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Du théâtre de société aux théâtres amateurs. Permanence de pratiques. XVIIIe-XXIe s. (Lausanne)

Du théâtre de société aux théâtres amateurs. Permanence de pratiques. XVIIIe-XXIe s. (Lausanne)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Valentina Ponzetto)

Du théâtre de société aux théâtres amateurs.

Permanence de pratiques (18e-21e siècles)

Université de Lausanne, 22-23 avril 2021

 

Jouer du théâtre entre membres d’un même réseau, amical ou professionnel, en dehors des circuits institutionnels de l’industrie du spectacle, est une pratique ancienne qui prend des formes très diverses. Quoi de commun en effet entre le théâtre mis en scène par les élites du xviiie siècle et les représentations données par les employés d’une entreprise au xxe siècle ? C’est la question que nous voudrions aborder pendant ce colloque.

Si les dames Des Roches mettaient déjà en scène du théâtre dans leur salon au xvie siècle, c’est le xviiie siècle qui place le théâtre de société au rang d’activité incontournable dans le grand monde. En effet, à partir des années 1730, une forme de théâtromanie sans précédent s’empare de la France : les « amusements à la mode » (D. Quéro) relèvent de l’art dramatique et s’imposent dans toutes les bonnes maisons. Le phénomène que Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval analyse dans son ouvrage de référence Le théâtre de société, un autre théâtre ? (2003), est ainsi défini comme « un théâtre amateur, discontinu et non lucratif (sauf exceptions ponctuelles), distinct des autres théâtres amateurs sous leurs formes rurales, scolaires et familiales ». L’appellation « théâtre de société » ne recouvre donc pas toutes les pratiques d’amateurs ; des points communs rassemblent pourtant ces formes de jeu non-professionnel, que ce soit par les circonstances d’organisation et de production des spectacles, par les rapports instaurés entre comédiens et public ou par l’investissement de lieux non conçus à l’origine pour accueillir des spectacles. L’objectif de ce colloque est précisément d’interroger ces points communs dans une perspective diachronique.

De même, l’expression de « théâtre de société » est encore employée pour désigner certaines pratiques théâtrales jouées par des amateurs au xixe siècle ; pourtant, comme le notent J.-C. Yon et N. Le Gonidec dans un autre ouvrage fondateur (Tréteaux et paravents : le théâtre de société au xixe siècle, 2012), le phénomène est complexe et « il est facile de trouver au xixe siècle des formes de théâtre de société qui ne respectent pas [l]es critères [définitoires mis en évidence par M.-E. Plagnol-Diéval], à savoir des théâtres de société qui emploient des professionnels, qui cherchent à avoir une activité régulière, qui font des profits et dont le caractère privé n’est guère évident. » Autrement dit la pratique du théâtre de société née au xviiie siècle se diversifie et par là même se complexifie dans les siècles ultérieurs, parallèlement à l’évolution historique, sociale, esthétique ou encore au cadre juridique et institutionnel de règlementation des spectacles. C’est donc en marge des théâtres de société qu’émergent des pratiques comme les théâtres d’élèves comédiens, les théâtres des sociétés bourgeoises, les théâtres d’ateliers d’artistes, comme celui de Maurice Sand à Passy, ou les activités des cercles dramatiques, comme le Cerce Pigalle ou le Cercle des Escholiers vers la fin du XIXe siècle.

Que dire encore des nouvelles formes qui émergent au xxe siècle et au xxie siècle, après l’institution officielle de la Fédération Internationale des Sociétés Théâtrales d’Amateurs en 1907 et l’abandon définitif de la dénomination « théâtre de société », désormais tombée en désuétude ?

Par exemple, on a spontanément le réflexe de mettre en relation le théâtre de société et le théâtre d’appartement, en raison du lieu privé où les pièces sont jouées, et cependant des spécialistes de cette forme de théâtre, à l’instar de Sarah Meneghello, préviennent que « malgré certaines analogies, le théâtre d’appartement est […] bien davantage un avatar, plutôt qu’une survivance des théâtres de société » (S. Meneghello in V. Ponzetto, J. Ruimi, Espaces des théâtres de société, Définitions, enjeux, postérité, PUR, 2020). Il reste à interroger en quoi cet avatar du théâtre de société nous éclaire pourtant sur les enjeux d’un théâtre alternatif, qui se place volontairement hors du champ du théâtre public, officiel, et qui cherche à toucher son public de manière plus directe, en se rapprochant de lui.

Comment considérer par ailleurs des expériences de théâtre hybrides comme le théâtre d’entreprise ? Ce théâtre est en effet parfois joué par des professionnels à qui on a commandé un spectacle – auquel cas il ne s’agit nullement d’une permanence du théâtre de société –, mais il est parfois joué par des groupes de salariés « aidé[s] par un animateur accoucheur, un professionnel de l’animation théâtrale qui catalyse et dirige la créativité des individus et du groupe vers la réutilisation d’un spectacle théâtral » selon les mots de Rossella Magli (« Le théâtre d’entreprise », Quaderni, n°32, 1997.) La présence d’un tiers, d’un « animateur » bouleverse-t-elle la donne quant à la définition de cette pratique théâtrale ?

