Questions de société

"Humiliés et licenciés. À propos de : N. Renahy, P.-E. Sorignet (dir.), Mépris de classe", par David Descamps (laviedesidees.fr)

Publié le par Université de Lausanne

"Humiliés et licenciés"

À propos de : Nicolas Renahy, Pierre-Emmanuel Sorignet (dir.), Mépris de classe, Éditions du Croquant

par David Descamps, en ligne sur laviedesidees.fr, le 14 octobre.



La sociologie a fait grand cas de la « violence symbolique », c’est-à-dire de « cette coercition qui ne s’institue que par l’intermédiaire de l’adhésion que le dominé ne peut manquer d’accorder au dominant […] lorsqu’il ne dispose […] pour penser sa relation avec lui, que d’instruments qu’il a en commun avec lui » (Bourdieu, 1997, p. 245). Cette violence, qui procède d’abord et avant tout du consentement du dominé, apparaît en effet au cœur des plus puissants systèmes de domination et constitue, de fait, un moteur essentiel à leur reproduction. Si les sociologues ont été amenés à montrer que cette violence, qui ne se vit pas comme telle, ne pouvait résumer à elle seule la manière dont les rapports sociaux peuvent être vécus par les dominés, en soulignant par exemple que ces derniers pouvaient opérer des « résistances » à l’égard de différentes formes de domination qu’ils subissent et s’accommoder en même temps du destin social qui leur était réservé (Willis, 1978 ; Palheta, 2012), ils s’étaient en revanche assez peu intéressés à toutes ces manifestations sans voile de la domination qui rendent a priori moins évidente l’adhésion des dominés à l’ordre social et aux mécanismes qui les assignent aux positions les plus basses.

Bien que Tocqueville ait été amené, en son temps, à attribuer un rôle déterminant aux « expressions publiques de mépris » des dominants à l’égard du peuple dans l’émergence de la Révolution Française (Tocqueville, 1856, p. 275-286), force est de reconnaître en effet que, jusqu’à récemment, peu de travaux avaient été consacrés à l’analyse du mépris de classe. Dans ce cadre, l’attention qui est désormais accordée par les sociologues à ce phénomène doit probablement beaucoup au mouvement des Gilets jaunes et aux réflexions qu’il a suscitées pour en comprendre les ressorts et l’origine. Pour Pierre Rosanvallon (2021), la compréhension des récents mouvements sociaux nécessite en effet de revenir aux épreuves que les individus traversent et aux sentiments qu’elles génèrent, et, concernant le mouvement des Gilets jaunes, de se pencher sur le « mépris de classe » exprimé par ceux « d’en haut ».

Partant, le récent ouvrage Mépris de classe. L’exercer, le ressentir, y faire face et les articles du dossier du numéro 119 de la revue Sociétés contemporaines consacré à ce même objet permettent d’en proposer une grille d’analyse qui contribue assurément à enrichir la lecture des rapports de domination, souvent réduite au seul prisme de la « violence symbolique ». […]

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