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Lectures du CRP19 : Les Sœurs Vatard de Huysmans 

Lectures du CRP19 : Les Sœurs Vatard de Huysmans

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marie Portier)

Lectures du CRP19 – Septième édition 

Les Sœurs Vatard de Huysmans 

18 septembre 2021

Avec le soutien du CRP19

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Comité scientifique : 

Gilles Bonnet - Université Lyon 3

Éléonore Reverzy - Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle

Jean-Marie Seillan - Université Nice Sophia Antipolis

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Organisatrices : 

Eva Le Saux, Lucie Nizard, Marie Portier, Véronique Samson


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Argumentaire : 

Depuis plusieurs années, les « Lectures du CRP 19 », organisées par les doctorants du CRP 19, laboratoire rattaché à l’ED 120 de l’Université Sorbonne Nouvelle, s’intéressent aux œuvres méconnues d’auteurs consacrés. La septième édition propose cette année de redécouvrir Les Sœurs Vatard de Joris-Karl Huysmans. Publié en 1879, Les Sœurs Vatard est le deuxième roman du jeune écrivain, encore à faire ses preuves après un recueil de prose poétique (Le Drageoir aux épices, en 1874) et un premier roman (Marthe, histoire d’une fille, en 1876). Le passage au genre romanesque est, pour Huysmans, une adhésion au naturalisme zolien, qu’il défend dans une série de textes sur L’Assommoir l’année de la publication de Marthe. Par ses sujets et ses milieux populaires, par sa tendance au « document humain », Les Sœurs Vatard s’inscrit dans cette veine : « des scènes du monde ouvrier, des paysages parisiens, reliés par l’histoire la plus ordinaire du monde (1) ». L’histoire est celle des amours de deux sœurs, Céline et Désirée, ouvrières brocheuses dans un atelier parisien. Si Les Sœurs Vatard connaît un certain retentissement (succès de scandale ?) déjà chez les contemporains, le roman est aussi perçu comme un travail de disciple cherchant à se faire adouber par le maître, demeurant dans l’ombre de Zola, qui contribue lui-même à cette réception. Dans la dédicace des Sœurs Vatard, Huysmans se présente comme le « fervent admirateur et dévoué ami » de Zola. Ce livre apparaît donc comme une contribution à la cause naturaliste. On pourra l’étudier sous ce rapport et s’interroger sur la manière dont se traduit ce ralliement. L’intrigue antiromanesque des Sœurs Vatard illustre en effet l’ambition d’apporter un contrepoint aux romans idéalistes et de rééquilibrer les représentations littéraires, par le choix de sujets bas et d’un traitement haut en couleur. On peut ainsi voir en Désirée et Céline le pendant des « héroïnes en biscuit (2) » qui hantent les récits des feuilletonistes. Par son titre, Les Sœurs Vatard s’inscrit dans le sillage de Marthe, que Huysmans a tâché de faire paraître en 1876, mais aussi dans la lignée de L’Assommoir et de Germinie Lacerteux : à la suite des maîtres naturalistes, Huysmans se livre à l’exercice du portrait de femme (3), dans la perspective d’une désacralisation. Il y a là un enjeu majeur du roman auquel on pourra également s’intéresser. Quant au fait de situer l’intrigue des Sœurs Vatard dans le monde des ouvrières brocheuses, cela atteste chez Huysmans un goût pour le « canaille littéraire (4) » qu’Edmond de Goncourt lui reprochera à demi-mot, mais aussi une volonté documentaire et de modernité qui se traduit encore par l’attention prêtée aux atmosphères et aux paysages urbains. Les rues commerçantes et leurs devantures, le tramway bondé et bruyant, la gare dont les deux soeurs aiment à observer, de leur fenêtre, le fourmillement, font ainsi l’objet de descriptions à la fois minutieuses et dynamiques. Le choix de ces motifs et de ces espaces, qui donnent à Huysmans l’occasion de déployer une écriture impressionniste, rappelant aussi Baudelaire et les Goncourt, pourra donc faire l’objet d’une réflexion. 

