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L’Alchimie des algorithmes (Formules, n° 23, Peter Consenstein, Dominique Raymond, dir.)

L’Alchimie des algorithmes (Formules, n° 23, Peter Consenstein, Dominique Raymond, dir.)

Publié le par Marc Escola (Source : Peter Consenstein)

Raymond Queneau, Directeur Littéraire de Gallimard, membre du prestigieux Comité de Lecture de cet éditeur, Grand Conservateur de l’Ordre ‘Pataphysique, écrivain célèbre, scénariste de film à succès, dramaturge, chroniqueur radiophonique, co-fondateur de l’Oulipo et personnage important de la scène littéraire et artistique française pendant plus de trois décennies, on le sait, nourrissait une passion pour la science et en particulier les mathématiques. A la suite de ses travaux commencés en 1965 sur les nombres hyperpremiers, le 6 mai 1968, par l’intermédiaire d’André Lichnerowicz, il présente une note scientifique à l’Académie des Sciences de Paris, consacrée aux « suites s-additives », c’est-à-dire les séries de « suites S de nombres entiers positifs strictement croissants ». Comme nous l’indique Paul Braffort il ne faut donc pas s’étonner si la fondation de l’Oulipo avait pour but central énoncé de « développer des thèmes littéraires en utilisant des structures mathématiques ». En 1974, dans la revue L’Éducation, François Le Lionnais, autre co-fondateur de l’Oulipo renchérissait : « On applique les mathématiques à la physique, à la biologie, aux sciences économiques, à la linguistique. C’est ma conviction qu’on pourrait les appliquer, avec fruit, à la littérature, et que c’est là la vocation principale – de l’Oulipo ».

La génération de nouvelles formes littéraires était présentée avant tout comme un problème mathématique de distribution des combinatoires des éléments verbaux. On connait les systèmes répétitifs qui ont servi à créer, entre autres le S+7 et tout le système de calculs qui a servi de base à la réalisation du texte Cent mille milliards de poèmes de Queneau suivi d’un long manifeste de littérature expérimental par Le Lionnais. Dans les dernières années de sa vie Queneau s’est passionné pour la réalisation de « textes automatiques » générés par ordinateur à la suite des travaux de Jean Baudot, La machine à écrire. Queneau étend même cet intérêt pour la création automatique à d’autres domaines humanistes et dans une note savante à la biographie qu’il lui consacre, Michel Lécureur, insiste : « en musique, Queneau a suivi, dès le début les recherches de musique algorithmique entreprises par la compagnie des Machine Bull ». Les spécialistes de Georges Perec se souviennent que lors de son premier voyage aux Etats-Unis, celui-ci s’arrête à l’Université du Michigan, à Ann Arbor, pour observer au laboratoire informatique de Kenneth L. Pike, les travaux entrepris en matière de génération automatique des textes littéraires dans le cadre de ses recherches sur les principes génératifs de la tagmémique. En 1981, s’établit l’ALAMO (Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs)[1], fondé en juillet 1981 par deux membres de l’Oulipo dont Paul Braffort. Jacques Roubaud, en 1992, se proclamait toujours optimisme à l’égard de cette modalité de production littéraire. De même, Pascal Gresset, dans son essai « Pour une littérature immatérielle », confirme qu’une telle littérature saura « tirer pleinement parti de toutes les richesses de l’immatérialisation de contenus concrétisés», tels que « immatérialité, instantanéité, complexité communicabilité, disponibilité, générativité, prolixité, mobilité, fluidité, adaptabilité, collectivité impersonnalité, multiplicité, interactivité ». Une littérature numérique abolira ainsi « toute barrière, ignorant qui la lit, oubliant qui la produit dans un perpétuel mélange des genres. » Ainsi cela deviendra « une littérature du pillage méthodique, du vol systématique, empruntant son bien où bon lui semble, consciente de la propriété collective des langues ». Notre temps est-il toujours aussi optimiste envers la production littéraire assistée par l’informatique ? Est-ce toujours l’espoir d’une panacée à cette littérature personnelle, balbutiant les fictions monochromes au cœur sec et aux contours répétitifs dans l’exiguïté des exigences du marché ?

Dans un article récent sur les rapport entre la littérature et la bande dessinée, Jan Baetens souligne que tout récemment le recours aux moyens digitaux a eu un impact considérable sur le développement des arts graphiques, non seulement pour ce qui concerne la production des réalisations graphiques elles-mêmes, mais surtout pour ce qui concerne leur diffusion car, comme l’étudient Benoît Epron et Marcello Vitali-Rosati, les « algorithmes commerciaux » à la disposition de tous en cet âge du numérique, ont mis fin au monopole des douaniers professionnels qui, traditionnellement, contrôlait le flot limité de la production.

