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Commentaire en feuilleton: interpréter Un roman du réseau sur Mediapart

Commentaire en feuilleton: interpréter Un roman du réseau sur Mediapart

Publié le par Marc Escola (Source : Laurent Loty)

Mediapart invite cet été à participer à une expérience littéraire, éditoriale et interprétative.

Le roman-feuilleton Un roman du réseau de Véronique Taquin va être diffusé chaque vendredi à compter du 1er juillet 2011, et commenté au fur et à mesure de sa publication. Entre onirisme et hyperréflexivité, le texte est aussi énigmatique qu'un film de David Lynch et suscite le désir de confronter les interprétations. Ce roman devrait intéresser des lecteurs prêts à s'engouffrer dans les profondeurs du psychisme humain et à lire, en même temps, une représentation sociopolitique de la construction des identités par l'enchevêtrement des imaginaires en réseau. L'histoire est celle d'individus qui s'envoient des récits de vie sur un site, les réécrivent et les réinterprètent avant de se rencontrer physiquement. Les systèmes énonciatif et narratif sont particulièrement complexes. Difficile de dire si un texte issu de la réécriture des archives d'un site relève encore de l'épistolaire, et si l'usage du faux raccord révèle une perte des repères ou le fonctionnement ordinaire de la conscience. L'expérience promet des mises en abyme vertigineuses, à l'intérieur du texte, mais aussi du fait de l'invitation à l'interpréter sur Internet.

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Invitation à l'Édition participative d'Un roman du réseau de Véronique Taquin,

roman-feuilleton en ligne, diffusé et commenté sur Mediapart durant l'été 2011

(livraison chaque vendredi, du 1er juillet au 26 août)

Réinventer les liens entre enquête journalistique et enquête romanesque, sur un média numérique et participatif

Le roman-feuilleton est né de l'association entre la littérature et la grande presse des années 1830. Cette publication réinvente le roman-feuilleton à l'ère du numérique, sur un média qui permet aux lecteurs de réagir au roman, de le commenter, de devenir des lecteurs-interprètes, auteurs d'une sorte de feuilleton éditorial.

Les médias ont une longue histoire commune avec la fiction, depuis les débuts de la grande presse écrite qui a utilisé le bas de page ou « feuilleton » pour la critique dramatique puis les « feuilletons-romans », jusqu'au développement fulgurant des feuilletons et des séries télévisés.

Une conscience aiguë des liens entre journalisme, roman et sociologie a pu nourrir de grandes oeuvres publiées en roman-feuilleton. Balzac s'était donné le projet de devenir, par la fiction, l'historien des moeurs de son temps. La forme du roman-feuilleton, et le retour des personnages dans la série romanesque de La comédie humaine, correspondaient au rythme de vie et à la configuration sociale ainsi représentée : un réseau entrelacé de désirs individuels et collectifs, de forces économiques et politiques.

Un roman du réseau enquête sur la constitution collective d'un imaginaire contemporain et représente des formes de relations interindividuelles d'abord nouées par des dialogues et des correspondances sur Internet.

Une artiste qui travaille sur l'imaginaire collectif et la constitution des identités

Véronique Taquin (pseudonyme de Tacquin) a fait des études de Lettres (ENS et agrégation) et de cinéma (IDHEC). Elle a enseigné aux élèves de classes populaires dans des lycées difficiles, avant de contribuer à combattre la reproduction sociale dans les classes préparatoires scientifiques d'un grand lycée de banlieue, puis en y créant une khâgne. Elle a publié des articles sur la littérature, le cinéma (Eisentein, Dreyer, Duras, Pasolini, etc.), et quelques réflexions en ligne sur le « supercapitalisme » financier ou les leurres de la réforme des retraites (dans la Revue du Mauss ou Respublica).

Elle a travaillé avec Gilles Deleuze sur l'émotion au cinéma, avant de passer à la pratique artistique. Une discussion avec le philosophe, préparant son commentaire de Bartleby, l'a incitée à réaliser une adaptation cinématographique, intitulée Bartleby ou les hommes au rebut (1993). Une version DVD de ce moyen métrage est en préparation, accompagnée d'un essai filmé sur la fascination que ce texte a exercée et les adaptations qu'il a suscitées.

Véronique Taquin poursuit son oeuvre en prenant ses distances à l'égard des formes, des contenus ou des rythmes attendus. Son roman intitulé Vous pouvez mentir (1998) a été favorablement accueilli par la presse nationale ou les revues littéraires ou savantes (de La quinzaine littéraire à Psychologie clinique). Le texte a été sélectionné par le Ministère des affaires étrangères pour être largement diffusé à l'étranger, et par les Inrockuptibles comme l'un des dix-sept meilleurs romans français ou étrangers de la rentrée.

L'oeuvre de Véronique Taquin s'intéresse aux médias comme mode de relation sociale, à leur rôle dans la construction du psychisme individuel et du corps social. Dans Vous pouvez mentir, la correspondance écrite et le courrier des lecteurs d'une émission radiophonique deviennent le lieu d'un échange en réseau. Ils révèlent les rapports que chacun entretien avec autrui, avec la société, avec soi. Ils manifestent les rapports que l'écriture entretient avec la vérité. Avec Racontez votre vie, vous pouvez mentir, l'auteure a réalisé une série vidéo expérimentale dont le dispositif (deux caméras, un miroir et le contrat proposé dans le titre) est voué à faire émerger des parts de vérité.

