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Appels à contributions

"L’auteur dans son œuvre, entre présence et effacement"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Véronique Alexandre Journeau)

APPEL A COMMUNCATIONS

Colloque international Langarts

10e anniversaire, les 29 juin, 30 juin et 1er juillet 2020 à l'INHA (Institut national d’histoire de l’art), 2 rue Vivienne / 6 rue des petits champs, Paris 2e

Colloque co-organisé ‒ en partenariat interdisciplinaire, interculturel et interuniversitaire ‒ par les centres IReMus (Sorbonne université/BnF/CNRS/Ministère de la culture), Creops (Sorbonne université), CEAC (université de Lille), APP (université de Rennes), IAO (Lyon 2/ENS Lyon/CNRS) ainsi que Inrev (Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis).

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ARGUMENTAIRE :

Laurent Mattiussi (membre du Comité scientifique) a proposé le thème du colloque 2020 avec l’argumentaire ci-après. Il fera la conférence d’ouverture en dégageant quelques enjeux généraux de la question (historiques, esthétiques, philosophiques), à partir de références anciennes, modernes, et aussi extra-européennes dans la mesure du possible, de manière à donner un aperçu des questions qui se posent, et qui seront sûrement illustrées par l’ensemble des communication :

Pourquoi « auteur » plutôt qu’« artiste ? Le mot « auteur » s’applique sans réserve à tous les créateurs d’œuvres esthétiques et même, d’une manière très large, à tous ceux qui font quelque chose. Il contient des indications implicites sur le rapport du créateur, quel que soit son domaine d’activité, à son œuvre. Au sens le plus strict et le plus général, l’auteur ou l’auteure (ou l’autrice) est la personne qui est à l’origine de quelque chose. On peut donc supposer d’emblée l’existence de liens plus ou moins étroits entre la personne qui produit une œuvre et le résultat de cette opération, qui est son opération propre et dans laquelle on voit mal qu’elle ne mette pas une part essentielle d’elle-même, à moins qu’à l’inverse ‒ ce qui s’est vu surtout par le passé ‒ elle ne mette un point d’honneur à disparaître complètement de ce qu’elle a fait : c’est indubitablement une possibilité dont il convient de tenir compte.

L’artiste tire son œuvre de sa propre substance comme l’araignée sa toile (Mallarmé, Lettre à Aubanel du 28 juillet 1866, La Musique et les Lettres) ou le mollusque son habitacle nacré (Paul Valéry, L’Homme et la coquille). Il est sûrement là, au centre, d’une manière ou d’une autre, fût-ce dans la dissimulation partielle ou le complet incognito. De là le « entre (présence et effacement) » qui permet, plus qu’un « ou » alternatif, d’inclure tous les degrés et toutes les nuances, depuis la présence visible, massive de l’auteur dans l’autobiographie ou l’autoportrait par exemple, jusqu’à l’effacement complet de l’individualité, à supposer qu’elle soit possible dans une œuvre d’art.

À partir de là, trois perspectives s’ouvrent :

D’abord une perspective historique. La culture est de plus en plus mondialisée, européanisée et donc marquée par l’individualisme et le subjectivisme qui, en gros, surgissent massivement au xvie siècle en Europe (la Renaissance) et qui s’affirment avec le romantisme. L’artiste moderne est toujours plus porté à laisser parler sa subjectivité, ses états d’âme, la singularité de ses sentiments et de son intimité. Il se met à redouter par-dessus tout de n’être qu’un classique. La plus haute espérance est de faire ce que personne n’avait jamais fait auparavant. C’est simplifier outrageusement, bien entendu, c’est même sans doute caricaturer. L’originalité pure est peut-être impossible et il y a périodiquement des tentatives de retour à un certain esprit classique, mais disons pour aller vite que cet affrontement, grossièrement esquissé, du classicisme et du romantisme traduit entre autres une tension entre une forme d’art à tendance impersonnelle et une forme d’art plus fortement individualisée.

Cette perspective historique se double d’une seconde perspective, interculturelle. Jusqu’à une époque assez récente, les cultures extra-européennes étaient moins individualistes, moins subjectivistes, que la culture européenne. On peut supposer que cette caractéristique générale ‒ à nuancer naturellement autant que nécessaire ‒ retentit forcément sur les œuvres d’art, moins marquées sans doute par la personnalité de leur créateur hors de l’Europe qu’elles ne le sont ‒ et de plus en plus nettement semble-t-il ‒ en Europe depuis plusieurs siècles.

