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Cahiers Voltaire : "Voltaire et le Panthéon" (suite)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Cahiers Voltaire)

Cahiers Voltaire | Voltaire et le Panthéon

L’enquête, «Voltaire et le Panthéon», sera reconduite dans le numéro 19 des Cahiers Voltaire à paraître en octobre 2020.

Nous avons tous croisé le sujet Panthéon. Tout chercheur ou lecteur ou amateur intéressé par l’histoire posthume de Voltaire a réfléchi ou médité un jour sur cette panthéonisation dont on interroge encore la signification et la portée. Mais on a pu être surpris de constater, en y regardant  de plus près, qu’il subsiste sur l’événement et sur ses suites des documents inexploités, oubliés, perdus de vue, et que les faits établis peuvent être alors reconsidérés à partir de rapprochements imprévus. C’est le point de départ d’une proposition de recherche ouverte et participative de l’« Enquête » que nous avons initiée dans les Cahiers Voltaire.

1. Champ de l'enquête

Dans la continuité des perspectives ouvertes en 2018 et en 2019, quatre ensembles documentaires sont à explorer, qui peuvent se définir comme suit :

– D'abord évidemment les traces et témoignages de l'événement lui-même (11 juillet 1791), de ses préparatifs et de ses suites immédiates : documentation d'une richesse exceptionnelle, avec des dizaines de relations directes, qui se répondent et se complètent, et qui divergent déjà quant au sens donné à l'événement. Sacrilège ou triomphe ? Apothéose ou mascarade ? Une fête « populaire » – mais nationale, patriotique ou déjà républicaine ? Les trois termes voisinent dans les commentaires : les grands clivages de l'histoire posthume de Voltaire travaillent d'emblée ce récit fondateur. Trois sous-ensembles sont remarquables : les documents visuels, dessins et estampes, dont plusieurs datés de juillet 1791, déjà journalistiques (accessibles par la British Library et dans Gallica); les célébrations en vers (hymnes, odes, chansons, pièces de genres variés…) ; et les versions tardives, plus marquées par des choix d'engagement (de Sébastien Mercier, Joseph de Maistre, Mme de Genlis, Mme de Créquy, Hugo, Lamartine, Michelet, Quinet…). Autre aspect jusqu'ici négligé : les échos et réactions des provinces. Déployée et mise en scène dans les rues et les places de Paris, avec ses tableaux et ses décors, la fête illustrait l'invention d'un « Panthéon français » : son retentissement fut considérable dans le pays tout entier – et même au-delà. Pour les périodiques de 1791, on consultera le site Gazetier Révolutionnaire ; pour les journaux de langue anglaise, le Search Newspapers de la Library of Congress. Nous avons publié dans la première livraison un compte rendu de la panthéonisation publié dans le Times et en 2019, dans la seconde livraison, nous avons présenté un article du Boston Centinel qui en rendait compte également. Des échos de cette fête et des polémiques qui y ont été liées ont certainement paru également dans la presse italienne et allemande, à tout le moins, mais l’enquête doit maintenant devenir internationale.

– Le second ensemble, plus confus, est à la fois dispersé et disparate, reflétant l'instabilité politique des temps qui suivirent. Entre la République naissante (un autre événement télescope le retour de Voltaire à Paris, c'est la fuite à Varennes, première origine de la déchéance du trône) et la Troisième République instaurée (dont le Centenaire voltairien de 1878 allait conforter les débuts), c'est un long siècle de débats et d'affrontements sur la référence à 89, à la Révolution et à ses idéaux. La question de la présence de Voltaire au Panthéon traverse trois règnes et deux régimes impériaux : allait-il y rester ? La guerre des positions et des postures, cléricales et dévotes, ou civiques et laïques, a commencé dès 1791 avec une pétition hostile lancée avant l'apothéose, que trois pétitions d'exclusion relaieront sous la Restauration (en 1816, 1822 et 1829) – la menace subsistait, sourde, récurrente. En 1821-1822, on repoussa le cercueil du mécréant sous le péristyle, avec celui de Rousseau, hors de l'enceinte sacrée du monument rendu à Sainte-Geneviève. « Ces deux hommes ont perdu la France » : on connaît le mot prêté à Louis XVI mourant – pouvaient-ils continuer de symboliser l'anarchie qui les avait portés là ? Actes d'État et actes d'Église se succédèrent ainsi autour du Panthéon, dans la confusion de politiques contraires, tantôt de retour au culte catholique (1806, 1821, 1853), tantôt de sécularisation progressive (1830, 1881, 1885). D'où les deux aspects d'une documentation foisonnante : des pièces officielles ou formelles, assez peu connues, sont conservées dans les archives publiques (ordonnances et décrets, discours d'inauguration, rapports d'étude, procès-verbaux de déplacement du cercueil, débats parlementaires, pétitions, souscriptions) ; mais on en suit aussi le commentaire courant dans la presse d'opinion et dans quelques journaux satiriques tolérés. À ce mouvement de fond, Voltaire est directement intéressé, comme référence d'actualité, vecteur d'influences politiques, et comme emblème historique du Panthéon disputé – il en est, depuis l'expulsion de Mirabeau, l'hôte le plus ancien. Les pressions populaires augmentent en sa faveur, par exemple pour lui procurer un mausolée civique en cas d'exclusion forcée (1822) ou pour lui élever une première statue en place publique… vers le Panthéon (1844). En revanche, à chaque retour du monument au sein de l'Église universelle, l'histoire du Panthéon se réécrit sans Voltaire ou contre lui : cérémonies expiatoires, rites de purification, prêches et prônes d'une France éternellement chrétienne – ces évidences hostiles, restées prégnantes dans une certaine sphère médiatique, nous paraissent encore bonnes à informer et à restituer.

