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Excès & abus dans les langues et littératures romanes

Excès & abus dans les langues et littératures romanes

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Marius Popa)

Colloque International Romania Contexta

3e édition

Excès et abus dans les langues et littératures romanes

Cluj-Napoca, le 14-15 octobre 2022


            Concepts fondateurs, dans un certain sens, de l'histoire de la culture occidentale, l'excès et – par extension – l'abus ont été, depuis l'Antiquité, des objets récurrents de réflexion. Aristote postule, par exemple, dans l'Éthique à Nicomaque, l'importance de la mesure et de la modération, dénonçant toute forme d'excès, et cette connotation péjorative subsistera dans la culture européenne à travers une longue série d'orientations qui ont revalorisé l'axiologie du classicisme gréco-latin. De la scolastique médiévale à l'intérêt de la Renaissance pour la tradition antique, les théories normatives de Boileau ou le néoclassicisme de Winckelmann, entre autres, de nombreux mouvements esthétiques se sont appuyés sur le rejet de toute forme d'excès ou d'abus, taxés de manifestations animales ou maladives (Éthique à Nicomaque, VII, V, 5). Parallèlement, certaines orientations « modernes » se sont définies, au fil des âges, en opposition au classicisme antique – comme c'est par exemple le cas du baroque –, faisant de l'excès le moteur même de la création esthétique. Comme le constate Camille Dumoulié (Esthétique de l'excès et excès de l'esthétique, 2012), le XVIIIe siècle représente un tournant dans l'histoire de la réception de tels concepts (un moment important est la parution du Discours sur la poésie dramatique, publié en 1758 par Diderot), établissant une équivalence entre l'excessif et l'esthétique, à l'heure où l'histoire de la culture abandonne l'idéal de beauté antique au profit d'une confrontation avec les limites sur laquelle la plupart des grands courants de la modernité ont fondé leur programme. Le XXe siècle a développé une longue réflexion sur l'excès et l'abus, non seulement dans le domaine de la littérature, mais aussi en linguistique. 

               La troisième édition du colloque Romania Contexta vise à interroger les deux concepts, d'abus et d'excès, dans l'espace culturel particulier de la Romania, en mettant l'accent sur les stratégies par lesquelles ces notions sont resubstanciées dans la fiction, ainsi que sur la manière – éminemment normative – dont elles sont comprises en linguistique. 


Linguistique 

            L'excès, l'exagération, l'abus, en général, présupposent l'existence d'une norme reconnue et d'un élément déstabilisant ou contestateur. Étymologiquement, ces notions se traduisent par le dépassement de certaines limites, d'un cadre bien défini, incluant l'usage illégitime ou inhabituel d'un concept, d'une loi ou d'un principe. Le colloque vise à explorer la diversité et la dynamique de la relation entre norme, limite, cadre et manifestations transgressives, déstabilisantes ou inappropriées, en montrant que de tels concepts peuvent être intégrés avec pertinence dans les sciences du langage.

            Liées au domaine de la linguistique, les notions d'excès et d'abus se retrouvent dans les théories de la communication et leurs différents modèles de manifestation tels que « la communication représentative », « expressive » ou « tautiste » (Lucien Sfez, La communication, 2002, ou le numéro thématique « La intensidad en las lenguas románicas como estrategia comunicativa », Estudios Románicos, 30/2021), qui impliquent un excès de communication, sans cible et sans message, spécifique au modèle de communication virtuelle, si actuel ; dans les processus rhétoriques, la sémantisation et la resémantisation – réalisées au niveau du texte/du discours – reposent sur l'excès, respectivement l'abus. De même, l'intensité, en tant que variable de l'excès, est un phénomène omniprésent dans le langage, tant morphologiquement que syntaxiquement, ainsi que lexicalement ou prosodiquement, avec des effets sur la structure informative de la phrase et sur la relation signe-signifiant (Clara Romero, L'intensité et son expression en français, 2017).

            Mais l'excès, vu comme fondement du langage ou comme manifestation locale (au niveau morphosyntaxique, sémantique, pragmatique), peut être conçu, comme en physique, avec une double valeur : positive ou négative. Ainsi, partant du postulat que les deux concepts, d'excès et d'abus, peuvent être perçus à travers le prisme de cette opposition, nous proposons les axes de réflexion suivants, sans prétention d'exhaustivité :

- la notion d'excès : définitions, problématiques, approches, utilité théorique ;

- les adaptations abusives des néologismes, emprunts, toponymes, anthroponymes, etc. à l'orthographe des langues romanes (hyperurbanisme ou hypercorrection phonétique, graphique) ;

- excès au niveau morphologique ou syntaxique (sur-marquage, redondance…) ;

- l'excès et son expression lexicale (altération, dérivation…) ou grammaticale (superlatif…) ;

- excès et abus dans le contact entre les langues et dans la pratique de l'emprunt ou du néologisme ;

- formes de transgression de la norme par les locuteurs (hypercorrection, prestige caché…) ;

- la manifestation de l'abus dans la ritualisation de l'insulte et de la violence verbale ;

- formes excessives pathétiques (répétition, redondance, paraphrase...) dans divers types de discours : politique, médiatique, publicitaire... ;

- approches rhétoriques : la fonction de l'hyperbole, de l'ironie et des excès humoristiques ;

- la sémiotique de frontière : l'interaction entre les langages de diverses manifestations artistiques et textuelles (le texte littéraire et les arts visuels ou sonores, le texte littéraire et sa représentation cinématographique ou scénique).


