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Du territoire aux mémoires fragmentées : récits et créations identitaires dans le monde hispanique (Grenoble)

Du territoire aux mémoires fragmentées : récits et créations identitaires dans le monde hispanique (Grenoble)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : David Crémaux-Bouche)

Du territoire aux mémoires fragmentées : récits et créations identitaires
 
            Depuis quelques années, la montée des nationalismes et populismes, de tout bord politique, remet au cœur des préoccupations le concept d’identité en lien avec le territoire. Quand certains aspirent à un  « nationalisme centrifuge[1] » afin de préserver l’identité et la supposée pureté originelle du groupe dans un entre-soi, la mondialisation et la suppression relative des frontières depuis plusieurs décennies a permis des déplacements migratoires et culturels faisant de chaque territoire un espace de plus en plus ouvert sur le monde. Ces migrations intraterritoriales ou internationales mettent à mal le lien de la communauté préexistante avec son territoire : elles peuvent renforcer ou fragmenter des identités en constante évolution dans un double mouvement de déconstruction et de reconstruction, de ressemblance et de dissemblance, en fonction de différents facteurs tels que le racisme ou les événements historiques. 
            Le contexte espagnol constitue un exemple de choix pour traiter de ces problématiques par sa condition de « nación de naciones[2] ». Dès le XIXeme siècle, la suppression des Fueros au Pays basque et en Navarre, après la dernière guerre carliste, pose par exemple la question du lien entre territoire régional et territoire national. Les Basques voient dans l'abrogation de ces statuts juridiques particuliers, conjugués aux migrations de la fin du siècle, une attaque, si ce n’est une invasion, de la part des Espagnols sur leur territoire. De nombreuses années durant, Sabino Arana considérait l’arrivée de migrants d’autres parties de l’Espagne sur leur terre comme une intrusion néfaste contribuant à la « dégénération » de leur race. 
            Nous souhaitons interroger comment, à partir du lieu de vie, se déploient des imaginaires régionaux basés sur des projections identitaires et comment, dans un second temps, se construit la mémoire du territoire et de sa communauté. Un tel questionnement permettra d’étudier le territoire, entendu comme « portion d’espace contrôlée et appropriée, y compris symboliquement, par une société donnée[3] », en relation avec le processus de construction de mémoires. En effet, le territoire, l’identité et même la mémoire peuvent se fabriquer de toutes pièces à partir de fragments disparates provenant d’individus ou de récits variés. Ces fragments, renvoyant étymologiquement à la dispersion, à la perte, à la désintégration mais également à ce qui est incomplet ou brisé, marquent le récit du sceau de la rupture afin de mettre en lumière ce lien personnel et identitaire qu’un individu singulier entretient avec son territoire. Quelles sont les traces, héritages et représentations qu’un individu ou qu’une communauté considèrent comme fondatrices de son identité ? 
 
            La volonté d’appartenance ou de séparation se fait par rapport à un discours dominant au niveau national, régional et même local, entre autres grâce à la création. Comment se configurent différentes mémoires d’un territoire autant pour ceux qui y habitent, notamment par leur manière particulière de vivre leur identité nationale (les habitants parlant la langue régionale et ceux qui vont uniquement connaître la langue nationale), que pour ceux qui ont dû quitter leur patrie (exils, migrations) ? Le recours à la mémoire est-il direct (transmission de souvenirs, nostalgie du passé) ou indirect (redécouverte d’une origine perdue) ? 
            Notre réflexion se centrera fondamentalement sur les productions culturelles traitant des problématiques identitaires et mémorielles auxquelles le monde contemporain ne cesse de se confronter à partir de trois axes.
 
1. Créations et identités : le lien avec le territoire 


            Au-delà du jeu sur les stéréotypes (Ocho apellidos vascos, Perdiendo el norte), visant à critiquer une nation ou au contraire à dédramatiser des situations de tension, nous souhaiterions laisser un espace central aux représentations de la nation et à l’art national. L’écrivain national (Thiesse, 2019) est bien ce médiateur, ce passeur de la création individuelle qui se meut en représentant d’une identité collective. Nous procéderons à l’étude de l’image du territoire au sein du récit. Autrement dit, comment imaginer ce lien d’appartenance avec le lieu que nous habitons et qui nous habite ? Il sera possible d’analyser la représentation d’événements historiques considérés comme fondateurs d'une « communauté imaginée[4] » selon l’expression de Benedict Anderson, avec le thème des récits nationaux, de l’« Histoire nationale » ou la représentation de motifs intrahistoriques qui servent de toile de fond à l’Histoire la plus visible mais qui sont tout aussi fondateurs pour la structuration et la caractérisation d’une identité régionale. Qu’on songe à la représentation du paysage qui est une manière de parcourir le territoire par l’imagination et de se l’approprier. Ces incarnations de la nation peuvent se retrouver tout autant dans la littérature, la musique (les adaptations des poèmes d’Antonio Machado peignant les paysages de Castille par Joan Manuel Serrat...), que dans la peinture (peinture d’histoire, peinture du quotidien...). En somme, il s’agira d’étudier comment le groupe vit et construit son identité au sein du territoire quand celui-ci l’habite. 
 