– Il y eut donc une bataille du Panthéon, qui fut essentiellement voltairienne : c'est un angle privilégié pour cerner et comprendre la place et la part de Voltaire dans le récit national français – et dans l'histoire humaine. Mais dans ces plis et ces replis de l'histoire croisée du monument et de son premier « grand homme », on doit s'attendre à redécouvrir, et on devrait donc pouvoir reconstituer une bonne fois, ce qui n'a jamais été fait, la légende noire des tombes violées et des ossements disparus – ceux de Voltaire et ceux de Rousseau. C'est le troisième ensemble documentaire, et le plus curieux, visé par notre enquête. Cette sombre histoire s'élabora, semble-t-il, dès 1814-1815, puis elle se répandit sourdement et prit consistance dans les décennies 30-40, pour finir par s'imposer en un demi-siècle, sans contestation réelle. C'est en 1864 dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux consultable en ligne) que furent réunis et présentés pour la première fois, attentivement, sérieusement, les principaux indices, les preuves et les références d'un complot soudain révélé. La vérité sortait au grand jour, établie et assurée, pour une sorte de procès public : non pas une rumeur, mais une évidence communément partagée, entre des garants qui assumaient l'acte en en revendiquant la sainte audace et le bon droit, et des accusateurs qui vouaient à l'infamie cet irréparable forfait, mal résignés désormais à la colère et au défi. Ce dossier passionnant peut et doit être revisité. Nous savons tous que les éditeurs de Voltaire au XIXe siècle, tous ses éditeurs, de Beuchot à Moland, ont enregistré et commenté ces données dans des préfaces et des annexes. Desnoiresterres, le premier biographe moderne de Voltaire, les relève encore : pour lui, en 1876, date où il termine son travail, les cercueils de Voltaire et de Rousseau sont vides. On a d'ailleurs noté la rencontre sensationnelle, dans la même année 1864, d'un scoop indiscret du Figaro, donnant un sceau quasi officiel à une confirmation venue de haut lieu (numéro du 28 février 1864, en ligne sur Gallica), et d'un récit visionnaire de Hugo évoquant depuis son exil, dans l'esprit des Châtiments, l'attentat furtif de la crypte mal gardée du Panthéon et l'équipée nocturne des détrousseurs de morts, jusqu'à ce terrain vague où ils avaient versé dans la chaux vive le sac des restes mêlés de Voltaire et de Rousseau – « la haine mange du cadavre » (William Shakespeare, IIe partie, livre III, chapitre 3). En amont, sur une masse hétéroclite de documents associant le Panthéon et Voltaire – récits de visites, histoires et descriptions du monument, dictionnaires usuels, variétés littéraires, nouvelles d'actualité, anecdotes ou simples mentions incidentes - on retracera sans peine les indices patents ou les signes allusifs, réticences et sous-entendus de l'inavouable, de cette rhapsodie d'un mythe construit devenu certitude : on pourra en dresser les notices, pour comparer les pièces, les confronter, les peser. Il s'agit d'éclairer la question de fond posée par ce phénomène inouï d'un « complotisme » collectif à grande échelle : à quel(s) besoin(s) aura donc pu répondre un tel entraînement, entre adversaires et partisans de son influence, à croire disparu le corps mortel de Voltaire ? Plutôt que de prendre les choses avec condescendance, il nous semblait, il nous semble encore plus intéressant d'aborder ce grand mythe voltairien comme tenant à une autre mémoire « monumentalisée » du grand homme, devant un Panthéon déserté de sa présence réelle.

