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« Pour égayer l’ennui de nos prisons », à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire

« Pour égayer l’ennui de nos prisons », à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Federica Locatelli)

                                  « Pour égayer l’ennui de nos prisons » :

Colloque à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire

Organisé par l’Université de la Vallée d’Aoste,

en collaboration avec l’Université Catholique de Milan

et le Bandy Center (Vanderbilt University, Nashville)

(2-3 décembre 2021)

 

« D’habitude les auteurs se rapprochent et s’éloignent de nous » écrit Giovanni Macchia dans son Introduction aux Œuvres complètes de Charles Baudelaire dans l’édition « Meridiani », « comme des bateaux en papier que nous observons, immobiles, depuis le rivage ». Dans le cas du poète des Fleurs du Mal, la vision semble être bouleversée :

Comme dans ces prodiges d’optique qui trompent le regard, [Baudelaire] se rapproche au fur et à mesure que le temps l’éloigne de nous et que sa figure se fait évanescente. Le monde change […] mais nous nous rendons compte qu’il ressemble toujours plus à l’univers terrible et fascinant que le poète meubla, questionna, rêva, accepta ou refusa. Baudelaire avait raison. Notre époque est devenue de plus en plus baudelairienne. (Nous traduisons)

La persistance de la Covid-19, les restrictions exceptionnelles et les confinements qu’elle a imposés ont bouleversé en profondeur les rapports humains, ainsi que notre vie quotidienne. À l’heure du confinement, notre besoin d’évasion se fait ressentir plus fort que jamais : « Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! ». Pour conserver le moral, les spécialistes conseillent en effet d’occuper nos journées avec tout ce qui peut nous aider à nous évader ou à réfléchir. Selon Bachelard, « la maison, la chambre, le grenier où l’on a été seul, donnent les cadres d’une rêverie interminable, d’une rêverie que la poésie pourrait seule, par une œuvre, achever, accomplir » (La Poétique de l’espace).

Comme le dit Antoine Compagnon, dans sa réflexion sur « La Littérature face aux pandémies », le remède contre tout mal, c’est en effet le fait de le raconter, de le partager : « les hommes ont toujours su que le récit était la panacée universelle. Nous ne vivons pas vraiment un événement, quel qu’il soit, avant de l’avoir raconté, ni avant d’avoir lu les récits qui nous permettent de le raconter ». De son côté, Pauline Petit, qui a publié une réflexion sur la question, parue dans France Culture le 9 avril 2020, souligne comment la littérature fournit des instruments pour nous interroger sur la solitude, pour la comprendre et la maîtriser : du sentiment d’ennui de l’homme cloîtré décrit par Pascal à la joie de l’isolement retrouvé de Schopenhauer, en passant par la quarantaine vécue par Rousseau ou le « rêve politique de la peste » et le « grand renfermement » étudiés par Foucault, l’écriture est traversée d’expériences d’isolement et de claustration. D’ailleurs, si les crises passent, les livres demeurent, et tout particulièrement les classiques : pas seulement parce qu’ils nous offrent l’occasion de nous évader, mais aussi et surtout parce qu’ils nous allègent le poids de la solitude et favorisent l’introspection.

Dans Le Miroir de Baudelaire, Paul Éluard reformule ainsi un extrait du Spleen de Paris : « Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu’il peut être à la fois lui-même et autrui ». La modification apportée par Éluard, remplaçant «  être à sa guise » par  « être à la fois », souligne l’idée d’une communion totale entre le « je » et « l’autre » ; dans L’Evidence poétique, il entérine la modernité de cette posture (« La solitude des poètes aujourd’hui s’efface. Voici qu’ils sont des hommes parmi les hommes, voici qu’ils ont des frères ») et montre jusqu’à quel point le cœur apparaît comme le point commun, le siège des affections, des émotions, et non pas seulement comme une métonymie de la passion amoureuse : « le rythme de mon cœur est un rythme éternel », lit-on dans Les Petits justes III. Le sismographe affectif n’a de valeur que dans le partage et non dans la complaisance narcissique d’un seul. 