2. Récits de migrations et identités : une identité tiraillée entre territoire d’accueil et territoire de départ ? 

            Alors qu’il sanctionne, a priori, un dérèglement de et dans l’espace, un déplacement géographique, le récit de la migration dit aussi et surtout un bouleversement ou un décalage intérieur. Si c’est bien la communauté qui a pu éprouver cette mobilité, elle est cependant constituée de micro-histoires chacune singulière. Et ainsi, même subie collectivement, la migration constitue une expérience vécue par un individu dans sa singularité. Quelles traces reste-t-il du pays d’origine dans cette identité recomposée du migrant ? À quel niveau se jouent les interactions entre culture d’accueil et culture des migrants ? La seconde génération garde-t-elle les mêmes référents culturels de leur pays d’origine que ceux de la première génération, ou s’agit-il davantage d’une construction imaginaire et hybride, filtrée par le temps qui passe et le contact avec la population locale ? Nous pourrons même aller jusqu’à questionner la notion d’exil voire de « desexil[5] », expression faisant référence à l’expérience vécue par les personnes rentrant dans leur pays d’origine, obligées de réapprendre à vivre dans celui-ci, après avoir été contraintes de l’abandonner plusieurs années durant. Quelles sont les représentations du territoire d’origine pour ces migrants qui ne l’ont, en ce qui concerne la seconde génération, pas connu directement ? Celles-ci entrent-elles en conflit avec les représentations dont ils ont héritées ? Que dire de ces situations de contacts nationaux liées aux migrations ? L’étude de la figure de l’apatride, se réclamant souvent d’une identité multiple pour marquer « l’invention d’une nouvelle appartenance[6] », pourra permettre d’approcher la notion de citoyen du monde. La dimension mémorielle sera ainsi au cœur de nos préoccupations.
 

3. Minorités et nations : l’altérité comme fondement du territoire ? 


            Le monde actuel se revendique comme hétérogène, pluriel et inclusif de sorte que toute altérité ou remise en cause des normes de la société conduit à un processus de marginalité et de marginalisation pour cette minorité considérée comme autre de la communauté dans laquelle elle s’insère. Cependant, des mouvements comme le TERF (Trans-exclusionary radical feminist) rejettent ces identités minoritaires. Il s’en dégage une idée d’opposition entre minorité et majorité car une communauté se construit toujours face à une autre. Comment se matérialise cette division ? Ces minorités sont-elles toujours marginalisées ? Le fait que la femme, traditionnellement considérée comme une minorité dans les sciences sociales, se retrouve souvent représentante de la nation n’est pas anodin. Nous pourrons parler des minorités, afin de traiter de leurs diversités (genre, ethnie, religion) qui se posent comme des alternatives face à un pouvoir dominant. Ceci nous ouvre comme axe celui de la construction de l'autre par le rejet dans des rapports entre dominants et dominés. Pour maintenir une cohésion, le groupe a besoin d’un bouc émissaire et Guillaume Le Blanc explique que « les étrangers confèrent une unité au groupe national, c’est pourquoi il est essentiel à la nation que l’étranger ne soit pas purement exclu[7] ». Ainsi, comment la création artistique permet-elle de donner une voix à ces personnes marginalisées ? Quels échos leurs créations trouvent-elles face au grand public pour passer un message en contradiction avec les idées reçues ? Nous pourrons aborder la description de cette expérience des minorités dans les productions culturelles. À quel point ces identités à contre-courant servent-elles pour définir les différentes formes que prend le « soi » ? Nous pourrons interroger l’écriture et les formes nouvelles que prend l'identité des minorités, par la langue, leurs imaginaires et leurs références. Dans quelle mesure subvertissent-elles les codes dominants pour explorer de nouvelles manières d’être ? Cette scission entre des cadres, des postures et des actions s’incarne de différentes manières (chansons, manifestations, etc.) pour obtenir une reconnaissance face à une défaillance prenant la forme d’inégalités sociales ou d’une invisibilisation (le code Hays ou le queer coding) qui se perpétue. 
 
Format des contributions 
Cette journée d'étude, s’inscrivant dans le groupe de recherche CERHIS, se limite au XIX-XX-XXIème siècle et s’adresse aux chercheurs et jeunes chercheurs hispanistes, autant spécialistes de l’Espagne que de l’Amérique latine. Cette journée d’étude, par sa thématique propice à l’interdisciplinarité, sera composée de communications d’une durée de 20 minutes. L’événement se déroulera sur le campus de l’Université Grenoble Alpes le 02 décembre 2022. Un format hybride sera mis en place. 
 
Une publication à la suite de la journée pourra être envisagée. 
 
