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Le renouveau des écritures romanesques au tournant des XIXe et XXe s. (revue Autour de Vallès)

Le renouveau des écritures romanesques au tournant des XIXe et XXe s. (revue Autour de Vallès)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marie-Françoise Melmoux-Montaubin)

Le renouveau des écritures romanesques au tournant des XIXe et XXe siècles

Autour de Vallès, n° 51, 2021

Numéro coordonné par Marie-Françoise Melmoux-Montaubin

 

Lorsque Jules Vallès publie ses premiers romans sous forme de feuilletons en 1865, il est déjà bien connu comme journaliste. Il mène dès lors une double carrière journalistique et romanesque, marquée par des publications au succès inégal mais toutes dotées d’une caractéristique commune, celle d’avoir été publiées dans la presse, le plus souvent dans des quotidiens. Le journal, loin d’être seulement l’espace privilégié dans lequel s’exprimerait une œuvre, concourt aussi à sa maturation ; il est le lieu où se dessinent de nouvelles thématiques, où se construisent de nouvelles formes (Presses & Plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle, sous la direction de Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, Nouveau monde éditions 2004) et de nouvelles écritures.

Laissant de côté la question particulière du roman-feuilleton, déjà bien étudié et qui relève pour l’essentiel dans les dernières décennies du siècle de la « littérature industrielle », c’est ce renouveau des écritures romanesques né de la rencontre avec la presse que ce numéro se propose d’étudier, sous ses manifestations les plus diverses : nouveaux sujets, nouveaux espaces (la presse ne couvre pas seulement l’ici et maintenant parisien et provincial, elle ouvre aussi vers de nouveaux horizons dont s’emparent les romanciers, à l’occasion des aventures coloniales notamment), nouvelle langue, nouvelles formes, nouvelles scénographies auctoriales : journaliste, le romancier est toujours critique, commentateur politique, sociologue, ethnographe avant la lettre et ces activités impriment leur marque à l’écriture du roman. Souvent écrit à la première personne, tendant vers l’écriture personnelle, il se détache de la fiction pour se faire reportage, essai, pamphlet, récit autobiographique, etc.

Une « crise du roman » ? (Michel Raimond, La Crise du roman. Des lendemains du naturalisme aux années vingt, Corti, 1966)

Lorsque Vallès publie son premier feuilleton, le roman ne ressemble déjà plus vraiment à la définition que proposait le Dictionnaire de l’Académie française en 1835 : « Histoire feinte, écrite en prose, où l’auteur cherche à exciter l’intérêt, soit par le développement des passions, soit par la peinture des mœurs, soit par la singularité des aventures. » Il ne cesse de s’en éloigner dans les dernières années du siècle, qui voient de nombreux romanciers mettre en cause le terme même de « roman » (Goncourt, Huysmans). Le genre apparaît alors comme un indécidable, ce dont témoigne le « Roman », étrange texte programmatique placé par Maupassant en tête de Pierre et Jean (1888).

La rencontre du naturalisme avec l’écriture de presse a été récemment analysée par Guillaume McNeil Arteau dans Le Relevé des jours. Émile Zola écrivain-journaliste (Garnier, 2018). Il montre comment le romancier naturaliste, fort de son attachement au document, contribue malgré tout à asseoir la formule du roman tel que l’a inventé le premier XIXe siècle : comme Balzac, les Goncourt, plus encore Zola, racontent une histoire. Si la recherche documentaire s’en mêle et modifie sensiblement l’écriture romanesque, la fiction reste pourtant première. La crise du naturalisme engage une « crise du roman » dont la presse se fait largement l’écho, multipliant les enquêtes (Enquête sur l’évolution littéraire, Enquête sur le roman romanesque, par exemple, pour le seul printemps 1891).

Plusieurs éléments ressortent de ces enquêtes qui mettent en évidence la transformation profonde de l’écriture du roman : le déclin de l’intrigue et du romanesque, la place – considérée comme nouvelle – symétriquement faite à l’intelligence et à une forme d’intellectualisme alors inusitée, la préférence marquée pour l’expression des idées personnelles, « l’opinionisme » (Daniel Sangsue, dans Pierre Glaudes et Boris Lyon-Caen éd., Essai et essayisme en France au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2014), souvent rapporté à un « manque de conviction romanesque », quand ce n’est pas le démembrement, voire la « mort du roman » qui sont pointés (Éléonore Reverzy, « La 628-E8 ou la mort du roman », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, p. 257-266).

La question de la fiction

L’un des traits majeurs du renouveau du roman réside sans doute dans l’éviction du « romanesque » au profit d’une expression personnelle qui tourne le texte du côté de la confession ou du témoignage, des « études personnelles et véridiques » que Vallès dresse contre la fausseté du roman (Le Progrès de Lyon, 12 décembre 1864), des choses « senties et vues » que revendique Mirbeau. Qu’il soit rédigé à la première personne, comme la plupart des romans de Mirbeau ou qu’il mette en scène un personnage dans lequel le romancier se laisse plus ou moins aisément reconnaître (Jules Vallès, Léon Bloy, Anatole France, etc.), le roman commente l’actualité (éventuellement sous la forme du roman à clé, tel que Michel Murat propose de le lire dans Le Romanesque des lettres, Corti, 2018), invite au débats d’idées, diffuse des savoirs (Marcel Schwob) ou des thèses, se fait livre « d’idées pures et de sensations » (Mirbeau). Le déplacement hors des frontières de la fiction engage le romancier dans une perspective pragmatique : revendiquant l’expression de ses émotions, il entend agir sur celles de son lecteur.

Fragments

Cette démarche s’accompagne de modifications structurelles. Il s’agit de faire œuvre de morceaux disparates et originellement distincts : l’acte de fiction cède du terrain face au collage plus ou moins travaillé de chroniques (ainsi des Vingt-et-un jours d’un neurasthénique, dans lequel Rachilde lisait « le carnet d’un reporter, le fond de tiroir d’un journaliste » – les deux se confondent-ils si aisément ? –, ou bien encore d’Anatole France et son Histoire contemporaine). La narration tend à se défaire au profit de la rencontre de fragments qui ne cherchent pas nécessairement à composer un tout. La lacune s’installe au cœur du texte, sous la forme des « blancs » que réclame Vallès ou des points de suspension que privilégie Mirbeau ; la séparation s’inscrit au cœur du récit, soulignée parfois par des intertitres qui rappellent le rubricage des journaux (La 628-E8).

Les nouveaux romanciers n’hésitent pas à marquer leur distance avec les formes du roman du premier XIXe siècle, qu’ils écrivent explicitement « contre le roman », affichent leur « haine » du genre, ou se prononcent contre la littérature même. L’humour, comme la colère, s’inscrit dans le nouvel éthos du roman.

Autant de pistes proposées à l’étude pour ce numéro Autour de Vallès.