À l’occasion du bicentenaire de la naissance du poète des Fleurs du Mal, nous avons choisi de consacrer un Colloque international à l’artiste qui, entre tous, a conçu sa vocation poétique comme une « prostitution », voire un don de soi et dont les émotions, si poétiquement et si durement racontées à son « frère et semblable », retentissent, aujourd’hui encore, dans un « ici et maintenant » partagé entre l’écriture et le lecteur. Seul et pourtant passionné de la foule, Charles Baudelaire a traité de la haine du logis, de l’« horreur du domicile » : la vie « cellulaire » est décrite comme une véritable « maladie » à étudier et à approfondir. Toute sa vie et sa poétique se résument à la fois en un désir constant et insatiable de voyager, qui est bien plus qu’un simple goût du bohémianisme, et une volonté de s’enfermer dans une chambre pour laisser libre cours aux arabesques de la créativité et s’adonner au travail. Ce dernier apparaît comme le seul moyen de fortifier véritablement l’esprit humain et de lutter contre le temps et l’ennui, ce sentiment de fatigue morale et de lassitude lié à une impression de vide et d’inutilité (« Rien n’égale en longueur les boiteuses journées/ Quand sous les lourds flocons des neigeuses années/ L’ennui fruit de la morne incuriosité/ Prend les proportions de l'immortalité »). À ce paradoxe s’en ajoutent bien d’autres chez ce poète des contradictions, comme l’opposition entre son besoin de solitude, sa vie en marge du social et les sentiments de sympathie et de compassion qui l’animent ; selon leur étymologie, ces deux substantifs renvoient à une capacité de souffrir avec l’autre, particulièrement évidente dans la section des Tableaux parisiens et dans Le Spleen de Paris, à travers lesquels la douleur apparaît comme l’essence même de l’humain et la raison de sa fierté. Nous pouvons aussi faire référence à la tension entre les lieux physiques fermés, suggérant la clôture et l’étouffement, à partir desquels on peut s’envoler vers les espaces vastes et ouverts de l’imagination, selon l’esthétique de l’ « infini dans le fini » ; ou encore, à la maladie physique et morale du poète, décrite comme une expérience intime et privée (Mon cœur mis à nu), en rapport avec la maladie sociale qui se révèle dans la corruption des esprits et du langage, dont la poésie serait le symptôme (« Muse malade », « fleurs maladives »).

Toutes les questions ci-dessous proposées, ainsi que le titre du Colloque, se prêtent aussi bien à une relecture de l’œuvre littéraire du poète qu’à ses textes théoriques et critiques, abordés selon des perspectives stylistiques ou esthétiques. Nous attirons particulièrement l’attention sur ces thématiques qui fondent la poétique et l’anthropologie baudelairiennes et qui ont aussi une valeur spécifique dans le contexte actuel :

  • l’ennui, « monstre délicat » /« quaerere semper commutare locum » ;
  • les sentiments de la compassion, de la charité et de la sympathie (« Sans la charité, je ne suis qu’une cymbale retentissante » ; « Moi c’est tous, tous c’est moi ») ;
  • l’imagination entre réflexion esthétique, transfiguration du réel et désir de s’échapper ;
  • le travail qui fortifie et le temps qui ronge la vie (« on ne peut oublier le temps qu’en s’en servant » ; « si tu travaillais tous les jours, la vie te serait plus supportable ») ;
  • l’ « horreur du domicile » et « la douceur du foyer » ;
  • l’amour : « cette horreur de la solitude […] que l’homme appelle noblement besoin d’aimer » ;
  • la solitude et la multitude : « l’esprit qui s’adonne à la solitude doit savoir la peupler » ;
  • les voyages réels et les voyages métaphoriques ;
  • les lieux clos et les espaces ouverts ;
  • le rôle du lecteur, « frère et semblable » ;
  • la maladie physique, individuelle et sociale ;
  • la littérature comme panacée - (re)lire les classiques aujourd’hui.

Calendrier : Nous vous remercions de faire parvenir vos propositions (200-250 mots environ) avant le 31 mai 2021 à Federica Locatelli (f.locatelli@univda.it). Les décisions du comité scientifique du colloque seront communiquées le 30 juin 2021.

Comité d’organisation : Federica Locatelli, organisateur (Univda), Davide Vago - Marisa Verna co-organisateurs (UCSC Milan).

Comité scientifique : Robert Barsky, Federica Locatelli, Ida Merello, Chiara Nifosi, Fabio Scotto, Davide Vago, Marisa Verna.

Contacts (secrétariat) : Monica Lucioni (monica.lucioni@unicatt.it) - Carlotta Contrini (carlotta.contrini@unicatt.it)

Langue du colloque : français

Les actes du colloque seront publiés en volume.