Actualité
Appels à contributions
Généalogies imaginaires (revue À l’épreuve n°7)

Généalogies imaginaires (revue À l’épreuve n°7)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Rirra 21)

« Généalogies imaginaires », À l’épreuve, n°7 (2021)

Le prochain numéro 7 de la revue interdisciplinaire À l’épreuve propose de réunir des investigations sur la création et l’usage de « généalogies imaginaires », envisagées dans la diversité des pratiques et des discours artistiques et littéraires, sans restriction de corpus qui serait liée à des critères historiques ou géographiques.

L’engouement pour la généalogie, pas encore démenti depuis sa survenue dans les années 1980, traduit une fascination largement partagée pour le mystère des origines. À travers la recherche d’un lignage personnel, le généalogiste amateur cherche à inscrire son existence dans un continuum familial et mémoriel. Le lien est tout à la fois biologique et social. Il s’accompagne de connotations affectives, historiques, symboliques, voire mythiques. En outre, les récits mythologiques aux sources de toutes les cultures s’ouvrent par des récits généalogiques : chaque religion, chaque dynastie, commence par énoncer le nom des ancêtres et des patriarches qui l’ont fondée.

Dans les différents domaines de la littérature et des arts, convoquer un imaginaire généalogique permet aux créateurs de construire leur identité d’artiste, aussi bien sur le plan personnel que vis-à-vis de leurs pairs et du public. Revendiquer une filiation, attestée ou non par les faits, donne du sens au parcours artistique. Et l’œuvre s’enrichit de l’imaginaire généalogique mobilisé autour d’elle.

Comme l’idéalisation de son ascendance, proche ou lointaine, est souvent une stratégie, il convient d’interroger non seulement le processus, mais aussi les modalités et les fonctions de l’identification généalogique, variables selon les contextes.

Un mythe biographique peut servir un dessein politique, comme lorsque George Sand souligne sa proximité avec la lignée maternelle plébéienne, « au sang plus chaud dans les artères », dans un siècle où il est davantage fréquent de s’inventer des origines nobles. Dans « Rimes féminines », la chanteuse Juliette Noureddine établit une liste hétéroclite, et fictive, de ses ancêtres rêvées : les qualités spirituelles et physiques énumérées au cours de la performance dessinent un panthéon historique et féministe à l’humour concerté. D’autres mettent en jeu les origines familiales au service d’un projet sociologique et militant, tel Édouard Louis, qui prolonge en outre son autobiographie avec un authentique changement d’état-civil. Parfois, la référence généalogique déplace l’héritage symbolique sur le terrain marchand : ainsi le nom des ancêtres fondateurs est susceptible d’être conservé en gage d’authenticité et de prestige (comme dans les cirques traditionnels).

Propice au fantasme, la filiation peut être recréée au point d’être mensongère, voire totalement usurpée. Dans le milieu du hip-hop, il est fréquent de revendiquer un passé familial troublé : la fameuse street credibility mesure la légitimité à traiter certaines thématiques dans un champ artistique concurrentiel. Comme dans le mythe du self-made man, l’œuvre est d’autant plus reconnue qu’elle a été bâtie en dépit du handicap des origines familiales, déterminantes de bien des manières. Qu’elle soit haïe ou héroïsée, belle ou « affreuse sale et méchante » (comme dans le film d’Etorre Scola), la famille est le point de départ (presque) inoubliable de toute existence personnelle… et de toute trajectoire de vie.

Cependant, à la croisée de plusieurs imaginaires, l’inscription dans une succession de générations dépasse le cadre de l’identité individuelle. Les motifs généalogiques, diversement élaborés, peuvent être un jeu de masques, un moyen de s’inscrire dans un groupe, ou encore de convoquer une mémoire. Gare toutefois à l’artiste qui mentirait sur ses origines, tel le mulet se vantant de sa généalogie dans la fable de la Fontaine, et dont la supercherie serait démasquée… Car jusqu’où peut-on dire que les fausses identités relèvent de la performance artistique ? Les accusations d’appropriation culturelle interrogent les procédures de légitimation dans le champ artistique et littéraire, ainsi que les rapports de pouvoir sous-jacents (notamment économiques). La réflexion s’étend à l’histoire des mouvements artistiques, et à la façon dont leur parenté se construit de façon sélective ; ainsi « l’oubli », par les surréalistes, des précurseurs de la génération précédente, ou le gommage de l’encombrante filiation russe dans l’abstract painting pendant la guerre froide, tant par les artistes que par les historiens de l’art.

Les œuvres elles-mêmes mobilisent des imaginaires généalogiques complexes.

L’exemple canonique, l’arbre des Rougon-Macquart de Zola, est modeste par rapport aux généalogies déployées dans certaines œuvres sérielles – que l’on songe aux feuilletons télévisés comme Les Soprano, à la plupart des univers d’heroic fantasy, aux jeux vidéo comme la série des Tekken… Dans ces univers, les descendants (légitimes ou non) doivent parfois batailler pour affirmer une identité familiale, en lien avec leurs caractéristiques biologiques, psychologiques, mais aussi sociales. Appartenir à une famille, à un clan – parfois sur le mode de l’allégeance ou de la prophétie – motive la logique narrative des sagas, tout en servant de ressort puissant pour la constitution des personnages.

Enfin, les motifs généalogiques peuvent se lire comme une réflexion sur l’art, ses sources et ses modèles. Les dynasties artistiques peuvent mettre en place des jeux d’écho et de citations entre leurs œuvres (ainsi les films de Jean Renoir comportent fréquemment des allusions aux tableaux de son père, Pierre-Auguste Renoir), qui permettent d’éclairer et de comparer leurs différentes inspirations, mais aussi des données idéologiques voire historiques. La mémoire familiale se greffe sur l’histoire collective, et inversement, dans un dialogue fécond de la généalogie et de la création.

 Les quelques pistes esquissées ci-dessus ne sont en rien limitatives. Le numéro est ouvert à l’ensemble des disciplines rattachées aux lettres et sciences humaines (notamment littératures, arts plastiques, études cinématographiques, musicologie, études culturelles…), ainsi qu’aux sciences sociales.

Les propositions de contribution, d’environ 500 mots, assorties d’un titre et de quelques lignes de présentation bio-bibliographique, seront à envoyer par courriel au plus tard le 3 juillet 2020, à l’adresse suivante :

revue.alepreuve at gmail.com

Après évaluation des propositions par le comité scientifique, les notifications d’acceptation seront communiquées sous un mois. Les articles seront remis en octobre 2020, pour une publication sur le site de la revue prévue début 2021.

*

Comité de rédaction 2020 :

Sixtine Audebert, Sara Maddalena, Julie Moucheron (Université Paul-Valéry / Rirra 21)

Comité scientifique :

Valérie Arrault, Guillaume Boulangé, Guilherme Carvalho, Vincent Deville, Claire Ducournau, Philippe Goudard, Matthieu Letourneux, Catherine Nesci, Yvan Nommick, Guillaume Pinson, Didier Plassard, Corinne Saminadayar-Perrin, Maxime Scheinfeigel, Catherine Soulier, Marie-Ève Thérenty.