Littérature

            En termes de littérature, le colloque se propose d'explorer la même relation entre norme, limite, cadre et manifestations transgressives, déstabilisantes ou inappropriées. Dans le domaine culturel, cependant, l'excès et l'abus représentent, au-delà de leurs valences normatives, des expériences ontologiques. De l'hybris tragique à la vision moderne de Bataille, les littératures romanes, à travers une longue tradition – de Rabelais et Calderón de la Barca à Sade et Artaud –, interrogent l'humain dans sa confrontation avec les limites, l'excès et l'abus assumant des implications philosophiques et existentielles des plus différentes. La société « hypermoderne » (Gilles Lipovetsky) vise à tempérer certains accès, mais, paradoxalement, elle en crée d'autres. Tout devient « spectaculaire », l'homme est un « hyper-consommateur » à l'échelle planétaire, les villes surpeuplées sont tentaculaires (comme Verhaeren les imaginait), le sport est extrême et le corps devient une obsession, la technique explose et dynamise les équilibres naturels. L'écolittérature génère l'écocritique, et la littérature (post)apocalyptique est un phénomène à la mode, nécessaire surtout lorsque les pandémies passent de l'imaginaire à la réalité. Le discours du politiquement correct dénonce avec véhémence les abus contre les femmes, les enfants, les minorités ethniques, religieuses ou sexuelles.

            Le problème de l'excès a constamment retenu, au cours des deux dernières décennies, l'attention des exégètes qui l'ont radiographié dans les textes d'écrivains appartenant à notre champ d'intérêt : Rocco Ronchi, Thomas Berni-Canani, Une ontologie de l'excès, 2000 (pour l'espace francophone), Christine Orobitg, De la escritura del exceso a la poética del justo medio : otra trajectoria, 2005 (pour l'espace hispanophone), Jacqueline Penjon (dir.), Trop cʼest trop. Études sur lʼexcès en littérature, 2006 (pour l'espace lusophone), etc., pour ne citer que quelques-uns des titres les plus évocateurs en la matière.

            Selon l'épistémè culturelle dans laquelle elle est produite, la littérature investit les concepts en question d'un enjeu éthique inévitable, leur attribuant, selon les cas, des connotations favorables ou, au contraire, péjoratives. Ainsi, partant de la prémisse que les deux notions, d'excès et d'abus, peuvent être abordées à travers le prisme de cette opposition, nous proposons les axes de recherche et les thèmes suivants:

- les notions d'excès et d'abus : définitions, problématiques, approches, évolution dans le temps, réception;

- excès et abus dans la relation biographie-création artistique;

- excès et abus : courants et genres littéraires, de la littérature baroque à la littérature contemporaine ;

- l'excès, l'abus, l'exubérance, l'abondance, la surcharge comme thèmes de la littérature et de l'art ;

- la violence et sa représentation (ou absence de représentation) dans la littérature ; violence textuelle;

- abus physique vs. conséquences psychologiques;

- les abus de pouvoir, de confiance, de droit dans l'imaginaire littéraire ;

- norme, infraction, règle et transgression ;

- la littérature engagée en tant que réaction aux abus ;

- abus et excès en stylistique, esthétique, théorie littéraire.

 
Calendrier

Remise des propositions de communication (300 mots, avec une bibliographie de 3-5 titres) : 1er mars 2022 à l'adresse du colloque : romaniacontexta@gmail.com

Acceptation des propositions : le 30 mars 2022

Colloque : le 14-15 octobre 2022, Faculté des Lettres (31 rue Horea, Cluj-Napoca)

Soumission des articles complets : le 30 décembre 2022


Détails de l'organisation

Les langues du colloque sont le français, l'italien, l'espagnol et le portugais.

Les communications peuvent porter sur une ou plusieurs langues ou littératures romanes.

Les communications du colloque seront limitées à 20 minutes et seront suivies de 10 minutes d'échanges.

Les frais de participation sont de 50 € / 250 RON (pauses café, déjeuners et publication d'articles). Le transport et l'hébergement sont assurés par les participants.

 
Comité scientifique

Évelyne Thoizet (Artois, France)

José Manuel González Calvo (Extremadura, España)

Jukka Havu (Tampere, Finland)

Marisa Martínez Pérsico (Udine, Italia)

Roberto Antonelli (Accademia dei Lincei, Italia)

Lorenzo Renzi (Padova, Italia)

Luigi Tassoni (Pécs, Hungary)

Maria Helena Araújo Carreira (Paris 8 - Saint-Denis, France)

Isabel Margarida Duarte (Porto, Portugal)

Rogélio José Ponce de León Romeo (Porto, Portugal)

Maria de Fátima Marinho (Porto, Portugal)

José Manuel da Costa Esteves (Paris X Nanterre, France)

 
Organisateurs 

Cristiana Papahagi (cristiana.papahagi@ubbcluj.ro) – linguistique

Monica Fekete (monica.fekete@ubbcluj.ro) – littérature italienne 

Marius Popa (marius.popa@ubbcluj.ro) – littérature française

Sanda Moraru (sanda.moraru@ubbcluj.ro) – littérature et linguistique espagnoles

Luminița Tunsoiu (luminita.tunsoiu@ubbcluj.ro) – linguistique espagnole

Veronica Manole (veronica.manole@ubbcluj.ro) – littérature et linguistique portugaises