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Faire nôtre Expérience et Pauvreté de Walter Benjamin? / Make our own Walter Benjamin’s « Experience and Poverty »?

Faire nôtre Expérience et Pauvreté de Walter Benjamin? / Make our own Walter Benjamin’s « Experience and Poverty »?

Publié le par Marc Escola (Source : Florent Perrier)

Appel à communications (english version : scroll down)

Université Rennes 2

UFR Arts, Lettres, Communication

Faire nôtre Expérience et Pauvreté de Walter Benjamin ?

colloque international du 15 au 17 octobre 2020 à Rennes 2

organisé par 

Florent Perrier - maître de conférences en esthétique et théorie de l’art

EA 7472 Pratiques et théories de l’art contemporain (PTAC)

Christophe David - maître de conférences en philosophie

EA 1279 Histoire et Critique des Arts (HCA)

 

Souvent la scène a été décrite dans nos illustrés d’enfants : cerné par ses ennemis, sombrant déjà pour partie, un navire n’a d’autre choix, pour espérer s’enfuir et mettre les voiles, que de sacrifier ses canons les plus lourds, les passer par-dessus bord pour gagner en vitesse, d’autre choix que de se désarmer et perdre ainsi tout recours pour forcer sa chance, prendre le large, se libérer.

*

Nous ne sommes pas en 1933, ni non plus menacés, ici, en Europe, comme le fût Walter Benjamin lorsqu’entre deux apocalypses et déjà en exil, dans une indifférence liée aux circonstances historiques, il publia, dans un journal praguois à l’éphémère existence, son court et incisif texte Expérience et Pauvreté. Le constat qu’il dressait alors, celui d’une alliance, chez les grands créateurs, entre une « entière désillusion quant à l’époque » et, néanmoins, « une reconnaissance sans réserve de cette même époque », n’est-il pourtant pas aussi le nôtre ? Non pas encore le nôtre (la Shoah et d’autres catastrophes ont bouleversé depuis l’ordre du pensable), mais de nouveau le nôtre, comme si nous en étions au point où, assumer aujourd’hui notre pauvreté, où nous désarmer volontairement, serait la voie salvatrice, l’issue à tenter pour échapper à l’inertie promise par un sombre avenir.

Si ce « nôtre » ou si ce « nous » est évidemment problématique et doit être interrogé, il n’en reste pas moins, et plus encore face à la disparition des ressources naturelles sciemment provoquée par l’homme, que ce « nous » pourrait être celui du communisme défini, dans les années 30, par Brecht, comme le juste partage de notre pauvreté collectivement reconnue quand le capitalisme persiste à n’être que le masque du partage d’une illusoire richesse juste préemptée par quelques-uns.

Que ce « nous » pourrait être celui d’une pauvreté de nos sillages enfin assumée, d’une reconnaissance pleine et entière de cette pauvreté quand la capitalisation des traces, leur accumulation se traduit, elle, en plaintes nostalgiques et en crispations identitaires sur un passé fictif dont nul ne peut s’instituer propriétaire.

Que ce « nous » pourrait être celui de se faire indigeste pour l’époque, de s’y affirmer irrécupérable par l’appauvrissement de tout effet quand gagnent à nouveau, selon les voies d’un nivellement des consciences par trop répandu, les miroirs du mythe que seconde derechef l’esthétisation de la politique — « Faire taire une rhétorique de la beauté, de la distinction et du pouvoir, ainsi dénoncée comme l’instrument d’un travestissement ou d’une dénégation de ce qui est et d’une répression de ce qui pourrait être. » (Daniel Payot, Après l’harmonie)

Que ce « nous » pourrait être celui d’un silence préalable face aux désastres du monde, l’expérience douloureuse d’un dépérissement de l’expérience quand le commentaire universel mime l’autorité frelatée du sentencieux et drape son inaction de vertus assassines — « La réalité de la souffrance […] ne peut se déposer en expériences communicables, […] elle ne peut se plier à l’assemblement, à la syntaxe de nos phrases. » (Jeanne Marie Gagnebin, Histoire et narration chez Walter Benjamin)

Que ce « nous » pourrait être celui d’une recherche persistante de l’élémentaire, l’écart creusé d’avec notre assignation à une certaine culture quand celle-ci est précisément l’emblème apprêté d’une impossibilité d’en éprouver la richesse, celui de sa sédimentation — « On n’a jamais vu spectacle plus répugnant que celui d’une génération d’adultes qui, après avoir détruit toute possibilité d’expérience authentique, impute sa propre misère à une jeunesse désormais incapable d’expérimenter. » (Giorgio Agamben, Enfance et histoire)

Que ce « nous » pourrait être celui qui échoit en partage à l’enfant, cette figure inassignable de nos possibles, d’une utopie non encore désavouée et forte de ses virtualités quand l’éducation persiste à configurer nos sensibilités par l’addition des redressements, des forçages en tous genres.

