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Ecrit sur l'écorce, la pierre, la neige. Les supports matériels du poème (Caen)

Ecrit sur l'écorce, la pierre, la neige. Les supports matériels du poème (Caen)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Anne Gourio)

Écrit sur l'écorce, la pierre, la neige...

Les supports matériels du poème (période moderne et contemporaine)

Journée d'études

12 novembre 2020,

Maison de la Recherche en Sciences humaines, Université de Caen-Normandie

Organisée par Cécile Brochard et Anne Gourio, LASLAR (EA 4256), Université de Caen-Normandie,

dans le cadre du projet « Matières poétiques. L’élémentaire dans la poésie moderne et contemporaine ».

 

En 2009, la poétesse autochtone innue Joséphine Bacon publie son premier recueil, Bâtons à message, dans une filiation explicite aux tshissinuatshitakana, bâtons de bois qui servaient de points de repère et de moyens de communication aux Indiens nomades du Québec. L’expérience semble prolonger le geste de Christian Dotremont, qui inscrivait ses logoneiges et logoglaces dans les espaces immenses du Grand Nord ; de Pablo Neruda, qui voyait dans les « sonetos de madera », sonnets de bois, la matière même d’une poésie américaine ; d’Yves Bonnefoy dont la poésie de la présence se cherchait au contact de la « pierre écrite » ; d’Edmond Jabès ou Lionel Ray dont les « syllabes » se font de « sable ». Des siècles avant eux, les Indiens Lenapes créaient leur grand texte mythique et poétique, le Walam Olum, une série de pictogrammes peints sur des morceaux de bois dur, partition grâce à laquelle le chant était transmis, tout comme l’étaient les Chants pour écorce des Indiens Chippewas constitués de dessins tracés sur des écorces de bouleau. Sur le continent australien, les songlines aborigènes, ces chants des pistes qui sillonnent la terre mais aussi les cieux constellés, transmettaient une cartographie mythique reliée au Temps du Rêve. Les pétroglyphes amérindiens et aborigènes conservent encore aujourd’hui la trace de ces poèmes mythiques.

Dès lors qu’elle est ainsi rêvée depuis ses supports matériels réels ou imaginaires, l’écriture poétique invite à considérer les signes dans leur dimension physique : ils sont traces, empreintes, stries et relancent en poésie la possibilité d’une réflexion iconique et plastique. Qu’il s’agisse d’un support creusé, gravé, peint, ou de lettres posées à même la pierre ou l’écorce, l’écriture se donne alors comme un geste et une expérience singulièrement reliés aux spécificités du support matériel choisi par le poète. En revenant à ce geste immémorial, le poète témoigne de la nostalgie d’un rapport direct et immédiat au monde brut : envisagée comme toucher, l’écriture poétique ranime peut-être ce qui dormait au fond de la matière ; réponse à un appel muet surgi du monde sensible, elle va jusqu’à se rêver elle-même silencieuse.

Qu’elle endosse la mission, urgente et nécessaire, de donner à entendre les témoignages du monde matériel, qu’elle cherche à remonter vers l’immémorial ou à conserver la mémoire menacée d’une communauté autochtone, la poésie considérée depuis la question des supports matériels offre une nouvelle manière de penser le sujet dans sa relation au monde sensible et engage une réflexion sur la temporalité et l’héritage.

Cette journée d’études consacrée aux supports matériels du poème propose d’interroger les pratiques poétiques modernes et contemporaines ancrées dans un rapport aux supports réels ou imaginaires. Sans que les questions ci-dessous soient exhaustives ou restrictives, elles constituent les points de départ possibles d’une réflexion qui s’efforcera de dépasser les exemples monographiques au profit d’une prise en compte plus large des aires géographiques, des zones linguistiques et culturelles. On pourra par exemple s’intéresser aux supports matériels du poème dans la poésie française contemporaine, dans la poésie caribéenne, dans la poésie québécoise autochtone, dans la poésie africaine, dans la poésie brésilienne…, en privilégiant une vision synthétique attachée à des espaces francophones, anglophones et hispanophones (sans exclure bien entendu les langues minoritaires et autochtones).

Cartographier un imaginaire :

  • Quels sont les supports matériels de la poésie (réels ou imaginaires) et comment l’inspiration poétique naît-elle de la matière sensible ? Peut-on dégager une source matérielle, un imaginaire des matériaux, qui informeraient la création poétique ? En quoi et comment, au-delà de thèmes ou de métaphores, la poésie émane-t-elle des divers supports élémentaires ?
  • Peut-on repérer des caractéristiques de l’écriture poétique selon le support envisagé par le poète ? Peut-on établir une typologie des imaginaires en fonction des supports et ouvrir la réflexion comparée aux aires géographiques et aux spécificités linguistiques ou culturelles ?

Penser le geste en direction des supports matériels :

  • A quel type d’expérience ce geste du poète en direction des supports matériels correspond-il ? Quelle relation à l’immémorial se fait jour ici ?
  • Comment se conjuguent cette fascination pour l’archaïque et les gestes propres à notre modernité ? Quel rapport se construit entre les inscriptions passées dont s’inspirent les poètes d’aujourd’hui et les inscriptions qu’eux-mêmes proposent en relais, entre les supports bruts, élémentaires, et les supports imaginaires ? S’agit-il de restituer ou de métamorphoser ?

Interroger l’héritage des supports matériels, entre mémoire et disparition :

  • Parce que le support soutient, rassemble, unifie, fédère un imaginaire, il se fait dépositaire d’une mémoire collective, en particulier chez les poètes autochtones ou les poètes écrivant en direction des communautés autochtones. En inscrivant son écriture dans une filiation au support matériel, le poète rend-il hommage à un peuple, une communauté ? Et lorsque les traces s’effacent et se font illisibles, les supports en viennent-ils à trahir un héritage ? Les supports matériels du poème ont-ils un sens particulier dans la poésie « minoritaire » ?
  • Si la temporalité de l’ère moderne est bien celle de l’éphémère, les inscriptions contemporaines ne sont-elles pas nécessairement inachevées ? ou vouées à l’effacement ?

*

Merci d’envoyer vos propositions de contribution (une vingtaine de lignes) accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique à Cécile Brochard cecile.brochard@unicaen.fr et Anne Gourio anne.gourio@unicaen.fr avant le 1er mars 2020.

Les actes de cette journée d’études seront publiés dans le premier numéro en ligne de la revue Elseneur, Presses Universitaires de Caen, en 2021.