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La satire litteraire depuis la révolution

La satire litteraire depuis la révolution

Publié le par Alexandre Gefen (Source : jean-Pierre Saïdah)

Le Centre de Recherche sur les Modernités de l'université Michel de Montaigne-bordeaux III organise un colloque qui se tiendra à bordeaux au 1er trimestre 2006 surla satire litteraire depuis la révolution

 

Texte programmatique 

Si l'on cherche à retracer un historique de la satire, on se trouve déjà devant trois objets, que l'on pourrait nommer l'esprit satirique, le genre satirique et le mode satirique, et l'on voit déjà apparaître cette hétérogénéité qui est au coeur de la poétique satirique. De plus, ces trois objets ne se distribuent pas dans le temps selon un ordre successif : seul le genre occupe une période délimitée, de l'Antiquité latine au XVIIIe siècle, les deux autres remontant plus haut et poursuivant toujours leur existence.

            L'esprit satirique, lié à la conception magique du verbe dans les sociétés archaïques, anime une énonciation performative, capable de détruire sa cible par la mise en forme versifiée d'insultes railleuses. Il a été canalisé par des formes littéraires (vers iambiques, drame satyrique, sotie ou textes poétiques engagés - Les Tragiques, Les Châtiments) et des pratiques sociales (saturnales, carnaval, trait d'esprit), où le ridicule continue à tuer au moins métaphoriquement. Mais la satire s'est codifiée chez les Latins en genre poétique (Horace, Juvénal), redécouvert par les études humanistes puis illustré en France par Régnier et Boileau avant de péricliter au XVIIIe siècle. La satire comme mode de représentation remonte, quant à elle, à la ménippée. Travaillant de l'intérieur les genres littéraires ou créant ses propres formes, ce mode parasitaire et inventif, fécond et protéiforme, n'a jamais pu se codifier ni fixer ses limites.

L'extrême diversité formelle (fable, caractères, utopie, anatomie, maximes, essai…) et tonale (du macabre au ludique, de l'obscénité à l'élégance spirituelle, du nihilisme au discours moralisateur), la capacité de créer des réalisations originales, d'investir de nombreuses formes d'expression (artistiques ou non) et de contaminer les genres (ponctuellement ou totalement), voire de les subvertir au point de les rendre méconnaissables, posent un problème aigu de définition, qui s'est révélé avec d'autant plus d'évidence que le seul genre établi, la satire formelle en vers, a disparu.

Une conception courante privilégie la dimension axiologique et la visée pragmatique, en identifiant souvent la voix satirique à celle de l'auteur, et en réduisant la polymorphie à un catalogue de supports. La critique anglo-saxonne, dans le sillage de Frye et de la réflexion bakhtinienne sur la ménippée et le dialogisme, a tenté de dresser une poétique de la satire comme mode de représentation et de conceptualiser sa confusion interne, son ambiguïté et son caractère protéen au sein d'une esthétique propre. Ces travaux ont ouvert la possibilité d'analyser le mode satirique dans des oeuvres qui semblent échapper à toute saisie conceptuelle ou qui ne sont pas nécessairement considérées d'emblée comme des satires.

Ce colloque a pour but d'explorer la problématique satirique au sein de la modernité :

1. dans un champ allant de la fin du genre à nos jours, les incursions en amont du XIXe siècle ne pouvant être qu'exceptionnelles et se justifiant par l'éclairage qu'elles jettent sur les formes postérieures,

2. dans la littérature, et en particulier dans des oeuvres qui n'ont pas été considérées sous cet angle et permettant ainsi de renouveler la réflexion,

3. avec pour finalité d'affiner et d'enrichir la conceptualisation du mode, dans le sillage des théories du XXe siècle, en éclairant le destin de la satire depuis qu'elle a quitté la voie balisée du genre formel, sans se limiter à un catalogage thématique de cibles.

