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La nature dans la cité : émotions et représentations (Oxford)

La nature dans la cité : émotions et représentations (Oxford)

Publié le par Université de Lausanne (Source : urbanature.hypotheses.org/1385)

Colloque. Appel à communications

La nature dans la cité : émotions et représentations

Université d’Oxford, 20, 21 et 22 avril 2022

 

L’idée que la ville peut avoir des effets délétères sur la santé des citadins ne date pas du XIXe siècle. Les médecins du XVIIe siècle et surtout du XVIIIe siècle, se référant au Traité des airs, des eaux et des lieux d’Hippocrate, préconisent déjà les promenades dans la nature et la recherche de l’air pur. Au XVIIIe siècle, la noblesse investit l’ouest de la capitale, moins urbanisé, pour essayer de concilier la vie urbaine avec les plaisirs de la nature. Les belles demeures ont toujours un jardin privé et certains nobles, comme le duc de Chartes avec son jardin anglo-chinois (à Monceau) ou le comte d’Artois à Bagatelle, affirment leur magnificence en faisant aménager de manière exceptionnelle des jardins à fabriques. Dans le même temps, écrivains et philosophes développent un nouveau sentiment de la nature. Le goût d’une sociabilité élégante dans les jardins se répand mais aussi plus largement, dans toutes les couches de la société, la pratique de la promenade en groupe ou solitaire et l’expérience des émotions liées à la nature sont en vogue.

Cependant l’expansion inévitable des villes modifie de plus en plus les rapports entre la ville et la campagne : des espaces ruraux disparaissent, d’autres se trouvent en contact direct avec la ville, tandis que l’aménagement urbain, surtout à partir du XIXe siècle, s’accompagne de la création d’espaces verts publics (bois, jardins), réintroduisant en ville la nature en la domestiquant. Mais, par ailleurs, l’urbanisme industriel suscite des craintes et le sentiment d’un divorce. Les médecins hygiénistes, préoccupés par les questions d’insalubrité, sont parmi les premiers à avoir réfléchi sur la nécessité de réintroduire la nature en ville. Les défenseurs d’un urbanisme moderne – comme Hausmann à Paris – qui détruisent les vieux quartiers historiques aux rues tortueuses mettent souvent en avant le bien-être des habitants et la nécessité d’aérer la ville. Mais si les beaux quartiers ou les nouveaux secteurs urbanisés bénéficient de cet effort, d’autres espaces urbains subissent les inconvénients de l’industrialisation : pollution et surpopulation. Bien des représentations du monde urbain évoquent au XIXe siècle la misère des villes coupées de la nature. La ville devient le milieu de toutes les violences dans l’imaginaire conservateur, tandis que les socialistes perçoivent le monde urbain comme un univers hostile à l’homme. Les pensées libertaires, quant à elles, intègreront très vite des réflexions sur le rapport de l’homme et de la nature, faussé par la domination économique et sociale. Les premières revendications pré-écologiques sur l’aménagement urbain se trouveront ainsi fortement associées à une mise en cause des rapports sociaux.

En dépit de représentations souvent très négatives de la ville, la documentation historique et les textes littéraires témoignent d’une situation contrastée. Il existe en effet dans de nombreuses villes en pleine croissance, une omniprésence de la nature dont l’historiographie et les études littéraires se sont peu occupées. Les grands travaux menés à Paris dès le début du siècle sous l’impulsion de Napoléon 1er (percée de la rue de Rivoli), puis sous la direction du préfet Rambuteau après le choléra de 1832, et enfin sous le Second Empire par le baron Haussmann, ont modelé un nouveau paysage urbain : il s’agit à la fois de récréer les yeux et de purifier l’air. Si les grands jardins privés tendent à disparaître dans les villes, l’espace public se végétalise tandis que la bourgeoisie fait entrer le vivant dans l’espace privé avec les jardins d’intérieur et les animaux domestiques. La destruction des remparts dans de nombreuses villes au XIXe siècle libère aussi de l’espace pour des jardins.

Toutefois l’écologie, esquissée d’abord par Haeckel, en 1866, dans un contexte scientifique évolutionniste, ne conquiert sa place dans la science que tardivement, au début du XXe siècle, et il faut attendre les années 1960 pour qu’elle s’impose à la conscience du grand public, tout en se politisant progressivement. L’écologie proprement urbaine est encore plus récente. Si on ne peut donc parler de conscience écologique et de défense de la biodiversité urbaine avant le XXe siècle, toutefois les architectes de la ville (les futurs urbanistes), les médecins, les penseurs politiques portent incontestablement une attention de plus en plus grande au rapport de l’homme et de la nature dans la cité à partir du XIXe siècle. Les mutations de la ville se répercutent dans les sensibilités et la littérature en rend compte, mettant en scène l’homme urbain et ses émotions au contact d’une nature à la fois plus proche au cœur de la ville et plus dominée ou menacée. Le citadin éprouve alors parfois le besoin de renouer avec la nature, entre ville et campagne, dans un espace intermédiaire, comme celui de la forêt domaniale de Fontainebleau, ni agricole, ni aussi sauvage que les bois plus lointains. Le ressenti des citadins alimente des rêves, des utopies, un imaginaire du jardin sauvage au cœur de la ville ou le désir de brèves échappées à portée de calèche, mais aussi des réflexions  plus concertées ou des expériences dont certaines sont encore d’actualité : création de jardins ouvriers et maraîchage urbain, construction de cités-jardins (dont le modèle théorisé par Howard en Angleterre a gagné la France), recherche d’une symbiose entre architecture et nature (façades végétalisées…), imitation de la nature jusque dans l’art décoratif.

Ce colloque sera attentif aux changements de sensibilité, il portera à la fois sur des émotions et des représentations – individuelles ou collectives – dont rend compte la littérature, sans oublier les réalités historiques et la dimension politique de certaines aspirations qui se font jour dans les imaginaires utopistes ou les idéologies de la ville résiliente. Si la littérature aura une place importante, il s’agira aussi de confronter les représentations littéraires aux situations réelles et aux évolutions. Les propositions de communication pourront donc émaner d’autres disciplines : histoire des sensibilités, histoire urbaine, histoire de l’art, écologie urbaine, histoire de l’écologie.

Les propositions de communication, de 2000 signes espaces comprises maximum, sont à envoyer à benedicte.percheron@univ-eiffel.fr au plus tard le 15 septembre 2021. Elles seront accompagnées d’une courte bio-bibliographie.

Responsables : Gisèle Séginger et Catriona Seth

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Bibliographie

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