Questions de société
Le savoir et le pouvoir : pourquoi nous sommes tous concernés par le démantèlement du CNRS (SLU)

Le savoir et le pouvoir : pourquoi nous sommes tous concernés par le démantèlement du CNRS (SLU)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le site de Sauvons l'université:

Le savoir et le pouvoir : pourquoi nous sommes tous concernés par le démantèlement du CNRS Juin 2008

Pour un universitaire, le CNRS et les autres organismes de recherche sans enseignement ont parfois quelque chose de lointain et les sympathies ne vont pas toujours de soi (ah ! les privilèges de ces chercheurs qui ne savent pas ce que c'est que les 192h TD). Il est donc tentant, surtout lorsque l'on est épuisé par une année d'opposition aux aspects les plus néfastes de la LRU, de laisser les chercheurs à temps plein lutter seuls contre les réformes en cours des organismes de recherche.

Cette distance, compréhensible, méconnaît cependant deux faits essentiels à nos yeux.

Le premier et le plus fondamental tient à la relation entre la loi LRU et la réforme du CNRS et autres organismes de recherche. Le dépeçage du CNRS en instituts (faisant suite à celui déjà entériné de l'INSERM [1]) ne pose pas seulement le problème de la brutalité des décisions, ni celui de l'exclusion de certaines disciplines (l'informatique recentrée à l'INRIA [2], la biologie passant sous la tutelle de l'INSERM, et l'Institut des Sciences Humaines et Sociales finalement remis aux calendes grecques), ni même celui d'une interdisciplinarité qui ne pourra plus s'exercer que dans un cadre bureaucratique. Il met fondamentalement en relief la main-mise du pouvoir politique sur le savoir : le démembrement affaiblit les capacités de résistance aux injonctions venues d' « en-haut » ; les directeurs d'Instituts seront nommés par le gouvernement ; les Instituts ne sont pas dotés de conseils scientifiques indépendants (pas plus que l'ANR, dont le Conseil d'Administration est en outre majoritairement composé de représentants du Ministère).

La question du CNRS jette par là une lumière crue sur un point insuffisamment compris de la loi LRU, et parfois masqué par les pouvoirs exorbitants conférés aux présidents d'Université autant que par le risque (réel) de désengagement financier de l'Etat : l'imposture de l'expression « autonomie des Universités », puisque la loi alourdit l'aspect autoritaire et arbitraire de l'action de l'Etat, y compris du point de vue financier. En effet, le financement au résultat stipulé dans la loi (qu'il s'agisse de la réussite aux examens ou de l'insertion professionnelle des étudiants) équivaut purement et simplement — puisque, en raison de la diversité des contextes sociaux et économiques des différentes universités, il est impossible d'établir des critères de performance objectifs en la matière — à donner au pouvoir politique le moyen de distribuer les fonds selon son bon plaisir, en récompensant les amitiés politiques, les obéissances serviles ou résignées. Soumission des institutions de savoir au pouvoir d'Etat (qui, en l'occurrence, se pare des plumes de la compétitivité économique) : l'Histoire est là pour rappeler les ravages d'une telle situation sur la science, sur la société et sur la démocratie.

La seconde raison pour ne pas céder à la tentation de l'indifférence est plus prosaïque : les Unités Mixtes de Recherche (UMR) CNRS/universités sont directement touchées par les manoeuvres en cours. Plus le CNRS sera faible (prélude à son décès), plus il sera réduit au rôle d' « agence de moyens » sans moyens puisque l'essentiel des fonds est en fait distribué par l'ANR, et plus les équipes de recherche universitaires seront prises en tenaille entre le pouvoir des hyper-présidents, celui d'une ANR aux ordres des gouvernements, et celui des entreprises qui n'ont aucune raison de financer ce qui ne les intéresse pas. Quant au refus de créer un institut des Sciences Humaines et Sociales (rappelons la tactique du rideau de fumée déployée par le gouvernement : non/oui/non, peut-être plus tard), il condamne à brève échéance la recherche en SHS et ce qu'elle peut avoir de gênant pour un pouvoir politique quel qu'il soit.

Avec la loi LRU et les réformes des organismes de recherche, nous assistons, sous couleur de concurrence et de compétitivité, au retour du pire des cauchemars : la science d'Etat. Défendre le CNRS et les organismes de recherche, c'est donc essayer de sauver ce qui peut encore l'être de cette indépendance du savoir sans laquelle il n'est ni science, ni conscience, ni démocratie. C'est aussi peut-être la dernière chance qui nous soit offerte d'éclairer enfin l'opinion publique et les responsables politiques sur la nature réelle de la LRU. Et — qui sait ? — d'obtenir que ses dispositions les plus néfastes soient revues.

C'est pourquoi il est capital de venir le 19 juin bloquer le Conseil d'Administration du CNRS à Paris ou occuper les délégations CNRS des autres villes.

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[1] Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale

[2] Institut National de la Recherche en Informatique Appliquée

Publié le samedi 14 juin 2008