Enfin, à ces deux perspectives, historique et interculturelle, s’en ajoute une troisième, plus strictement esthétique. D’une manière au moins approximative et superficielle, on peut penser que certains arts laissent plus de place que d’autres à l’éventualité et à la possibilité de l’expression individuelle de la part de leur créateur : d’un côté, la littérature et la peinture, notamment, où l’auteur peut inscrire sa marque de manière plus ou moins évidente ; d’un autre côté, la musique et la danse, notamment, où les signes éventuels de sa présence sont plus difficiles à saisir et à caractériser. Là encore, il n’est peut-être pas indispensable de forcer l’opposition. Bien au contraire, le colloque pourrait être justement l’occasion de mettre en évidence des convergences inaperçues ou encore peu analysées entre les formes d’art plus susceptibles d’individualisation et les formes d’art a priori plus impersonnelles.

Tel pourrait donc être le centre de la problématique générale : singularité de l’œuvre vs impersonnalité de l’œuvre, à moduler et à préciser selon les trois axes définis supra.

Dès lors, plusieurs niveaux pourraient être distingués, avec un degré de généralité croissant, dont le premier est principalement retenu pour le colloque, le deuxième déployant des perspectives, un troisième ayant été pensé sans être présenté à ce stade :

(1) L’auteur inscrit dans son œuvre des éléments, en particulier biographiques. Par exemple dans les romans de Beckett, le narrateur s’arrange pour laisser entendre que sa langue maternelle n’est pas le français, à quoi s’ajoutent des allusions précises à une origine irlandaise. Dans Le Procès et dans Le Château, le héros est désigné par l’initiale de l’auteur : K(afka). Dans Le Loup des steppes, les initiales du héros (Harry Haller) sont les mêmes que celles de l’auteur (Hermann Hesse). Aussi bien chez Kafka que chez Hesse, certains éléments du récit peuvent être mis en parallèle avec la vie réelle de l’auteur, notamment chez Kafka, les rapports du héros avec les personnages féminins. Ces indices marquent une certaine volonté de l’auteur de se représenter lui-même, de se mettre en scène dans son œuvre, pour des raisons qu’il convient d’élucider dans tous les cas. Ces marques plus ou moins explicites d’un engagement direct de l’auteur dans son œuvre peuvent d’ailleurs s’accompagner d’une dénégation de sa part, l’auteur tenant à affirmer haut et fort que, malgré les apparences, malgré mêmes peut-être les évidences, ce n’est pas de lui qu’il s’agit dans son œuvre. Même dans les cas les mieux caractérisés d’autobiographie, d’autofiction ou d’autoportrait, même quand l’œuvre accueille sans conteste des éléments biographiques qui renvoient de la manière la plus nette à la personne de l’auteur, le singulier peut et doit s’articuler avec l’universel, la communauté potentielle du public, afin que l’œuvre d’art ne soit pas seulement la manifestation éphémère et insignifiante d’une individualité sans force de communication ni de rayonnement. Selon cette logique, à l’un des pôles du spectre, on peut observer une volonté ou une revendication d’anonymat, plus ou moins complet, devenu très rare il est vrai à l’époque moderne. Dans le même ordre d’idées, il faut de toute façon rappeler la position de Proust, dans le Contre Sainte-Beuve : l’être qui écrit (le moi créateur) est foncièrement différent de la personne qui vit dans le monde réel (le moi social), thèse discutable et qui, de fait, a été discutée (notamment par Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust ou la fin de la littérature, Belin, 2006). Même si l’on récuse cette opposition jugée trop rigide, elle oblige à se demander ce qui, de la personne de l’auteur, transparaît dans l’œuvre, ou ce qui contribue à faire de l’œuvre ce qu’elle est, à constituer son sens.

