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Don Juan ou le pouvoir de la séduction

Don Juan ou le pouvoir de la séduction

Publié le par Natalie Maroun (Source : Andrea Oberhuber)

 

Simple motif d’un jeu de séduction à reproduire ad infinitum comme effet sur l’Autre, figure allégorique du libertinage ou véritable mythe lié intimement au pouvoir du commandeur mis à mort au nom de la conquête amoureuse et de la transgression de l’interdit ? Depuis la pièce de Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra (1630), la figure de Don Juan renvoie à un être à l’attitude libertine qui fait fi de la morale et de certaines règles du vivre-ensemble pour s’adonner non seulement au plaisir mais également au pouvoir que procure la séduction. Comme le pensent Deleuze et Guattari dans  Qu’est-ce que la philosophie ? Don Juan est un « personnage conceptuel » et pas simplement une illustration narrative de ce qu’est la séduction : le concept de séduction n’existe pas hors de la convocation de la figure de Don Juan et  celui-ci est donc au centre même de toute pensée sur l’acte de séduire, d’avoir emprise sur l’autre.

Si Don Juan a été très présent, sous diverses variantes dans la littérature et la culture occidentales depuis son invention au début du XVIIe siècle (l’historicité du personnage est peu attestée) et que la psychanalyse pense le mythe essentiellement en terme de figure masculine (Otto Rank, Jacques Lacan, Monique Schneider), l’entre-deux-guerres puis les années 1960 ont imaginé quelques pendants féminins : mentionnons Les Don Juanes de Marcel Prévost, les « Amazones » de la rive gauche live, en peinture et en textes littéraires (Natalie Barney, Liane de Pougy, Romaine Brooks), la série des Barbarella de Jean-Claude Forest (et peut-être aussi celle des Vampirella) et Belle de jour de Luis Buñuel, entre autres. Dans les années 1970, le mouvement féministe aurait condamné Don Juan  en même temps que le séducteur masculin pour des raisons socio-politiques davantage que religieuses ou morales. Mais Don Juan, « l’homme de l’éternel présent », n’est-il pas notre contemporain ? Certaines figures féminines ne lui ressemblent-elles pas terriblement quand il s’agissait de s’approprier le pouvoir de domination ; on songe aussi bien à la marquise de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses qu’au personnage de Laure Lordès dans L’Animale  de Rachilde ou encore à  Jeanne qu’incarne Brigitte Bardot dans le film de Roger Vadim datant de 1973, Si Don Juan était une femme. Ne pouvons-nous pas affirmer comme Frédérick Tristan dans son ouvrage Don Juan, le révolté : un mythe contemporain que Don Juan, dans ses transgressions, ses blasphèmes et les libertés qu’il prend, est celui par qui le progrès arrive ? Ce défi permanent à la bienséance et à l’autorité de tout commandeur, n’est-il pas un réel moteur de l’histoire, des changements à provoquer quant aux contraintes et aux règles sociales ?

Don Juan a été perçu à la fois comme une figure de la révolte glorieuse et de l’opprobre suscitant une ambivalence fondamentale : il est jouissif et cynique en matière d’amour et de séduction, narcissique et rebelle face à l’autorité. On a fait de Don Juan un chercheur d’absolu, un esthète en quête de l’infini (en témoigne Le Journal du séducteur de Kierkegaard) ou encore un consommateur pragmatique et sans scrupule. Objet de critique, le don Juan ou la don Juane continuent d’exercer leur fascination sur nous. L’étude des modalités du don juanisme comme posture voire mode de vie va de pair avec une réflexion sur l’identité et l’altérité à l’heure actuelle. Dans une ère où l’imaginaire de l’amitié et même de  l’amour reposerait souvent sur une sérialité (Facebook), où le « mille e tre » (Don Giovanni de Mozart) fonderait d’une certaine façon notre rapport aux autres (plus particulièrement aux femmes comme le montre Martine Delvaux dans Les filles en série), est-il possible de reléguer Don Juan aux oubliettes de notre histoire ? Don Juan ne nous permet-il pas de penser ce qu’est la domination (jusqu’aux marges sulfureuses de ce sentiment de l’omnipotence), le pouvoir quasi illimité exercé sur autrui ? Et inversement, l’être subjugué par l’aura du séducteur, possédé par celui ou celle qui le séduit et aux prises avec un sentiment d’impossible singularité ne nous convie-t-il pas à nous pencher sur la construction d’une subjectivité vacillante et évanescente, sous influence ?

Cela ne fait aucun doute, la figure de Don Juan et son effet corollaire, le don-juanisme, connaissent une grande fortune dans les œuvres littéraires et artistiques depuis la modernité jusqu’à aujourd’hui. De nombreuses adaptations et interprétations n’ont cessé de ressusciter, après sa fracassante descente en Enfer par la main vengeresse du commandeur, ce symbole de l’illusion du changement (menacé toutefois de monotonie), de la mobilité (d’aucuns évoqueraient l’inconstance du séducteur volant), de la mascarade (qui se dissimule derrière le masque et le déguisement – le maître ou le valet, l’homme ou la femme ?).

De Proust et son baron de Charlus ou son Saint-Loup à Duras et son Anne-Marie Stretter que tous les hommes suivent ; du Don Juan balzacien dans L’Élixir de  longue vie et de Rodolphe dans Madame Bovary de Flaubert, à Octave Mouret de Zola (Pot-Bouille ; Au bonheur des dames) et à Bel-Ami de Maupassant ; de Max Frisch (Don Juan oder die Liebe zur Geometrie) et à Peter Handke (Don Juan (erzählt von ihm selbst) en passant par Suzanne Lilar (Le Burlador) ; de Federico Fellini (aussi bien dans Otto e mezzo que dans Casanova) à la toute récente adaptation de La Vénus à la fourrure par Roman Polanski en passant par Jeremy Leven (Don Juan DeMarco), Joseph Gordont-Levitt (Don Jon) ou les chanteurs pop Robin Thicke et Pitbull, les écrivains, les musiciens, les metteurs en scène, les cinéastes et les bédéistes donnent à faire voir et à faire exister les transformations de Don Juan à travers l’histoire de notre imaginaire. Ce deuxième numéro de Musemedusa veut rassembler  des études, des textes de fiction et des œuvres visuelles autour de la  figure polymorphe de Don Juan qui, divine ou diabolique, continue de nous intriguer.

Contributions (30 000 signes, espaces compris : voir pour les consignes précises le protocole de rédaction sur le site de la revue : www.musemedusa.com) accompagnées d’un résumé (en français, anglais ou allemand) et d’une brève notice bio-bibliographique

à envoyer au plus tard

le 1er  avril 2014 à

revue@musemedusa.com