Qu’en est-il enfin des autres pratiques théâtrales d’amateurs qu’on a du mal à classer, qui ne sont pas à proprement parler du théâtre de société, mais qui constituent des formes de théâtre jouées entre et pour les membres d’un même groupe, comme le théâtre scolaire, le théâtre carcéral ou encore le théâtre aux armées ?

Ce sont tous ces cas-limites qui attireront notre attention pendant ce colloque : qu’est-ce qui réunit ces différentes formes théâtrales et quels liens entretiennent-elles avec le théâtre de société du xviiie siècle ou avec ses avatars du xixe siècle ? Quelles formes de théâtre pratiquées encore aujourd’hui révèlent-elles une permanence de pratiques théâtrales et sociales qui ont vu le jour au sein des théâtres de société et ont contribué à les définir ?

Les propositions de contribution pourront s’inscrire dans les axes suivants :

1. Définitions de ces pratiques théâtrales

Les exposés pourront porter sur une des formes en particulier (théâtre d’appartement, théâtre scolaire, théâtre des familles, d’entreprise, carcéral, etc.) ou sur les liens entre différentes formes, notamment autour de la question de la place des comédiens professionnels au sein de ces pratiques (animation d’ateliers théâtraux, par exemple).

L’évolution des formes théâtrales jouées en société entre le xviiie et le xxie siècle (évolution du proverbe, réutilisation de la parade au xxe siècle, etc.) sera également un champ de recherches apprécié.

On sera aussi attentif à la question des conditions matérielles de représentation de ces spectacles : comment ces pièces sont-elles jouées ? Où ? À quel moment de la journée ? Avec quels moyens ?

2. Fonctions sociales et politiques de ces pratiques

Nous nous demanderons en outre quelles formes de sociabilité sont associées à ces pratiques, et en quoi elles prolongent – ou au contraire modifient – celles qui étaient en vigueur au xviiie siècle et que le xixe siècle s’est réappropriées.

Il s’agira aussi de poser la question des enjeux politiques de ces pratiques : pourquoi fait-on du théâtre en prison ? Pourquoi rentre-t-on dans les appartements des quartiers populaires pour présenter des spectacles ? Est-ce qu’une volonté politique anime ces démarches ? À l’inverse, que dire du théâtre de société très élitaire des xviiie et xixe siècles ? Ces pratiques d’amateurs sont-elles liées à des enjeux idéologiques, et si oui, lesquels ?

Quelle place enfin pour les enjeux économiques de ces activités ? Si l’un des critères définitoires du théâtre de société concerne bien l’aspect non-lucratif de ces spectacles, force est de constater qu’en se métamorphosant, le théâtre joué entre soi pose des questions d’ordre financier : combien coûte un spectacle joué en privé ? La rémunération des professionnels du théâtre qui accompagnent une mise en scène modifie-t-elle la nature des spectacles représentés ? Quelle évolution peut-on noter à cet égard entre les lecteurs et secrétaires des princes du xviiie siècle, dûment pensionnés pour créer des spectacles de société, les dépenses consenties au xixe siècle par un Jules de Castellane ou un Louis Mors et les « animateurs-accoucheurs » qui interviennent dans les entreprises du xxie siècle ?

3. Rapport que ces pratiques entretiennent avec le théâtre public

D’un point de vue esthétique, il s’agira aussi de voir comment ces scènes privées peuvent agir comme des lieux de contre-pouvoir. Si la question d’un « autre théâtre », selon l’expression de M.-E. Plagnol-Diéval, ne fait nul doute pour le théâtre de société au xviiie siècle, qu’en est-il dans les siècles ultérieurs ? Les spectacles joués entre soi entrent-ils dans une relation mimétique par rapport au théâtre officiel ou sont-ils au contraire le lieu d’une exploration dramatique ?

Du point de vue de la réception enfin, qui sont les spectateurs de ces pièces jouées dans des lieux qui ne sont pas des théâtres publics ? Quelles motivations guident les spectateurs ? Quelle place occupe la « double connivence » dont Guy Spielmann parle à propos du théâtre de société du xviiie siècle pour en définir les contours, lorsqu’il s’agit de formes autres, comme le théâtre carcéral ou le théâtre d’entreprise ?

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Les propositions de communication de 3000 signes maximum, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, seront à envoyer conjointement à :

Valentina Ponzetto valentina.ponzetto@unil.ch;

Jennifer Ruimi jennifer.ruimi@unil.ch;

Jean-Claude Yon jean-claude.yon@uvsq.fr

avant le 15 septembre 2020.

Les réponses du comité scientifique seront envoyées avant fin octobre 2020.