.2. 2014.

Benghozi, P.-J., et P. Chantepie. Jeux vidéo: l’industrie culturelle du XXIe siècle? Presses de Sciences po. 2017.

Bernal-Merino, MiguelA. Translation and Localization in Video Games. Routledge. 2014.

Blanchet, Alexis, et Guillaume Montagnon, French Touche: L’homme du jeu en France, 2019.

Collectif. Culture vidéoludique! Presses universitaires de Liège. 2019.

Consalvo, Mia. Atari to Zelda. Japan’s Videogames in Global Contexts. MIT. 2016.

Coville, Marion. « Créateurs de jeux vidéo et récits de vie: la formation d’un genre hégémonique », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 4, 2014.

Derfoufi, Mehdi. « Décentrer l’histoire du jeu vidéo? », in M. Derfoufi, De l’autre côté. 2018.

Dozo, Björn-Olaf, et Fanny Barnabé. Livre et jeu vidéo. Presses U. de Liège. 2015

Fregonese, Pierre-William. De la stratégie culturelle française au XXIe siècle. Classiques Garnier, 2019

Fregonese, Pierre-William. Raconteurs d’histoires. Les 1000 visages du scénariste de jeu vidéo. Pix’n Love, 2019.

Genvo, S. Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo. L’Harmattan, 2013.

Ichbiah, D. Michel Ancel: Biographie d’un créateur de jeux vidéo français, Pix’n Love, 2010.

Lebihan, Jan. Le petit livre des jeux vidéo. Marabout. 2015.

Martel, Frédéric. Mainstream. Flammarion. 2010.

Sidre, Colin. Une histoire du jeu vidéo en France. Thèse à l’Ecole nationale des chartes. 2014.

Triclot, Mathieu. Philosophie des jeux vidéo. Zones, 2011.

Vivès, Bastien. Le jeu vidéo. Delcourt, 2010.