Dans le domaine pictural, la tentative pour élucider la présence de l’auteur dans son œuvre a été menée avec un certain brio par Yannick Haenel, La Solitude Caravage, Fayard, 2019. La démarche du livre a quelque chose d’exemplaire, dont il doit être possible de tirer profit. Au chapitre 15, « À qui la vocation s’adresse-t-elle ? » (p. 66-69), l’auteur note que le peintre se représente lui-même comme l’un des personnages du tableau dans Le Martyre de saint Matthieu (p. 67 ; voir p. 164-165, p. 182). Alors qu’il représente un sujet mythologique ou religieux, le peintre se représente aussi lui-même, dans une posture en quelque sorte narcissique. « Leon Battista Alberti, qui théorisa l’art de peindre en 1435 avec son De pictura, écrit que la peinture consiste à “embrasser avec art la surface d’une fontaine”. Par le mot de “fontaine”, il entendait avant tout un miroir et se référait au mythe de Narcisse » (p. 100), ce qui signifie que lorsqu’il peint, d’une manière ou d’une autre, le peintre représente un reflet de lui-même. Ainsi, « Le Petit Bacchus malade – ou Autoportrait en Bacchus –, l’un de ses premiers tableaux » (p. 124) « a été reconnu comme un autoportrait du peintre » (p. 139). Le peintre inscrit son individualité (physique) dans un cadre (mythique) qui la déborde largement. La réalité ordinaire se dépasse dans une forme de transcendance qu’il conviendrait de préciser et de caractériser. Quelles leçons en tirer ? Yannick Haenel aboutit à cette conclusion : « il existe des artistes qui se contentent d’illustrer des figures religieuses, le Caravage, comme Zurbaran ou Delacroix, a besoin d’établir entre son sujet et la nécessité d’une expérience – d’un appel qui prenne valeur de transfert » (p. 212). La méthode de l’ouvrage pourrait être généralisée : « il est passionnant d’observer comment, de peinture en peinture, le Caravage choisit de tramer son existence dans la matière mystique de la vie d’un saint : comme l’idéalisation n’est pas son genre, on peut être sûr que ce transfert relève d’un rapport brûlant » (p. 215). Entre le contenu de l’œuvre et la vie, la personnalité de l’auteur, il peut y avoir « transfert », « rapport brûlant ». Ces notions mériteraient sans doute d’être développées et élargies. Ainsi, si l’autoportrait est fréquent en Occident (Rembrandt, Egon Schiele, Van Gogh), parfois avec une mise en scène (caché par un tableau qu’il tient devant son visage pour Magritte, regardant le spectateur pour Vélasquez dans Les Ménines, décrit dans Les mots et les choses de Foucault, Paris, Gallimard, 1966) c’est un genre très marginal en Chine, voire en Asie : que signifient alors les rares autoportraits (Shitao, Ren Xiong), dans la mesure où la présence de l’auteur s’exprime généralement autrement ? L’anonymat ou le pseudonyme sont plus courants.

Dans les autres arts, on peut s’interroger sur les rapports plus ou moins directs de l’œuvre avec telle ou telle circonstance de la vie de l’auteur, qui y trouve d’une manière ou d’une autre son expression. Il y aurait peut-être des indications intéressantes de ce point de vue à tirer de Norbert Elias, Mozart. Sociologie d’un génie, Seuil, 1991. Bach est le premier de sa lignée à dissimuler dans son œuvre le motif tiré de son nom, B.A.C.H. soit : si bémol-la-do-si bécarre, que l’on trouve en particulier dans L’Art de la fugue, œuvre inachevé qui s’arrête justement avec l’apparition de cette « signature » ; plusieurs compositeurs par la suite recourent à ce procédé pour s’inscrire dans l’œuvre (Chostakovitch avec D.Es.C.H soit -mi bémol-do-si) ou inscrire un message dans l’œuvre (Schumann pour Clara). Un auditeur ne connaissant pas ce procédé, ne peut pas reconnaître spontanément leur présence dans ces œuvres. Il y a un clivage au début du xixe siècle avec le passage du Tonsetzer (humilité, notion d’offrande musicale) tel Bach envers Frédéric de Prusse, au Tondichter (idée de créateur) tel Beethoven. Il y a une atmosphère de Schubert, une atmosphère de Chopin. Peut-on mettre en parallèle une analyse musicologique de leurs œuvres et certaines circonstances de leur vie ou des traits de leur personnalité ? L’exercice est sûrement délicat et périlleux, mais il n’est peut-être pas tout à fait impossible. Autre exemple, pour le cinéma : Hitchcock fait toujours une apparition dans ses films. Peut-on risquer le même genre d’analyse dans le domaine de la poésie chinoise, par exemple, très suggestive et dans laquelle, traditionnellement, le « je » ne se dit pas ?

On peut aussi penser au concept « ready-made » de Duchamp où l’accent est mis sur la réception comme c’est déjà le cas pour les haïku-s. Roland Barthes (« La préparation du roman », Cours au Collège de France (1978-1979)/(1979-1980), Seuil, 2015, p. 189, 194) analyse les haïku-s comme « les exemples même de ce que j’ai appelé l’individuation qui n’est pas l’individu : le je passe dans le corps, le corps dans la sensation et la sensation dans ce moment par le processus d’individuation. [...] C’est-à-dire que le corps est là sans que l’énoncé ait à dire je, car il ne peut s’agir que de mon corps. [...] Or la règle structurale du haiku est de diviser la confidence au point qu’elle soit sans personnalité. [...] C’est l’opposition entre individuation et individuel ».