Que ce « nous » pourrait être celui de barbares qui tentent de « survivre » joyeusement à la culture quand les civilisés eux, polis et exténués par leur docilité mensongère et tant de renoncements, s’enfoncent toujours plus, claquemurés dans leur individualisme, vers la perte de regards offerts à l’extérieur, à ce qui peut venir.

Mêler à ces « nous » possibles d’autres agencements du commun, faire entendre leurs discordances ou leurs ajointements en contrepoint d’Expérience et Pauvreté, tenter de dire et au regard de ce que seraient pour « nous » aujourd’hui les grands créateurs, à quels appauvrissements « nous » sommes disposés à consentir pour maintenir l’espoir de mettre collectivement les voiles, tel est le désir associé à l’organisation de ce colloque international qui, au fil de trois journées, alternera séances thématiques et espaces de traversée d’Expérience et Pauvreté offerts à des invités.

Au nombre de six, les séances thématiques se réfèreront aux mots : GESTES, VOIX, HISTOIRES, IMAGES, LIVRES, ESPACES. Il ne s’agira pas d’interpréter Erfahrung und Armut  au regard de ces mots, mais d’essayer de dire, avec quels gestes, quelles voix ou quelles histoires, avec quelles images ou quels livres, avec quels espaces « nous » pourrions faire nôtre Expérience et Pauvreté de Walter Benjamin ?

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Les propositions de communication, pour des interventions orales de 30 mn, sont à envoyer, en français, anglais, espagnol ou allemand à Christophe David (christophe.david@univ-rennes2.fr) et à Florent Perrier (florent.perrier@univ-rennes2.fr), avant le 15 janvier 2020.

Ces propositions feront 15 à 20 lignes, s’y ajoutera une notice de 5 à 6 lignes sur l’auteur.

Un comité scientifique, composé de Marc Berdet (Université de Brasilia - Brésil), Marianne Dautrey (INHA - Paris), Henri Lonitz (co-directeur de l’édition critique des Œuvres et inédits de Walter Benjamin - Francfort/Main), Patrick Vassort (responsable du programme international Recherche en Théorie critique - Université de Caen), Esther Leslie (Université de Birkbeck - Londres), Bernd Stiegler (Université de Constance - Allemagne), Florent Perrier (Université Rennes 2) et Christophe David (Université Rennes 2) les examinera avant la fin du mois de mars 2020.

Les interventions seront dans la mesure du possible prononcées en français ou sera mis à la disposition du public une traduction française de la communication, traduction à laquelle nous nous offrirons de collaborer au besoin.

Sauf cas exceptionnel, les déplacements resteront à la charge des intervenants.

Les citations d’Expérience et Pauvreté proviennent de la traduction de Philippe Beck et Bernd Stiegler donnée dans Po&sie (éd. Belin, 1989, n° 51). Le PDF de cette version est facilement accessible en ligne.

Christophe David et Florent Perrier ont organisé en octobre 2017 à Rennes 2 le colloque Où en sommes-nous avec la Théorie esthétique d’Adorno ? d’où est issu l’ouvrage du même nom désormais publié aux éditions Pontcerq (http://www.pontcerq.fr/livres/ou-en-sommes-nous-avec-la-theorie-esthetique-dadorno/).

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Make our own Walter Benjamin’s « Experience and Poverty » ?

International Conference from October 15 to 17, 2020 at Rennes 2 University

Florent Perrier - maître de conférences en esthétique et théorie de l’art EA 7472 Pratiques et théories de l’art contemporain (PTAC)

Christophe David - maître de conférences en philosophie EA 1279 Histoire et Critique des Arts (HCA)

Call for Papers

The scene has often been described in our illustrated children’s books : surrounded by its enemies, already sinking for part, a ship has no other choice, if it hopes to escape and sail away, than to sacrifice its heaviest cannons, to throw them overboard in order to gain speed, this ship has no other choice than to disarm itself and thus to lose any recourse in order to force its luck, to sail to the deep sea, to free itself.

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We are not in 1933, nor are we threatened, here in Europe, as Walter Benjamin was when, between two apocalypses and already in exile, in an indifference due to historical circumstances, he published his short and incisive text « Experience and Poverty » in a Prague’s newspaper with short-lived existence. However, isn’t the assessment he made of an alliance, by the great creators, between « a total disenchantment about the age » and, nevertheless, « an unlimited commitment to it » also ours ? Not still ours (the Shoah and other catastrophes have shaken up, since then, the order of the thinkable), but again ours, as if we were at the point where, undertaking our poverty today or, disarming voluntarily, would be the lifeline, the way out to escape the inertia promised by a dark future.