Le nom de Huysmans reste associé dans l’histoire littéraire à une autre œuvre, À rebours, publiée cinq ans plus tard seulement, et qui a cristallisé une identité d'écrivain d’écrivain fin-de-siècle et critique d'art, contraire aux premières œuvres. Mais la tension entre l’esthète et le naturaliste était déjà présente dans Les Sœurs Vatard. Il s’agira donc, lors de cette journée d’étude, de relire le roman de 1879 dans ses résonances avec le reste de l’œuvre de Huysmans et avec la tradition romanesque du XIXe siècle, tout en cherchant à re-situer l’écrivain dans la modernité (urbaine, industrielle, culturelle) qui fournit le cadre de ses premières fictions.

Les Sœurs Vatard donne en effet à lire une poétique complexe en train de s’élaborer. On pourra aborder cette poétique huysmansienne en l’interrogeant à l’aune de l’œuvre non seulement romanesque mais aussi poétique et théorique de l’auteur. Ainsi, des phénomènes d’intertextualité au sein de l’œuvre pourront être repérés et analysés. Une attention particulière pourra être accordée à la façon dont la prose de Huysmans se fait poétique, et l’éloigne ainsi déjà un peu du naturalisme. Certains passages ne sont pas sans rappeler les poèmes en prose du Drageoir aux épices, et annoncent les Croquis parisiens. Dans une lettre à Huysmans du 7 mars 1879, Flaubert notait déjà dans les descriptions des Soeurs Vatard la révélation d’une “esthétique” et le mettait en garde contre “l’aristocratie des sujets et la préciosité du style” ainsi que la “rhétorique retournée (5)”. On pourra par conséquent interroger cette tension dans le recueil entre diverses allégeances et exigences esthétiques, de la prose poétique, à Zola, Flaubert ou encore aux frères Goncourt, auxquels il emprunte certaines caractéristiques de “l’écriture-artiste”. On pourra également saisir cette poétique dans le contexte littéraire qui la voit apparaître en envisageant notamment le rapport des Soeurs Vatard au « roman de la vie ouvrière (6) » mais également au roman de l’artiste et de la Bohème, représentée par le peintre Cyprien que l’on retrouvera dans En ménage. Des approches visant à montrer le rapport des Sœurs Vatard aux œuvres et aux mouvements littéraires de l’époque pourront ainsi être proposées afin de saisir la singularité du roman. Dans cette perspective, une attention particulière pourra être portée à la langue employée par Huysmans. On pourra ainsi s’intéresser à la langue que le narrateur se forge ainsi qu’au langage qu’il prête aux personnages des Sœurs Vatard. La construction des personnages pourra de même faire l’objet d’une analyse. Une perspective narratologique pourra être adoptée pour analyser, comme ont pu le faire Zola et Flaubert, la structure narrative singulière de l'œuvre. Dans sa lettre datée du 7 mars 1879, Flaubert émettait des réserves quant à la progression narrative du roman : “La dédicace où [vous] me louez pour L’Éducation sentimentale m’a éclairé sur le plan et le défaut de votre roman dont, à la première lecture, je ne m’étais pas rendu compte. Il manque aux Sœurs Vatard, comme à L’Édu[cation] sentim[entale], la fausseté de la perspective ! Il n’y a pas progression d’effet. Le lecteur, à la fin du livre, garde l’impression qu’il avait dès le début. (7) ” 

Enfin, on pourra s’interroger sur les influences du contexte de publication sur l'œuvre, influencée comme beaucoup de ses contemporaines par sa prépublication dans la presse. Deux extraits sont en effet d’abord publiés de manière isolée dans la gazette Paris-Plaisir. Revue du monde élégant, sous la rubrique “Croquis parisiens” - titre repris d’ailleurs pour le recueil de poèmes en prose, avant que le roman ne reparaisse en feuilleton dans Le Réveil, en 1883. On pourra donc explorer les implications esthétiques de ces publications dans la presse. 