Et pourtant…hier encore, Maria Ressa, a reçu le Prix Nobel de la paix, parce qu’elle a dénoncé le caractère nocif et toxique de la puissance des algorithmes comme générateurs de répétitions informatiques : « Nous sommes entrés dans l’ère des autoritarismes numériques ». Depuis la parution de The Cultural Logic of Computation, de David Golumbia, les recherches en sciences humaines dans le monde anglo-saxon semblent cibler la logique algorithmique comme le nouvel ennemi à dénoncer dans toutes ses formes protéennes. De David Berlinski,  The Advent of the Algorithm, à la récente étude de Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism, dans les domaines de l’organisation sociale, politique, financière et culturelle, on assiste à une condamnation apparemment globalement orchestrée de ce nouveau Moloch qui coalesce en Big Data. Ignorant les différences, assignant à toute forme de réalité une unité de traitement, négligeant les particularismes et les singularités, la machine algorithmique, au rythme automatisé dès ses répétitions, dessine une uniformité qui contribue au conformisme de rigueur.

Instrument de manipulation intellectuelle et idéologique rendue banale par l’immense disponibilité des moyens véhiculant les réseaux sociaux et les vagues d’influence dépourvues de de toute légitimité morale ou économique, la puissance de l’algorithme distribue le mensonge, l’illusion, la propagande, l’endoctrinement addictif, sous le couvert d’un bénin, clément et artificiel effet de réel. McKenzie Wark, dans un de ses derniers textes, Capital is Dead, propose que le capitalisme arrive à sa fin tout en suggérant que ce qui suivra sera pire. Selon elle, les deux classes sociales dominantes sont les hackeurs dressés contre la classe vectorielle, c’est à dire celles et ceux qui contrôlent, sans frontières nationales ou idéologiques, les vecteurs de l’information. Déjà nombreux sont ceux qui élèvent l’ordre occulte des hackers au rang de seule résistance légitime capable de nous protéger de la tyrannie de Big Data et de nous restituer des zones de liberté et de libre pensée.  

« Alchimie des algorithmes ». Il y a l’alchimie que nous connaissons tous, celles des « maudits », Rimbaud et Artaud, aspiration à la science fulgurale, à la divination par la foudre du discours, mais, aujourd’hui, on ne peut ignorer le sens qu’a donné Glissant à ce mot en clamant que « le poème est une des matrices alchimiques du réel » poursuivant ainsi l’alchimie solennelle de Senghor qui a assigné à ce mot la transfiguration magique de « tout un réel qui frappe aux vantaux du monde » et qui, dans le mouvement des fleuves et les assauts éoliens de la brousse, entrouvre une fenêtre sur l’inconnu. Donc les questions se posent : de quelle « alchimie » s’agit-il ? cette alchimie des algorithmes, se rattache-t-elle à celle qui prend un « A » majuscule et qui dépasse toute frontière matérielle et temporelle, ou faisons-nous face à la naissance d’une alchimie toute autre ? L’alchimie des algorithmes crée-t-elle du nouveau ou bien simplement éclate-t-elle les bulles (sociales, politiques, ethniques, discursives, plastiques) dans lesquelles nous vivons ?

Comme la langue l’était pour Ésope ou l’atome pour l’après Nagasaki/Hiroshima, l’alchimie algorithmique, aujourd’hui, peut être envisagée comme la meilleure ou la pire des choses. Cette ambiguïté rencontrée dans les essais théoriques et méthodologique de notre société, plus particulièrement centrée sur les questions de création littéraire, artistique et performative, constituera la matière de réflexion et de débats des contributions au numéro 23 de la revue Formules.

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Les propositions devront être envoyées au plus tard le 15 avril 2022 à l’adresse suivante :  pconsenstein@gmail.com Subject: Formules 23.

Elles devront contenir :

-       Des indications sur l’auteur (nom et prénoms, université de rattachement, ou tout autre statut professionnel) ;

-       La proposition de titre de la communication

-       Un abstract de 250 à 300 mots ;

-       Les mots clés (4 ou 5 mots).

Les contributions retenues devront être suivies d’un texte édité remis le 16 juillet 2022, pour une parution prévue au mois d’octobre 2022. Les propositions non-retenues ne feront pas l’objet d’un retour. 

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Peter Consenstein
Modern Languages Department
Borough of Manhattan Community College
Ph.D. Program in French
CUNY Graduate Center