Actualité
Appels à contributions
L'oeuvre des frères Goncourt : un système de valeurs? (Paris)

L'oeuvre des frères Goncourt : un système de valeurs? (Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Éléonore Reverzy)

Appel à contributions

L’oeuvre des frères Goncourt, un système de valeurs ?

Colloque proposé par l’Équipe Goncourt (CRP19 et ITEM/CNRS) à l’occasion du bicentenaire de la naissance d’Edmond de Goncourt (1822-1896)

Comité organisateur : Jean-Louis Cabanès (professeur émérite à Paris Ouest-Nanterre), Pierre-Jean Dufief (professeur émérite à Paris Ouest-Nanterre), Béatrice Laville (professeur à l’Université Bordeaux Montaigne), Vérane Partensky (maître de conférences à l’Université Bordeaux Montaigne) et Éléonore Reverzy (professeur à l’Université Paris-Sorbonne nouvelle, responsable de l’Équipe Goncourt)

*

Les frères Goncourt furent des témoins majeurs de la seconde moitié du XIXe siècle dont ils ont commenté jour après jour, dans leur Journal, l’actualité et ses soubresauts, proposant un panorama exceptionnel et détaillé de la vie artistique, littéraire, politique et mondaine de leur temps. Romanciers de talent qui participèrent activement au triomphe du réalisme littéraire, auteurs de théâtre contestés, historiens, critiques d’art, collectionneurs, fondateurs d’un prix aujourd’hui encore prestigieux, qui a contribué à donner au genre romanesque ses lettres de noblesse, les Goncourt apparaissent, 200 ans après la naissance d’Edmond, comme des écrivains dont le rôle et l’influence appellent une réflexion approfondie dont la récente biographie de J.-L. Cabanès et P.-J. Dufief a montré la nécessité. « Ils ont été considérables », assurait déjà Thibaudet en 1936, « par leur influence, dont toute la littérature française, depuis soixante ans, a été retournée et labourée » (Réflexions sur la littérature, Paris, Gallimard, 1938, p. 116).

À la croisée des genres et des courants artistiques (roman, théâtre, fantaisie, réalisme, histoire de l’art, histoire, critique, écriture diariste), ils occupent une position à la fois centrale et excentrique dans le champ littéraire, dont ils ont été des acteurs importants, mais aussi des juges et des critiques particulièrement attentifs à la question fondamentale de la valeur, dont ils auscultent avec minutie et inquiétude les transformations. Parce qu’ils relatent et jaugent leur temps, tour à tour en moralistes intempestifs et en écrivains modernes, mais aussi parce qu’ils déplacent sans cesse les perspectives, interrogeant les évolutions immédiates (la modernité, l’émergence de la bourgeoisie, l’industrialisation de la littérature, la dictature de la presse, le pouvoir de la mode, etc), comme les déplacements culturels (réévaluation du XVIIIe siècle, art japonais, normes classiques, systèmes politiques), les deux frères ont posé, à l’échelle d’un demi-siècle, la question de la définition et des critères de la valeur (esthétique, morale et sociale) au moment même où les liens qui unissaient traditionnellement l’esthétique et l’éthique sont bouleversés par l’émergence de la modernité, de l’art pour l’art, du capitalisme et de la démocratie. Leur Journal apparaît parfois comme un livre de comptes où ils créditent ou débitent leurs contemporains, soupesant les honnêtetés, la qualité de coeur, les vanités, les compromissions. Le goût du Beau seul, avec son corollaire l’admiration, leur semble étalonner les oeuvres et les hommes. Observateurs pénétrants, ils sont certains d’être des hommes de goût, jugeant les oeuvres d’art sans a priori. Leur nervosité, leur sensibilité, en conjonction avec leur connoisseurship, garantirait la pertinence de leurs jugements esthétiques. Les nerfs, comme vecteurs de la sensibilité, comme traits d’union entre l’âme et le corps, comme principes d’une réflexivité du sentir, induisent une sorte d’ambivalence des valeurs éthiques et esthétiques dont ils sont les vecteurs. La pitié, la compassion sont affaire de sensibilité, mais les Goncourt se réclament aussi d’une lucidité cruelle.

Leurs écrits définissent des axiologies qui réfèrent aux catégories esthétiques mais aussi aux valeurs morales que les fictions tout particulièrement déploient. Leurs romans retracent volontiers des parcours exemplaires qui laïcisent parfois des valeurs chrétiennes (le pardon, la charité) ou prennent la forme de calvaires dont le sens échappe mais qui permettent d’engager la critique des institutions religieuses et judiciaires notamment. La Fille Élisa met ainsi en cause des dispositifs de surveillance et de silence qui associent la religion et l’État. L’oeuvre romanesque et théâtrale renoue parfois avec le manichéisme du mélodrame et du feuilleton. Dans un univers sans transcendance, comment sortir de la satire dès lorsqu’on aborde la question morale ?

Les frères Goncourt n’ont cessé de proclamer la valeur de leurs oeuvres, leur qualité d’hommes de lettres, leur avant-gardisme qui ferait d’eux des précurseurs. Ils entendent partout affirmer leur qualité, ou si l’on préfère, en termes sociologiques, leur « distinction ». Ce mot définit leur positionnement social, politique, esthétique, stylistique quelle que soit la « vertu » démocratique de romans centrés aussi bien sur une servante hystérique qui, par ses nerfs, est en partie leur répondant que sur une jeune fille de la haute société impériale, qui, par son culte du chiffon, leur ressemble un peu. L’écriture artiste signe en ces temps de journalisme et d’oeuvres anonymes (une page de Maupassant selon Edmond pourrait être signée par n’importe qui : elle ne porte aucune marque), leur aristocratisme, comme un code de l’honneur dans les lettres, leur différence. Il existe pour eux une éthique de la création qui fait sens par opposition aux facilités des bohèmes, aux ficelles de la littérature industrielle, aux procédés de la tradition académique ; cette morale, parfois baptisée « idéal », tend à faire accroire qu’ils sont étrangers aux circuits économiques. La valeur (qualitative) de l’art ne se mesurerait pas à l’aune de l’argent gagné par un écrivain. L’échec, en revanche, peut avoir une valeur distinctive et devenir la signature d’une qualité méconnue du grand public.

Dans ce contexte, comment les valeurs éthiques et esthétiques sont-elles atteintes par des formes nouvelles de distinction ? Comment la littérature est-elle à la fois un miroir et un agent de la constitution, de la transmission et des révolutions de valeurs ? En quoi écrire suppose-t-il, par-delà la diversité des convictions et des postures morales, une éthique de la littérature ? L’oeuvre des Goncourt, par son ampleur, par la diversité de ses points de vue, par sa pluridisciplinarité, par les valeurs morales qu’elle persiste à représenter, par le témoignage exceptionnel que constitue le Journal, offre un point de vue privilégié sur une question longtemps refoulée par les études critiques poétiques ou formalistes, mais qui se pose, dans le contexte actuel, avec acuité et invite à une réflexion globale et nourrie sur les Goncourt, sur leur oeuvre, leur place dans le champ littéraire et leur héritage.

*

Le Colloque se déroulera à la Fondation Singer-Polignac (Paris) les 27 et 28 juin 2022.

Les propositions de communications d’une quinzaine de lignes sont à adresser à Béatrice Laville, Vérane Partensky et Éléonore Reverzy avant le 15 juin 2021. Le programme du colloque sera finalisé en septembre 2021.

beatrice.laville@u-bordeaux-montaigne.fr

verane.partensky@u-bordeaux-montaigne.fr

eleonore.reverzy@sorbonne-nouvelle.fr