 

L’ouvrage de Huysmans pourra également être appréhendé comme un objet d’étude pour l’Histoire culturelle et sociale. Le roman renseigne le lecteur contemporain sur les pratiques populaires des Parisiens du second XIXe siècle, du quotidien des travailleuses à l’atelier aux divertissements d’une société de loisir en pleine expansion (la foire, le bal, le café, le théâtre de variétés). Le monde ouvrier parisien y est décrit avec une précision naturaliste précieuse pour l’Historien, ainsi éclairé sur les faits dépeints, mais également sur le regard porté sur ces faits par Huysmans, écrivain bourgeois certes, mais qui dirigea un atelier de brochage suite à la mort de sa mère en 1876, parallèlement à son métier de fonctionnaire. Son point de vue n’est donc pas celui d’un Zola découvrant les mines ou les grands magasins ; Huysmans décrit un univers familier. On pourra interroger ce biais original dans le courant naturaliste : permet-il au romancier de porter sur les ouvrières un regard plus empathique que ses contemporains, ou cette vision rapprochée trahit-elle son statut de petit patron ? 

L’auteur prête attention aux détails du Paris populaire 1880 ; ils sont à la fois des realia et des symboles d’une société en pleine mutation industrielle, que l’on pourra interroger comme tels. On voit naître aussi dans l'œuvre des réflexions sur la photographie, qui peuvent intéresser l’Histoire des média, de même que de nombreuses mentions hyperesthésiques des sons et des odeurs pouvant renseigner l’histoire des sensibilités. On pourra donc se pencher sur Les Sœurs Vatard dans une perspective historique, mais aussi sociocritique, afin de montrer comment le roman tout à la fois reflète et réinvente les multiples discours sociaux de son temps (romanesques, médicaux, journalistiques...) sur l’atelier, les jeunes filles, ou encore les mœurs populaires.

Les Sœurs Vatard, fresque qui dépeint les destins en diptyque de deux jeunes filles en formation, et les rencontres qui déterminent leur avenir, peuvent aussi informer l’Histoire des femmes, et celle du couple. Dans sa lettre du 7 mars 1879, Flaubert loue la finesse des analyses psychologiques de Huysmans : « Ce qui m’a frappé le plus, c’est la psychologie ; vous avez des analyses qui sont celles d’un maître. Dans votre prochain livre, donnez donc pleine carrière à votre faculté, qui vous est naturelle, et qui vous appartient en propre. (8) » Outre que cet encouragement a exercé des effets durables et lointains dans l’oeuvre de Huysmans (on reconnaît la psychologie de la “crise juponnière”, que Huysmans retiendra comme mérite principal d’En ménage, et la psychologie des mystiques qu’il opposera au roman à prétentions psychologiques de Bourget dix ans plus tard), on pourra se demander à quelles pages précises des Sœurs Vatard Flaubert songeait. Dans le prolongement de cette réflexion, on pourra questionner les jeux, violents ou non, du désir sexuel, la nature des interdits ou la résignation à l’échec qui semblent peser sur les relations amoureuses, et sur les rapports homme-femme en général. 

 

(1) Émile Zola, Le Roman expérimental, Paris, Charpentier, 1881.

(2) Huysmans, “Émile Zola et L’Assommoir”, Oeuvres complètes. Tome 1 : 1867-1879, Paris, Classiques Garnier, 2017, p.516.

(3)  “[…] nous passons notre temps à penser à elles et à essayer de les reproduire !”, écrit Huysmans à propos des femmes, pendant la rédaction des Sœurs Vatard. Lettres à Théodore Hannon (1876-1886), éditées par Pierre Cogny et Christian Berge, Saint-Cyr-sur-Loire, C. Pirot, 1985, p.85, lettre du 23 août 1877.

(4)  Lettre du 24 mars 1879, citée dans Joris-Karl Huysmans, Lettres inédites à Edmond de Goncourt, éditées par Pierre Lambert, Paris, Nizet, 1956, pp. 53–54.

(5)  Lettre à J.-K. Huysmans, 7(?) mars 1879. 

(6)  Éléonore Reverzy, Préface à Joris-Karl Huysmans, Les Sœurs Vatard, édition d’Éléonore Reverzy, La Chasse au Snark, 2002, p.10.