– Le terme de l'enquête peut être fixé par deux événements majeurs dont l'effet conjugué fut de rétablir (ou d'établir enfin) un ordre institué du Panthéon, tel que nous le connaissons, celui d'un monument laïc accueillant et honorant civilement les « Grands hommes » de la nation. Le premier de ces événements fut la panthéonisation de Victor Hugo, célébration grandiose et populaire à la fois (1er juin 1885), organisée dans les conditions nouvelles d'une loi spécifique (28 mai 1885) qui rendait le Panthéon sécularisé à sa « destination première », définie en 1791 et trahie depuis 1853 – le souvenir de Voltaire fut naturellement convoqué dans le débat parlementaire de cette loi, à trois reprises même, dont une interpellation sur la fameuse violation de son cercueil, regardée encore comme historique. Un premier sondage semble indiquer que la couverture médiatique de ces obsèques nationales de Hugo, exceptionnelle en volume et passionnante en soi, à la mesure de sa gloire, ne fit à Voltaire  qu'une place incidente, mais d'esprit fraternel – il serait intéressant de mieux cerner la référence à 1791 dans ce nouveau sacre d'écrivain. Douze ans plus tard, un autre événement vint clore spectaculairement la saga des errances posthumes de Voltaire et Rousseau : le 18 décembre 1897, une Commission officielle issue de la société civile, comme nous dirions, mais autorisée et missionnée par le ministre de l'Instruction publique, se présenta au Panthéon, se fit conduire aux caveaux et après avoir expertisé les cercueils et leur contenu, elle se prononça collégialement pour constater et authentifier la présence dûment reconnue des restes de Voltaire et de Rousseau, se mettant ainsi en mesure, aux termes du rapport formel de Marcellin Berthelot, qui la présidait, « de dissiper d'une manière définitive diverses légendes accréditées relativement à ces grands hommes et de montrer jusqu'à quel point a été observé le respect dû à leur mémoire ». « Fin des légendes », titra Le Voltaire.

Un voile d'oubli, d'innocence et de concorde civile était enfin jeté sur les deux tombes de la division.

L'expertise avait été publique et fort courue – on mentionne une centaine d'assistants du Tout-Paris, journalistes, chroniqueurs, académiciens, artistes, comédiens… -, d'où un écho retentissant dans la presse du temps, de l'éditorial à l'articulet. Des reliefs s'y distinguent : le ton grave et pénétré des membres cités de la Commission ; le discours conciliant, voire lénifiant, des moralistes, couvrant les disputes et les cris d'antan ; les accents de Titi gouailleur, sceptique peut-être, de certains chroniqueurs ; le vibrato lyrique de célébration d'un nouveau Panthéon de paix et de respect retrouvés – et d'autres voix sans doute, qu'on saura capter et rendre. Dissidente, à contre-courant de la grande presse, une ligne plus exigeante fut soutenue dans plusieurs revues médicales et scientifiques du temps, sur les  bases de la médecine légale et de l'anthropométrie naissante, pour appeler à plus de réserve, de modestie et de prudence, une honorable Commission somme toute assez mal composée – un chimiste, certes éminent, deux médecins, un sénateur, un député, un historien, un chirurgien, un architecte, un commissaire de police, un inspecteur des bâtiments… Le moment clé de l'expertise avait été l'exhibition théâtrale, au bout d'un bras levé, du crâne de Voltaire, mâchoire remboitée, où chacun put soudain reconnaître en effet la tête et le fameux rictus du Voltaire nu de Pigalle…

2. Coordination de l'enquête

L'enquête est placée sous la double coordination de Linda Gil et André Magnan.

Prière d'adresser conjointement à l'un et à l'autre (linda.gil@univ-montp3.fr et a.magnan.sv@orange.fr) pour le 20 mars 2020, les propositions de nouvelles notices, références, pistes à explorer, et par la suite questions, réflexions ou compléments d'information sur l'état de l'enquête en cours.

Les notices proposées pour le numéro 19 des Cahiers Voltaire (2020) devront parvenir pour le 30 mai prochain.

