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Études théâtrales :

Études théâtrales : "Écrire au cœur du groupe. Pratiques d’écriture collaboratives de l’écrivain pour la scène au tournant des XXe et XXIe siècles"

Publié le par Aurelien Maignant (Source : Revue Études théâtrales)

Écrire au cœur du groupe 

Pratiques d’écriture collaboratives de l’écrivain pour la scène au tournant des XXe et XXIe siècles 

 

Appel à contributions pour un numéro de la revue Études théâtrales 

 

PRÉSENTATION

Aujourd’hui, l’écrivaine et l’écrivain pour la scène font souvent pleinement partie de l’équipe de création d’un spectacle. Leur geste d’écriture s’inscrit alors au cœur même du projet et du processus de création scénique, avec lesquels il entre en dialogue de manière dialectique. Ces écrivains témoignent ce faisant d’une façon d’écrire qui diffère d’autres gestes contemporains 

En effet, il n’est pas question ici d’un geste d’écriture pour la scène qui relève d’une pratique individuelle et indépendante. Certes, l’écrivain dont nous parlons se distingue du reste de l’équipe de création scénique en tant que spécialiste de l’écriture pour la scène et est le seul responsable de l’élaboration du texte, mais son processus d’écriture s’articule au processus de création d’un spectacle : son texte est ouvert à la logique d’un projet scénique spécifique dont il suit la gestation et l’élaboration (de plus ou moins près selon les cas). Genèse du texte et genèse de la représentation, à un moment au moins, se croisent. 

Il n’est pas non plus question d’une pratique d’écriture collective, selon laquelle tous ou plusieurs membres de l’équipe de création du spectacle participeraient à l’élaboration du texte. De fait, dans ce dernier cas, le geste d’écriture n’est pas reconnu en tant que savoir-faire spécifique, là où dans les pratiques qui nous intéressent le texte procède d’un geste créateur singulier dans tous les sens du terme, c’est-à-dire assumé par une seule personne qui possède une maîtrise artistique propre à une discipline (l’écriture pour la scène). 

Ce geste d’écriture s’apparente plutôt à celui de l’artisan. Effectivement, l’écrivain se rapproche ici de l’artisan maître-verrier fabriquant des vitraux pour la construction d’une cathédrale. Le maître-verrier imagine et crée des vitraux en alliant un savoir-faire particulier acquis à un geste créateur unique. De même, pour produire le texte du spectacle, l’écrivain combine l’originalité de sa plume à la connaissance pratique de l’écriture pour la scène. Mais plus encore : pour concevoir ses vitraux, le maître-verrier doit collaborer avec les autres artisans et techniciens qui contribuent à la construction de la cathédrale. L’écrivain procède d’une façon similaire : à un moment ou un autre, il collabore avec un ou plusieurs autres membres de l’équipe de création du spectacle pour écrire son texte. Si cette comparaison n’est pas à prendre au sens strict, le travail de l’écrivain et celui du maître-verrier divergeant en bien des points, elle permet néanmoins, grâce aux représentations qu’elle suscite d’emblée dans l’imaginaire collectif, une première appréhension du geste d’écriture spécifique qui nous occupe. 

Qu’il y ait collaboration avec l’équipe du plateau pendant l’écriture du texte n’exclut pas la question de la hiérarchie et des rapports de pouvoir. Ces derniers oscillent entre verticalité (un ou plusieurs artistes assumeraient ou imposeraient leur autorité sur le reste du groupe) et horizontalité (les artistes partageraient le pouvoir de décision), cette tension dynamique pouvant varier selon les cas. Ce geste d’écriture n’exclut pas non plus la question de l’auctorialité. Bien au contraire, dès lors que l’écrivain articule son travail de création à celui d’autres artistes (metteuse ou metteur en scène, comédienne ou comédien, scénographe…), la question de l’auctorialité est complexifiée. C’est pourquoi nous parlons d’écrivains plutôt que d’auteurs : nous nous attachons à ne pas confondre la question de l’acte d’écriture et la problématique de l’auctorialité. Nous désignons ainsi par “écrivaine” ou “écrivain” l’artiste spécifiquement en charge de la rédaction du texte du spectacle et qui opère un travail d’élaboration et de composition singulières relevant d’un savoir-faire spécifique. Ces écrivains sont susceptibles de se revendiquer auteurs et d’être reconnus comme tels autant qu’ils sont susceptibles de ne pas se revendiquer auteurs, ou de ne pas être reconnus comme tels, voire même de revendiquer ne pas être auteurs. 

Ce geste spécifique d’écriture pour la scène participe d’un phénomène de grande ampleur, au point que plusieurs écoles (l’IAD en Belgique, l’ENSATT en France, par exemple) incluent à leur cursus d’écriture théâtrale des exercices mettant les apprentis-écrivains au contact d’élèves d’autres filières (mise en scène ou jeu, par exemple). Il commence d’ailleurs à faire l’objet de plusieurs études qui se focalisent sur l’un ou l’autre aspect de la question. Nous pouvons nommer les travaux de Sarah Sigal, qui a examiné différentes pratiques collaboratives de l’écrivain pour la scène dans le domaine anglais (Sigal, 2017), ou ceux de Marion Cousin, qui s’est penchée sur des artistes européens qui assument en un seul mouvement la fonction d’écrivain et de metteur en scène (Cousin, 2012, 2015). Marcus Borja a quant à lui posé l’hypothèse d’une nouvelle « dramaturgie en relation » à partir de cas où l’écrivain répond au travail d’expérimentation du groupe en y trouvant matière pour composer un texte (Borja, 2015), tandis que Séverine Ruset a envisagé les conséquences symboliques et institutionnelles des pratiques collaboratives sur le statut des auteurs et sur la construction de leur auctorialité au sein du monde du théâtre anglais (Ruset, 2019). Nous pouvons nommer également le dossier de Skén&graphie (2013) qui rassemble quelques réflexions critiques et entretiens s’articulant autour de praticiens et praticiennes qui, d’une façon ou d’une autre, lient écriture dramatique et pratique scénique. 