Un roman du réseau s'inspire du dispositif du film vidéo, et du roman précédent où apparaissait déjà Névo, ancien détective privé devenu scénariste. Webmaster, Névo propose à qui veut ses biographies corrigées, et fascine l'ensemble des internautes qui s'agrègent d'abord à lui comme à une incarnation du Père ou du Maître… que pourtant il ne veut pas être.

Pourquoi publier Un roman du réseau en roman-feuilleton en ligne ?

Une enquête sur l'imaginaire psychique et social et les effets d'Internet. Il s'agit d'une enquête sur les désirs amoureux et sociaux. Le jeune Lessen s'interroge sur les chances qu'il a d'échapper à la reproduction familiale et sociale (des rôlistes donnent des représentations du Père de Famille, où l'on entend crier la femme qui refuse, après la grève de 68, de retourner dans les usines Wonder). Il espère échapper aux prédictions d'une sociologue sur l'avenir des élèves des grandes écoles. Comme dans Les liaisons dangereuses, les histoires d'amour sont liées à une représentation de l'époque, la puissance sociologique du texte de Laclos tenant à l'usage de la forme épistolaire. Ici, l'enquête porte sur les effets des rencontres épistolaires et physiques suscitées par Internet.

Un roman d'intrigues amoureuses et d'apprentissage qui crée le suspens du récit et du sens. Les relations de désir, d'identification, de séduction sont prises dans une histoire qui propose à chacun de réécrire ou de réinterpréter la biographie des autres, de jouer des rôles familiaux ou sociaux. Les intrigues qui se nouent prennent un nouveau sens d'un épisode à l'autre. Le texte ménage aussi le suspense comme un roman d'apprentissage : les personnages doivent apprendre ce que sont leurs désirs et ce que signifient leurs espérances sociales. Ainsi Névo fait-il prendre conscience au jeune Lessen qu'il vient de prononcer un propos politiquement obscène.

Des épisodes dont la densité stylistique et onirique crée le désir d'interpréter. Par son caractère énigmatique, le roman s'apparente au feuilleton télévisé Twin Peaks de David Lynch, l'histoire de l'enquête sur un meurtre par l'agent Cooper, qui utilise ses propres rêves pour découvrir des indices. Chaque épisode donnait envie de le revoir, pour en saisir la profondeur. Les producteurs ont eu si peur que Lynch ne révèle jamais l'identité du meurtrier que le réalisateur l'a dévoilée dès la deuxième série… provoquant une campagne de protestation qui a obligé la chaîne à promettre une suite. Le réalisateur a alors tourné un film cinéma sur les événements… précédant le meurtre. Un roman du réseau ressemble aussi à Mulholland Drive, du même Lynch, un film qui suscite le désir d'interpréter au même titre que les rêves. Des rêves qui, par leur obscurité même, révèlent nos désirs, et les forces familiales et collectives qui nous structurent.

Un feuilleton commenté par ses lecteurs-interprètes. La diffusion d'Un roman du réseau sur Mediapart propose une expérimentation collective adéquate au texte et au média. Le texte suscite de multiples interprétations et le désir de les confronter, ce que pratiquent les personnages eux-mêmes. La mise en abyme est assez vertigineuse puisque, dans la fiction, les récits envoyés sur le site Odds sont à leur tour commentés ou réécrits par d'autres Internautes, tandis que dans la « réalité », les pages d'Un roman du réseau seront diffusées auprès des lecteurs de Mediapart, à leur tour interprètes du roman (et peut-être d'eux-mêmes…)

Un dispositif d'interprétation collective

Un roman du réseau est composé de 9 livraisons de 12 à 14 pages. Il sera diffusé chaque vendredi du 1er juillet au 26 août 2011, dans le cadre d'une « Édition participative » du Club de Mediapart, à l'invitation de « la rédaction de Mediapart ».

L'édition participative sera annoncée la semaine précédente par un entretien de l'auteure avec Mediapart, quelques mots de l'auteure, et une vidéo appelant les lecteurs à participer à l'expérience d'interprétation collective de l'été, à écrire le feuilleté des lectures d'Un roman du réseau.

Chaque abonné est chaleureusement invité à réagir. Les commentaires peuvent être très courts ou plus longs, prendre les formes les plus variées ; une artiste-peintre proposera une image par semaine. L'expérience se poursuivra peut-être en septembre par l'ouverture de cette « Édition participative » à des « articles » sur l'ensemble du roman.

Les internautes pourront aussi trouver sur Internet un site des amis d'Un roman du réseau, qui évoquera notamment les oeuvres qui ont inspiré ce texte (musique, cinéma, essais, etc.).

Qui sait si cette expérimentation ne donnera pas naissance, après le « roman-feuilleton », à un nouveau terme à la fois journalistique et littéraire ?

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