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Girard / Bourdieu / Littérature

Girard / Bourdieu / Littérature

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Absa d'Agaro)

Existe-t-il une connaissance de l’homme et une éthique propres à la littérature parallèlement aux réponses que fournissent la religion, la philosophie, les sciences humaines ? Les œuvres de René Girard et de Pierre Bourdieu sont sans doute celles qui se sont intéressées à la littérature de la façon la plus remarquable depuis 50 ans à partir d’une problématique anthropologique. On a rapproché ces auteurs car il existe entre eux une affinité qui n’a pas été encore explorée et que résume la notion de lutte des classements.

Cette expression empruntée à La Distinction de Pierre Bourdieu, ne diffère guère des luttes pour la reconnaissance décrites par Hegel et des rivalités mimétiques décrites par René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque. La vie sociale est le théâtre de rivalités petites et grandes qui produisent de la rareté et de la misère matérielle et affective. L’Evangile a proposé un classement tout nouveau en son temps en annonçant : les premiers seront les derniers. La littérature n’est-elle pas, elle aussi, essentiellement une méditation sur, c’est-à-dire contre, la lutte des classements et la mimésis appropriative, que les enjeux en soient symboliques ou matériels ? Cette méditation sur la lutte des classements possède un amont et un aval. En amont, elle s’interroge sur les fondements anthropologiques et psychologiques des rivalités qui divisent les hommes. En aval, elle se penche sur la violence et sur les paupérisations dont sont victimes les perdants en matière de reconnaissance aussi bien qu’en matière économique.

Le rapprochement de Bourdieu et de Girard comporte une tension qui ouvre un large champ à la discussion. Le premier englobe les luttes pour la reconnaissance au sein des luttes pour la possession du capital économique. Girard voit les choses dans l’autre sens. Il donne la priorité aux luttes de prestige, de reconnaissance, d’identité, d’amour-propre, comme on voudra dire, et ce sont ces luttes qui aboutissent à la paupérisation et à la lutte des classes.

Quoiqu’il en soit, il y aurait lieu d’amplifier la vérité que Girard a nommée romanesque. Existe-t-il une vérité littéraire ? Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas une mauvaise littérature qui ne dit pas la vérité, qui flatte le désir de domination ou de consolation, comme les mauvais livres dont se bourrait la pauvre Emma Bovary. A la vérité sur le désir que révèle la bonne littérature, on n’opposera pas seulement le mensonge romantique, mais, par delà le cas spécifique du romantisme, le mensonge inhérent à toute complaisance non critiquée à l’égard des standards de vie les plus conventionnels et les plus enviés qui aboutissent à produire de la domination et de la pauvreté affective, sexuelle ou matérielle.

Ces réflexions amèneraient à se demander s’il n’existe pas un troisième réalisme. Le réalisme social montre les classes sociales dans leurs relations et leur dynamisme. Le réalisme créaturel donne à voir le corps et le bas matériel (Auerbach, Bakhtine). Il restera à nommer le troisième réalisme, héritier de la tradition augustinienne (Hobbes, les jansénistes) Ce réalisme met en évidence la vérité du désir de classement, ou de vanité, comme disaient les psychanalystes du XVII° siècle.

La littérature n’a certes pas le monopole de la critique des conventions sociales et ce n’est sans doute pas sa seule préoccupation. Reste qu’elle pourrait bien en constituer le meilleur exercice parce qu’elle le fait avec ses moyens spécifiques, en fabriquant à l’aide du seul langage un monde à la fois fictif et concret, parallèle au monde réel, décortiqué à partir de la sensibilité et de l’expérience autant que de l’intelligence. Voilà pourquoi elle est si précieuse.

 

Notre problématique peut être elle-même problématisée au moins de deux manières. Du côté de l’histoire d’abord : qu’en est-il de la lutte des classements dans les textes qui furent produits en des temps et des lieux qui échappent à la définition restrictive que nous donnons au mot littérature depuis le romantisme, c’est-à-dire dans des sociétés théologico-féodales où les hiérarchies étaient entièrement légitimes mais où la lutte des classements était autrement bridée que dans la société moderne ?

En deuxième lieu, Rousseau qui a si bien montré l’empire de l’amour-propre sur le désir, a souligné le fait qu’à l’instar de tous les hommes médiatiques, les hommes de lettres pourraient être parmi les plus exposés aux rivalités d’amour-propre. Cela invite à envisager la lutte des classements non plus au sein des œuvres, mais à partir des motifs psychologiques de la création. Et à confronter les contenus explicites et les stratégies cachées.

 

Les monographies ne sont possibles sur un tel sujet qu’à la condition d’être orientées vers l’éclairage de la problématique d’ensemble. Celle-ci ne demande, bien sûr, qu’à être discutée, voire contestée.

 

Comité scientifique :

Jacques Bouveresse, Collège de France

Bruno Viard, Aix-Marseille Université

Barbara Carnevali, Université de Trente (Italie)

Per Buvik, Université de Bergen (Norvège)

Karine Bénac, Université des Antilles

Les propositions de communication comportant un titre (une page environ) sont à adresser à Bruno-viard@wanadoo.fr avant le 31 décembre 2013 accompagnées d’une bio-bibliographie d’une dizaine de lignes. Le colloque se tiendra au mois de mai 2014.