(7)  Lettre à J.-K. Huysmans, 7(?) mars 1879.

(8) Idem.

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Calendrier et conditions de soumission: 

Les propositions de communication comprenant un résumé d'environ 500 mots ainsi qu'une courte biobibliographie sont à envoyer avant le 26 avril 2021 à lucie.nizard@sorbonne-nouvelle.fr, marie.portier@sorbonne-nouvelle.fr, ou eva.le-saux@sorbonne-nouvelle.fr. Elles seront relues par un comité scientifique composé de doctorant.e.s du CRP19, sous la direction de Gilles Bonnet, Éléonore Reverzy et Jean-Marie Seillan.

La journée d'étude sera organisée le 18 septembre 2021 à la Maison de la Recherche de Paris 3. La prise en charge des frais de transport n'est pour le moment pas assurée.

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Bibliographie indicative : 

BONNET, Gilles, L’écriture comique de J.-K. Huysmans, Paris, Honoré Champion, 2003.

BECKER, Colette, “Les Sœurs Vatard, un roman du chahut”, in J.-K. Huysmans : La Modernité d’un Anti-Moderne. Actes Du Colloque International, Naples, 7 Mai 2001 - 8 Mai 2001, Napoli, L’Orientale Editrice, 2003, p. 191–200.

CRESSOT, Marcel, La Phrase et le vocabulaire de J.-K. Huysmans [1938], Genève, Slatkine reprints, 2014. 

ESCOFFIER, Christine, “Les Sœurs Vatard, un petit Assommoir ?”, Bulletin, n°81, 1988, p.12-18.

GLAUDES, Pierre, « “Lorsque le nu se farde…” À propos des Sœurs Vatard de J.-K. Huysmans”, Lendemains (Tübingen), n°51, 1988, p.61-71.

GUÉRIN, Stéphanie, « Le paratexte face au texte dans Les Sœurs Vatard de Joris-Karl Huysmans », paru dans Loxias, Loxias 20, mis en ligne le 16 mars 2008, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=1791.

GUÉRIN-MARMIGÈRE, Stéphanie, La Poétique romanesque de Joris-Karl Huysmans, Paris, Honoré Champion, 2010.

GURAL-MIGDAL, Anna, L’écriture du féminin chez Zola et dans la fiction naturaliste, New York, P. Lang, 2003.

JOUINI, Asma, “Les Sœurs Vatard, œuvre de disciple ou de maître ?”, dans Huysmans et les genres littéraires, actes du colloque de Nice, 18-20 octobre 2007, Gilles Bonnet et Jean-Marie Seillan (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. “La Licorne”, 2010, p.67-78.

NOIRAY, Jacques, « Huysmans critique de Zola et du naturalisme (1884-1907) », Modernité 20, Presses Universitaires de Bordeaux, 2004, p. 121-13.

REVERZY, Éléonore, “Le naturalisme, faute d’amour. À propos des Sœurs Vatard et d’Une belle journée”, Régis Antoine et Wolfgang Geiger (dir.), La Rupture amoureuse et son traitement littéraire, Paris, Honoré Champion, 1997, p.121-135. 

- « La modernité dans les premiers romans de Huysmans », Europe, J.-K. Huysmans/Villiers de l’Isle Adam, n° 916-17, août-septembre, 2005, p. 15-26.

SEILLAN, Jean-Marie, Huysmans : politique et religion. Paris, Classiques Garnier, 2009.

SOLAL, Jérôme (dir.), Joris-Karl Huysmans 1. “Figures et fictions du Naturalisme”, Caen, Minard, coll. “La Revue des Lettres modernes”, 2011.

- “Les Sœurs Vatard de Huysmans, ou Paris sous les bruits”, Nineteenth-Century French Studies, 38 1/2, 2009, 85–96.

ZYLBERBERG-HOCQUARD Marie-Hélène, “L'ouvrière dans les romans populaires du XIXe siècle”, Revue du Nord, tome 63, n°250, Juillet-septembre 1981, pp. 603-636.