Nous nous proposons d’élaborer un numéro qui ouvre la réflexion à la multiplicité des pratiques et positions de ces écrivains, mais qui offre également une perspective comparatiste. Cette tendance nous intéresse en effet en ce qu’elle nous semble dépasser les frontières, bien qu’elle puisse se décliner différemment en fonction des cultures scéniques de chaque région. Outre les frontières géographiques, elle dépasse également les barrières entre secteurs habituellement cloisonnés : on la retrouve en théâtre “pour adultes” mais aussi dans les créations à destination du jeune public, lors de la création de spectacles dits “théâtraux” mais aussi de spectacles de cirque ou de danse incluant du texte. Dès lors, s’il entend avant tout explorer cette tendance dans la diversité et la complexité de ses déclinaisons sans prétendre à l’exhaustivité ni à la catégorisation, ce numéro pourra également faire office d’une première ébauche comparative de cette tendance selon différentes zones géographiques et différents domaines des arts de la scène. 

 

AXES

Nous invitons les contributrices et contributeurs à être attentifs aux questions suivantes :   

  • Comment les écrivains écrivent-ils au contact du plateau ? À quel moment de sa composition et de quelle façon le texte rencontre-t-il le plateau ? Plusieurs cas de figure sont envisageables. Un écrivain peut par exemple s’adapter à la scène, lorsqu’il rédige son texte tout en étant simultanément ouvert à sa modification selon la logique du projet scénique. Mais une autre écrivaine peut s’approprier la matière du plateau pour construire son texte, notamment lorsqu’elle se base sur des improvisations des acteurs et actrices.  
  • Les écrivains assument-ils cette seule fonction ou en prennent-ils une ou plusieurs autre(s) en charge ? Ils pourraient être “auteurs en scène” (Cousin, 2012), ou écrivains-comédiens, par exemple. Ces diverses fonctions peuvent par ailleurs varier selon les projets. Quelles répercussions cette autre fonction endossée a-t-elle sur le geste d’écriture ? 
  • L’écrivain écrit-il pour une compagnie dont il fait partie, ou en rejoint-il une sur invitation ? Le partenariat auquel il prend part tient-il d’un “one shot” ou relève-t-il d’un compagnonnage artistique étalé sur plusieurs années ? Il serait pertinent également de s’intéresser aux relations qu’entretiennent les écrivains avec les autres membres du groupe (metteuse ou metteur en scène, dramaturge, comédiennes ou comédiens…) 
  • Quelle place le texte occupe-t-il lors du processus de création et dans la représentation scénique ? Comment est-il perçu par les écrivains et les autres membres de l’équipe ? Quel(s) impact(s) les modalités spécifiques de la collaboration ont-elles sur la forme textuelle et les catégories dramaturgiques (personnage, espace-temps, action...) ?   
  • En ce qui concerne les écrivains qui se revendiquent auteurs, comment ces pratiques influent-elles sur les conditions de leur reconnaissance institutionnelle et celle par leurs pairs ? Participent-elles partout à une mutation du statut des autrices et auteurs de textes pour la scène au sein du monde des arts du spectacle, ainsi que Séverine Ruset (2019) l’a étudié pour la scène anglaise ? Qu’en est-il de l’auctorialité d’un point de vue symbolique, juridique et économique, le cas qui nous occupe complexifiant les questions de la signature du texte et de la répartition des droits d’auteur, comme l’a remarqué Bérénice Hamidi-Kim (2019) ?   
  • Que dire des pratiques d’écriture visées ici en regard des “conditions socio-économiques de production” contemporaines (Pizzinat, 2014 : 73) ? Quel rapport à l’organisation du travail traduisent-elles ? Que disent-elles du théâtre d’aujourd’hui ? À quel point cette part idéologique est-elle conscientisée voire revendiquée par les écrivains et les artistes avec lesquels ces derniers collaborent ? 

 

CONTRIBUTIONS

Les propositions de communication (4200 signes espaces compris max.) sont à envoyer pour le 19 juin 2021 aux adresses julie.feltz@uclouvain.be et elise.deschambre@uclouvain.be  

Coordination du numéro : Élise Deschambre et Julie Feltz. 

La publication du numéro est prévue pour 2022. 

 

BIBLIOGRAPHIE

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Borja, M. 2015. Dramaturgies en relation. Processus compositionnels d’écriture théâtrale collective: tendances et perspectives. Thèse de doctorat en Études théâtrales sous la dir. de J. Danan et S. Fernandes Telesi. Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Universidade de Sao Paulo. 

Cousin, M. 2012. L'auteur en scène: analyse d'un geste théâtral et dramaturgie du texte né de la scène. Thèse de doctorat en Études théâtrales sous la dir. de J-P. Ryngaert. Université Sorbonne Nouvelle Paris 3. 

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Doyon, R. & Freixe, G. dir. 2014. Les collectifs dans les arts vivants depuis 1980. Lavérune : L’Entretemps. Coll. “Les points dans les poches”. 

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