3. Présentation des notices de contribution

Une notice type a été établie pour le traitement des documents et la mise en forme des données. Les contributeurs sont invités à en suivre le schéma. A priori, nous souhaitons recevoir des textes assez synthétiques, distribués sur quatre niveaux de description et de commentaire, plus une cinquième rubrique plus ouverte :

1. Description du document : son titre ou sa définition ; sa source, sa référence et sa date complètes ; sa ou ses fonctions ; éventuellement son caractère inédit ou l'exploitation qui en a été déjà faite, etc.

2. Restitution du document, idéalement en texte intégral ou, selon les cas, par analyse et résumé (choix à concerter avec les coordinateurs), ou reproduction pour les images, avec les explications pertinentes sur le contexte historique et les circonstances. Pour les textes rédigés en langue étrangère, on prévoit de les reproduire dans leur langue d'origine, puis d'en donner une traduction.

3. Appréciation de l'intérêt et de l'importance du document, avec tous les éclaircissements utiles sur son sens et sa portée, et le cas échéant sur son influence prouvée ou hypothétique.

4. Mise en rapport avec d'autres documents déjà traités ou à traiter : rapprochements et recoupements, séries et variations, divergences et contradictions, etc. Des pistes ont été suggérées dans les premières notices publiées.

5. Autres remarques éventuelles, tirées par exemple d'un retour critique sur le document : doutes, incertitudes, obscurités, points à résoudre, hypothèses alternatives, etc.

5. Bibliographie

Nous proposons enfin quelques éléments de bibliographie:

BEN AMOS, Avner, Funerals, Politics and Memory in Modern France, 1789-1996, Oxford   University Press, 2000.

BIRD Stephen, Reinventing Voltaire: the politics of commemoration in nineteenth-century France, SVEC, 2000.

BIVER, Marie-Louise, Le Panthéon à l'époque révolutionnaire, Paris, 1982.

BOCQUET Denis, Panthéon ou église Sainte-Geneviève. Les ambiguïtés d'un monument. 1830-1885, Mémoire de maîtrise d'histoire (dir. Alain Corbin), 1992 (en ligne à HAL-Archives ouvertes).

BONNET Jean-Claude, Naissance du Panthéon. Essai sur le culte des grands hommes, 1998.

CLARK Joseph, Commemorating the dead in revolutionary France. Revolution and remembrance. 1789-1799, 2007.

De BAECQUE Antoine, La Gloire et l'effroi, 1997.

«Enquête sur les voltairiens et les anti-voltairiens», Cahiers Voltaire 1-10 (2002-2011).

Exposition Le Panthéon, symbole des révolutions. De l'Église de la nation au Temple des grands hommes, Montréal-Paris, 1989.

FUREIX Emmanuel, La France en larmes. Deuils politiques à l'âge romantique. 1814-1840, Paris, 2009.

GALLIANI Renato, «Voltaire cité par les brochures de 1789», SVEC 132 (1975), p. 17-54.

– «La présence de Voltaire dans les brochures de 1790», SVEC 169 (1977), p. 69-114.

– «Voltaire et les autres philosophes dans la Révolution: les brochures de 1791, 1792, 1793», SVEC 174, p. 69-112.

GUIRAL Pierre, «Quelques notes sur le retour de faveur de Voltaire sous le Second Empire», Mélanges Étienne Gros, 1959.

LEIGH James A., «Les trois apothéoses de Voltaire», Annales historiques de la Révolution française 31 (1979), p. 161-209.

LEUFFLEN Pierre, « Une nouvelle interprétation de la célébration du centenaire de la mort de Voltaire en 1878 : l'apport essentiel des Archives de la Préfecture de Police », Cahiers Voltaire 10 (2011), p. 73-136.

LINDSAY Suzanne G., Funerary arts and tomb cult. Living with the dead in France, 1750-1870, 2012.

MASSEAU Didier dir., Dictionnaire des anti-Lumières et des antiphilosophes (France, 1715-1815), 2 vol., 2017.

OZOUF Mona, «Le Panthéon», dans Les Lieux de mémoire. La République, t. I, dir. Pierre Nora, 1984.

THOMAS Catherine, Le Mythe du XVIIIe siècle au XIXe siècle, 2003.

TROUSSON Raymond, Visages de Voltaire (XVIII-XIXe siècles), 2001.

Voltaire. Mémoire de la critique. 1778-1878, 2008.

«Voltaire et l'histoire nationale», Revue Voltaire 10 (2010).