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Dynamiques des espaces & leurs significations dans les fictions pour la jeunesse

Dynamiques des espaces & leurs significations dans les fictions pour la jeunesse

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Bochra CHARNAY)

Dynamiques des espaces & leurs significations dans les fictions pour la jeunesse

Colloque International Université de Lille

14 et 15 novembre 2022

Organisé par Bochra Charnay & Thierry Charnay


Selon Gérard Genette : « Aujourd’hui la littérature, la pensée, ne se dit plus qu’en termes de distance, d’horizon, d’univers, de paysage, de lieu, de site, de chemins et de demeure : figures naïves, mais caractéristiques, figures par excellence, où le langage s’espace, en lui, devenu langage, se parle et s’écrive »[1] ; c’est dire l’importance de l’espace dans tous les genres de la fiction. Le continuum spatial, l’étendue en quelque sorte, est découpé en portions d’espace, les topoï, ou lieux, identifiables par les actions qui s’y déroulent ; ce qui s’y passe définit le topos mais également ce qu’on en fait quand il est considéré comme objet transmissible ou à atteindre. 

Les livres de jeunesse et les albums pour enfants, où la spatialité dynamique est signifiante, sont innombrables et le chercheur n’a que l’embarras du choix. De même, l’espace, son organisation, sa répartition, son occupation par les sujets, joue un rôle fondamental dans la signification des objets sémiotiques planaires : bande dessinée, illustrations, notamment. Alice descend dans un monde chtonien en poursuivant un lapin blanc dans son terrier qui n’est autre que le pays des merveilles où la logique, les règles du monde de surface sont subverties, le rêve et la réalité confondus. « Piter Pan »[2] sort par la fenêtre et s’envole en chemise de nuit par-dessus les maisons vers les jardins de Kensington, puis vers l’île de la Serpentine, découvrant au contraire d’Alice un monde aérien. Chacun, Alice et Piter, en quittant leur espace familier, découvrent d’autres espaces imaginaires angoissants et souvent dysphoriques, pour ne prendre que les exemples les plus célèbres. Dans un conte tunisien, le sultan donne à ses fils la quête suivante sous forme d’énigme afin de décider qui lui succèdera : « Qui veut arriver là où est arrivé son père ? »[3], avec la sanction : « S’il arrive là où je suis arrivé, il gouvernera à ma place, sinon je l’enfermerai lui et son cheval dans une écurie et je lui donnerai du foin ! »[4] Ce qui les contraint à partir pour un ailleurs qu’ils ne connaissent pas, dont ils n’ont pas idée.  Ceux qui prennent l’énoncé en son sens dénotatif (chercher un lieu) perdent, seul celui qui comprend son sens connotatif triomphe. Comme l’écrit Roland Barthes : « Topologiquement, la connotation assure une dissémination (limitée) des sens, répandue comme une poussière d’or sur la surface apparente du texte (le sens est d’or). »[5] Ici, la réussite donne donc le pouvoir et la liberté, l’échec conduit à l’humiliation et au confinement.

Les héroïnes et héros effectuent ainsi des parcours de formation, d’acquisition du savoir et d’initiation qui nécessitent des déplacements selon au moins trois dynamiques :

1.             Le passage d’un espace socialisé et/ou familier vers un espace sauvage et/ou étranger ou encore de la culture vers la nature, ou encore d’un espace intime vers un espace public.

2.             Le passage d’un espace réel ou au moins de l’espace habité par le sujet vers un espace irréel, imaginaire, futuriste, dystopique ; ou encore les transferts d’un monde à un autre, parallèle ou concaténé ou imbriqué.

3.             Le passage de la vie à la mort avec ou sans réversibilité, l’entre deux, la relation à l’espace sacré.

Il est possible d’attribuer trois fonctions à la lecture de ces récits : une fonction d’évasion, une fonction éducative et enfin une fonction initiatique.

Il est bien entendu que chaque culture produit à travers ses récits imaginaires sa propre représentation de l’action. Or, la culture occidentale (indo-européenne) privilégie les récits de quête où l’héroïne ou bien le héros, plus fréquemment le héros dans une aire où domine le patriarcat, se trouve placé dans une situation de manque qui déclenche une crise, un déséquilibre, une instabilité, ce qui le contraint à partir le plus souvent vers des territoires inconnus ou inexplorés pour combler ce manque et retrouver la stabilité. Les déplacements sont alors innombrables et signifiants, avec toutes les épreuves, tous les obstacles qu’il faut surmonter, tous les ennemis qu’il faut affronter, toutes les trahisons à dépasser, tous les pièges à déjouer, pour obtenir ce qui procurera la plénitude : les biens, le mariage, les territoires, la gloire, etc. De sorte que les héros traversent une multitude d’espaces et de lieux plus ou moins hostiles, franchissant ainsi des seuils, des ponts, des croisements susceptibles de mauvaises rencontres, des limites visibles et invisibles, et des frontières, passant ainsi d’un monde possible à un autre ; comme dit le conte tunisien : « ils peuplèrent un pays et en vidèrent un autre »[6], pour signifier que l’espace est rempli du sujet qui l’occupe par sa présence et ses actions. 