On pourra par exemple explorer :

- les hybridations issues de la rencontre du mode satirique et d'un genre littéraire : les rapports entre la satire et le roman, forme d'autant plus accueillante que ses contours sont peu délimités, et d'autant plus réfractaire que ses codes se conforment mal à l'esthétique satirique (discontinuité, répétition, personnel figé, fin ouverte) ; le fonctionnement du mode satirique dans des textes poétiques ne relevant plus du genre (Banville, Laforgue) ; la mise en oeuvre de la théâtralité satirique dans une oeuvre dramatique (Ionesco, Jarry) ou non dramatique

- l'inventivité dans les réalisations textuelles hors genre, ou dans des sous-genres que la satire met à la mode (physiologies du XIXe) ou qu'elle parodie ou recompose (le voyage, dans l'ethnologie imaginaire de Michaux)

- les combinaisons de la satire avec des courants littéraires (réalisme), des types de textes, des registres et des imageries (fantastique, inquiétante étrangeté, bas corporel, pornographie, macabre, vision apocalyptique), des formats (textes brefs / longs), des disciplines (philosophie) et les représentations qui en résultent (utopie)

- les différentes modalités que prend la satire au XIXe et au XXe siècles, y compris dans des oeuvres où on ne la situe pas forcément : la satire dans le récit réaliste chez Balzac ou Maupassant est différente de celle de Madame Bovary, mais on peut aussi voir les formes qu'elle prend dans des textes aussi différents que Bouvard et Pécuchet, Paludes ou les oeuvres de Céline, Beckett, Cohen ou Pynchon. L'exploration d'une oeuvre sous l'angle de la satire peut mettre en lumière certains éléments de sa poétique peu accessibles au moyen de la notion de genre (Ulysse)

- un problème typiquement satirique : la construction des personnages (typifiés, perçus de l'extérieur, non évolutifs et jugés sur actes), ou le problème de la fin non conclusive. On peut aussi s'attacher à des éléments clés de la poétique satirique (fragmentation, structure épisodique, encyclopédisme, inversion, confusion, temporalité cyclique, comico-sérieux). L'énonciation satirique peut être envisagée du point de vue de sa polyphonie, de son ambiguïté, de son militantisme. Les contradictions inhérentes à la satire offrent aussi un riche terrain d'investigations (sa tendance à l'esthétisation du vice, au pur ludisme, au nihilisme, ou sa faillite pratique)

- la scénographie et le personnel satiriques, avec ses rôles types (eiron, alazon, naïf, étranger, bouc émissaire, raisonneur et leurs différentes incarnations)

- les rapports entre la satire et le monde de la presse (« petits journaux » du XIXe)

- les rapports entre la satire et les modes et stratégies comiques (caricature, parodie, burlesque, grotesque, bel esprit, humour, dérision, absurde, non-sens) ou polémiques (pamphlet)

- la rhétorique satirique, sa mise en oeuvre de la métaphore et des autres tropes (ironie, allégorie)

- le rapport de la satire à la réalité, à l'histoire, à l'idéologie, à la norme, à la littérature, au langage - et à elle-même (visée pragmatique et réformatrice, référentialité, intertextualité, détournement, viol des codes littéraires, réflexivité, autodestruction).

Indications bibliographiques

Du point de vue théorique, on peut faire appel à Frye et à Bakhtine, mais aussi à tout le courant anglo-saxon qui s'est développé au cours du XXe siècle. On y trouvera des théories et des outils d'analyse extrêmement divers, perspectives ethnologiques, narratologiques, psychanalytiques ou esthétiques, dans des cadres variés, New Criticism, déconstructionnisme, gender studies, etc.

Pour la bibliographie, on peut se reporter à l'ouvrage de  Sophie Duval et Marc Martinez, La satire (littératures française et anglaise), Paris, Armand Colin, « U », 2000, et pour complément au site : Theorizing Satire – A Bibliography (http://www.otus.oakland.edu/english/showcase/satbib.htm)

(Pour les références essentielles, voir : Bakhtine, Clark, Connery, Eden, Elliott, Frye, Griffin, Highet, Kernan, Mack, Palmeri, Paulson, Seidel)

Prendre contact avec Jean-Pierre SAIDAH : jpsaidah@tiscali.fr ou Sophie Duval : sdvl@free.fr