If this « our » or this « we » is obviously problematic and has to be questioned, even more so as we are faced with the disappearance of natural resources knowingly caused by man, it remains that this « we » could be that of communism defined in the 1930s by Brecht as the just sharing of our poverty, collectively recognized when capitalism persists in being only the mask of the sharing of an illusory wealth just pre-empted by a few.

It remains that this « we » could be that of a poverty of our trajectory finally accepted, of a full recognition of this poverty when the capitalization of the traces, their accumulation is reflected in nostalgic complaints and identity tensions over a fictitious past for which no one can claim ownership.

It remains that this « we » could be an attempt to be indigestible by the time, to assert itself irrecoverable by the impoverishment of any effect when the mirrors of the myth that second the aestheticization of politics win again according to the ways of a levelling of consciousness too much widespread, — « To silence a rhetoric of beauty, distinction and power, and thus to denounce it as the instrument of a misrepresentation or a denial of what is and a repression of what might be » [« Faire taire une rhétorique de la beauté, de la distinction et du pouvoir, ainsi dénoncée comme l’instrument d’un travestissement ou d’une dénégation de ce qui est et d’une répression de ce qui pourrait être »] (Daniel Payot, Après l'harmonie).

It remains that this « we » could be that of a prior silence facing the disasters of the world, the painful realization of a withering of experience when the universal commentary mimics the adulterated authority of the sentencious and drapes its inaction with murderous virtues — « The reality of suffering [...] cannot be expressed in communicable experiences, [...] it cannot conform to the assembly, to the syntax of our sentences» [« La réalité de la souffrance [...] ne peut se déposer en expériences communicables, [...] elle ne peut se plier à l’assemblement, à la syntaxe de nos phrases »] (Jeanne-Marie Gagnebin, Histoire et narration chez Walter Benjamin)

It remains that this « we » could be that of a persistent search for the elementary, the widened gap with our assignment to a certain culture when it is precisely the emblem primed with an impossibility of experiencing its richness, that of its sedimentation — « We have never seen a spectacle more repugnant than that of a generation of adults who, after destroying all possibility of authentic experience, impute their own misery to a youth now unable to experiment » (Giorgio Agamben, Children and History [Infanzia e storia]).

It remains that this « we » could be the one given to the child, this inescapable figure of our possibilities, of a utopia not yet disavowed and keeping its virtualities even when our education persists in configuring the ways we feel by the addition of adjustments and of forcing in all kinds.

It remains that this « we » could be that of barbarians who try to « survive » joyfully to the culture when the others, civilized, polite and exhausted by their lying docility and so many renunciations, sink deeper and deeper, wrapped in their individualism, towards the loss of looks offered to the outside, to what may come.

To mix these possible « we » with other arrangements of the common, to bring their discordances or their ajointements to the forefront in counterpoint of « Experience and Poverty », to try to say (considering who could be for « us » today the great creators) to what impoverishments « we » are ready to consent to maintain the hope of collectively sail away — such is the desire associated with the organization of this international conference that, over three days, will alternate thematic sessions with « Experience and Poverty » crossing spaces offered to guests. Six thematic sessions will refer to the following words: GESTURES, VOICES, STORIES, IMAGES, BOOKS, SPACES. The intended purpose will not be to interpret « Erfahrung und Armut » in the light of these words, but to try to say, with what gestures, what voices or what stories, with what images or what books, with what spaces « we » could make our own Walter Benjamin’s « Experience and Poverty » ?

The papers proposals for 30-minutes oral interventions should be sent, in French, English, Spanish or German to Florent Perrier (florent.perrier@univ-rennes2.fr) and Christophe David (christophe.david@univ-rennes2.fr) by January 15, 2020.

To submit a paper proposal, please email a 15 to 20 lines abstract, plus a 5 to 6 lines biographical note on the author.

A scientific committee, composed of Marc Berdet (Brasilia University - Brazil), Marianne Dautrey (INHA - Paris), Henri Lonitz (co-director of the critical edition of the Works and unpublished Works of Walter Benjamin - Frankfurt/Main), Patrick Vassort (head of the International Critical Theory Research Programme – Caen University), Esther Leslie (Birkbeck University - London), Bernd Stiegler (Konstanz University), Florent Perrier (Rennes 2 University) and Christophe David (Rennes 2 University) will review the proposals before end of March 2020.

Papers will be given in French whenever possible or they will be made available to the public with a French translation, for which we offer to collaborate if necessary.

Please note that the conference is unable to provide financial assistance for travel or accommodation, except for exceptional cases.

In october 2017, Florent Perrier and Christophe David organized at Rennes 2 University, the conference « What is the relevance of Adorno’s Aesthetic Theory today ? » from which came the collective volume with the same name now published by Pontcerq (http://www.pontcerq.fr/livres/ou-en-sommes-nous-avec-la-theorie-esthetique-dadorno/).