Le schéma dominant de la quête n’est pas compatible avec les récits de fuite ou de frayeur, ce qui élimine bien des fictions, ne serait-ce que le conte tant commenté du « Petit Chaperon rouge » qui, soit finit mal, soit s’achève sur la fuite de la fillette. Pourtant, ne serait-ce que dans ce conte sans quête, les déplacements de l’héroïne qui déterminent des changements d’espace, passant dans la version de Charles Perrault d’un espace familier (lieu de la mère), lieu de la sécurité et du connu à un espace étranger (la forêt), lieu des mauvaises rencontres, de l’inconnu et de l’insécurité, puis de nouveau à un espace familier (lieu de la grand’mère) mais piégé, sont fondamentaux car ils connotent ou symbolisent un parcours de vie féminin, notamment dans les rapports à un prédateur.

Il est fréquemment possible d’homologuer ces déplacements à des parcours initiatiques tels que les conçoit l’ethnologue Arnold Van Gennep avec sa triade des rites de passage : séparation, marginalisation, agrégation qui s’effectuent dans des espaces différents avec notamment des franchissements de limites conduisant à des transformations ontologiques et sociales, des métamorphoses du sujet. Comme le propose Bachelard « Pourquoi ne pas sentir que dans la porte est incarné un petit dieu de seuil »[7]. 

On l’aura compris, il ne s’agit pas, lors de ce colloque, d’établir une fois de plus un rapport référentiel privilégié entre l’espace écrit, littéraire, ou iconique, et l’espace réel perceptible. Comme l’écrit Umberto Eco à propos de Sylvie de Gérard de Nerval : « Si on lit le texte en regardant la carte, l’espace se présente à nous comme une boule de chewing-gum, changeant de forme à chaque évocation »[8], ce serait donc peine perdue. Mais il s’agira de privilégier les analyses portant sur la dynamique de l’espace et des lieux, les parcours fictifs et symboliques des acteurs, les franchissements de limites et d’obstacles, la poétique spatiale particulière d’une œuvre, les significations produites par l’iconisation d’un texte (son illustration), l’espace conçu comme un univers sémantique propre, entre autres. L’analyse peut porter sur tout objet sémiotique dédié à la fiction jeunesse : roman, conte, bd, album, illustration, film, vidéo-ludique. 

Modalités et calendrier

Les propositions de communication (titre, résumé de 1500 caractères maximum espaces comprises, mots clés, et références bibliographiques), accompagnées d’une brève biobibliographie de 1500 caractères espaces comprises (statut, établissement, unité de recherche ainsi que les principales publications récentes) sont à adresser au plus tard le 10 avril 2022 à l’adresse suivante :

litteraturejeunesseunivlille@gmail.com 

Une réponse sera envoyée aux contributeurs au plus tard le 1er mai 2022.

Les communications retenues et présentées lors du colloque feront l’objet d’une publication, dans notre Revue L’Oiseau bleu, en ligne, sous réserve de l’approbation du comité scientifique.

Comité d’organisation

Bochra CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille

Thierry CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille

Comité scientifique 

Sandra BECKETT, Brock University, Saint Catharines, Canada

Sylvain BREHM, Université du Québec à Montréal, Canada

Bochra CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille

Thierry CHARNAY, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille

Kirill CHEKALOV, Institut de Littérature mondiale de l’Académie des Sciences de Russie, Moscou

Christiane CONNAN-PINTADO, UR Plurielles (24142), Université Bordeaux-Montaigne

Laurent DEOM, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille

Kvĕtuše KUNEŠOVA, Université de Hradec Kralové, République tchèque

Dominique PEYRACHE-LEBORGNE, E.A. 4276, Université de Nantes

Marie-Agnès THIRARD, ULR 1061 ALITHILA, Université de Lille

 

 ***
 
[1] Gérard Genette, Figures I, Seuil, « Tel Quel », 1966, p. 108.
[2] J.M. Barrie, ill. Arthur Rackham, Piter Pan dans les jardins de Kensington, Hachette et Cie, 1907.
[3] Bochra Ben Hassen, Thierry Charnay, Contes merveilleux de Tunisie, Maisonneuve et Larose, 1997, p. 39-40.
[4] Ibid.
[5] Roland Barthes, S/Z, Seuil, coll. « Tel Quel », 1970, p. 15.
[6] Bochra Ben Hassen, Thierry Charnay, Contes merveilleux de Tunisie, op. cit., p. 40.
[7] Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, PUF, 1970, p. 200.
[8] Umberto Eco, De la littérature, « Les brumes de Valois », Le livre de poche, Grasset, 2003, p. 66.