(2) Pour prolonger la réflexion, la théorie esthétique de Proust ouvre des perspectives fécondes. Le compositeur Vinteuil et le peintre Elstir, notamment, sont des personnages importants d’À la recherche du temps perdu. Le récit évoque leur vie et leur personnalité de manière à articuler la dimension biographique qu’ils incarnent et le commentaire de leurs œuvres, certes fictives, mais représentatives des courants artistiques dominants de l’époque (la musique de Vinteuil pourrait être celle de Debussy ou de Fauré, la peinture d’Elstir celle de Van Gogh ou de Monet, par exemple). Selon Proust, l’œuvre d’art traduit la « vision » singulière d’un artiste. Le monde extérieur est représenté par l’artiste selon un point de vue qui lui est propre. Son œuvre offre du monde une transposition intériorisée, originale dans la mesure où elle procède de la « différence qualitative » propre à son auteur (Le Temps retrouvé, « Pléiade », t. IV, p. 474). La comparaison s’impose ici avec l’esthétique chinoise : voir Shitao, Les Propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère, traduction et commentaire de Pierre Ryckmans (Paris, Plon, 2007, p. 76) ; L’Art poétique de Sikong Tu, « 二十四詩品 » 司空圖, 24 poèmes traduits et commentés par Véronique Alexandre Journeau (Paris, You-Feng, 2006), notamment p. 9 : « une vraie substance en intérieur renforce », et p. 21 : « retourner en soi ». La fleur du tableau est vue à travers un prisme irremplaçable, la sensibilité de l’artiste, « Elstir ne pouvant regarder une fleur qu’en la transplantant d’abord dans ce jardin intérieur où nous sommes forcés de rester toujours » (Sodome et Gomorrhe, À la recherche du temps perdu, « Pléiade », t. III, p. 334). Proust décèle ainsi un rapport étroit entre la personnalité de l’artiste et les caractéristiques de l’œuvre : la manière dont l’écrivain associe les mots, dont le musicien retient « tel timbre » (La Prisonnière, « Pléiade », t. III, p. 758) et arrange « l’harmonie », dont le peintre joue de « la couleur » (ibid., p. 665). L’œuvre d’art peut ainsi donner la « sensation de l’individualité » (ibid., p. 664) ; elle suscite « un accent unique » (ibid., p. 761), un « chant singulier » (ibid., p. 762) parce qu’elle traduit la personnalité de son auteur dans ce qu’elle a de plus irréductible. Selon Proust, l’artiste est presque littéralement présent dans son œuvre. Écoutant une œuvre de Vinteuil, le narrateur en vient à « ne plus songer qu’au musicien. Aussi bien semblait-il être là » (ibid., p. 758). L’œuvre d’art ne se contente pas d’évoquer d’une manière ou d’une autre la présence de son auteur. À la limite, l’œuvre se confond avec la personne même de l’auteur. Elle est l’auteur lui-même, incarné dans une autre sorte de corporéité. L’œuvre d’art offre de l’auteur et de sa présence dans le monde la modalité la plus haute.

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Les Comités Langarts (Comité scientifique et Comité de pilotage) qui évalueront les propositions souhaitent privilégier celles pouvant susciter des échos entre arts et cultures, ainsi que celles de doctorants relevant des centres partenaires.

Chaque intervenant disposera de 30 minutes (temps des questions inclus)

Forme des propositions de communication (en français ou en anglais)

  • Un résumé d’environ 300 à 350 mots
  • Une brève biographie-bibliographie (10 à 12 lignes de l’auteur sur son parcours, ses titres et rattachements, ses publications les plus importantes et récentes).

Adresse de correspondance pour le colloque : langarts@orange.fr

(Précisez à chaque correspondance « votre nom_colloque Langarts 2020 » dans l’objet).

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Dates à retenir

  • Date limite d’envoi des propositions de communication : 15 novembre 2019
  • Date de réponse après évaluation des propositions : 15 janvier 2020
  • Date limite pour confirmer votre venue (pour les communications acceptées) : 1er mars
  • Date limite d’envoi des titres et résumés définitifs (bilingue) : 1er mai
  • Date limite de soumission des articles issus des communications : 1er septembre 2020
  • Publication dans la collection « L’univers esthétique » chez L’Harmattan : 2021