Modalités de soumission 
Les propositions d’interventions, comportant un résumé d’une quinzaine de lignes maximum, sont à envoyer avant le 31 mai 2022 à Charlotte Blanchard (charlotte.blanchard@univ-grenoble-alpes.fr) et David Crémaux-Bouche (david.cremaux-bouche@univ-grenoble-alpes.fr). Merci d’indiquer vos nom(s), prénom, coordonnées postales, électroniques et votre organisme de rattachement, ainsi qu’une liste de 5 mots-clés accompagnée d’une brève notice bio-bibliographique. Le comité scientifique se prononcera sur les propositions au plus tard à la fin du mois de juin 2022. 
 
Comité d’organisation
Charlotte Blanchard (charlotte.blanchard@univ-grenoble-alpes.fr)
David Crémaux-Bouche (david.cremaux-bouche@univ-grenoble-alpes.fr
 
Comité scientifique
            Jesús Alonso Carballés, Professeur des Universités en civilisation de l’Espagne contemporaine, Université Bordeaux-Montaigne.
            Laurence Garino-Abel, Maîtresse de conférences en littérature espagnole contemporaine, Université Grenoble-Alpes.
            Pierre Géal, Maître de conférences en civilisation de l’Espagne des XVIIIe et XIXe siècles, Université Grenoble-Alpes.
            Sonia Kerfa, Professeure des Universités en Histoire et esthétique des cinémas du réel en Espagne et en Amérique hispanophone et études de genre, Université Grenoble Alpes.
            Olga Lobo Carballo, Maîtresse de conférences HDR en littérature et arts visuels de l’Amérique latine, Université Grenoble-Alpes.
            Catherine Orsini-Saillet, Professeure des Universités en littérature espagnole contemporaine, Université Grenoble Alpes. 
            Margarita Remón-Raillard, Maîtresse de conférences HDR en littérature et arts visuels de l’Amérique latine, Université Grenoble-Alpes. 
            Daniel Rojas, Maître de conférences en Histoire et civilisations de l’Amérique latine, Université Grenoble-Alpes.
            Nicolás Sesma-Landrin, Maître de Conférences en civilisation de l’Espagne contemporaine, Université Grenoble-Alpes. 
 
Bibliographie indicative 
ANDERSON, Benedict, L'imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Pierre- Emmanuel Dauzat (trad.), Paris: La Découverte/Poche, 2002.
BERTHIER, Nancy et Jean-Claude SEGUIN (éd.), Cine, nación, y nacionalidades en España, Madrid: Casa de Velázquez, coll. « Collection de la Casa de Velázquez », n° 100, 2007. 
CASANOVA, Pascale, Des littératures combatives. L’internationale des nationalismes littéraires, Paris: Raisons d’Agir, 2011. 
DELORME, Isabelle, Quand la bande dessinée fait mémoire du XXe siècle : les récits mémoriels historiques en bande dessinée, Dijon: Les presses du réel, 2019.
ESPMARK, Kjell, El premio Nobel de literatura: cien años con la misión, Marina Torres (trad.), Madrid: Nórdica Libros, 2008. 
HALBWACHS, Maurice, La mémoire collective. Paris: Albin Michel, 1950.
LE BRETON, David, « Mœurs, corps et identités », Hermès, La Revue, 2015/1 (n° 71), p. 172-176. DOI : 10.3917/herm.071.0172.
PERROT-CORPET, Danielle et Lise GAUVIN (dir.), La Nation nommée Roman face aux histoires nationales, Paris: Classiques Garnier, 2011.
SUSINI-ANASTOPOULOS, Françoise, L’écriture fragmentaire : définitions et enjeux. Paris: PUF, 1997.
THIESSE, Anne-Marie, La création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle. Paris: Seuil, 2001.
——————, La fabrique de l’écrivain national : entre littérature et politique. Paris: Gallimard, 2019. 
 

 
[1] R. GIRARDET, Nationalismes et nation, Bruxelles, Editions Complexe, 1996, p. 260. 
[2] S. de PABLO et L. MEES, El péndulo patriótico: historia del Partido Nacionalista Vasco, 1895-2005, Barcelona, Crítica, 2005, p.260.
[3] G. DI MEO, « Territoires : Etats, nations et aménagement » in Les fondamentaux de la géographie, dir. CIATTONI Annette, VEYRET Yvette, Malakoff, Paris, Armand Colin, 2003. 
[4] B. ANDERSON, L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, P.-E. Dauzat (trad.), Paris, La Découverte/Poche, 2002, p. 18.
[5] C. BOLZMAN, Sociologie de l’exil : une approche dynamique. L’exemple des réfugiés chiliens en Suisse, Zurich, Seismo, 1996, p. 113. 
[6] Ibid, p. 258.
[7] G. LE BLANC, Dedans, dehors: la condition d’étranger, Paris, Editions du Seuil, 2010, p. 19.