Colloque international
1914 : guerre et avant-gardes
Appel à communications
Provenant du vocabulaire militaire, la métaphore de l’« avant-garde » traverse le monde des arts avec une intensité particulière, en Europe et aux Etats-Unis, au début de l’année 1914. Partout, les arts contemporains se pensent et s’affirment sur le mode du conflit et de la rupture, de l’arasement du passé proche et de la conquête autoritaire d’un avenir à connotations utopiques. Cette pensée combattante est sensible aussi bien dans les beaux-arts que dans d’autres formes d’expression visuelle, de la photographie et du cinéma aux arts décoratifs et industriels et à toutes les technologies de l’image. Les pratiques sont concernées autant que dans les discours théoriques et critiques. Dans ce contexte, des phénomènes de fragmentation interne, entre groupes, tendances, inspirations mêmes, coexistent avec une visée universaliste, animée par un rêve d’abolition des frontières entre les arts et, plus radicalement, entre les visions du monde. La quête de croisements et d’interactions entre les langages de la philosophie, de la musique, de la danse, des arts visuels, de la littérature débouche sur le désir d’entremêler les temps et les lieux, les traditions culturelles et religieuses, et d’abolir les hiérarchies entre les formes d’expression. Autour des notions de « primitif », de « populaire », d’« enfantin », mais aussi de « technologique », de « rationnel », de « scientifique », un horizon psychologique et anthropologique commun paraît à portée de mains, pour mettre fin aux fractures entre les nations, voire entre les individus. Les rivalités n’en perdurent pas moins ; les consciences nationales continuent de s’aiguiser dans les champs de l’« avant-garde », pour s’assurer le magistère de l’avenir. Kandinsky, Russe vivant en Allemagne et exposant à l’occasion en France, fait de l’abstraction la grammaire intuitive d’une langue de « l’humanité » ; mais, tout en rendant hommage à Matisse ou à Delaunay, il dénonce aussi la « sensualité » de la tradition française.
Au mois d’août 1914, la violence concrète immédiate s’empare des destins individuels et les réoriente brutalement : étranger et ennemi, Kandinsky doit quitter l’Allemagne en hâte pour échapper à l’internement ; ses amis allemands du Cavalier Bleu rejoignent le front où August Macke est tué quelques semaines plus tard. A Paris, Guillaume Apollinaire, qui se préparait à faire une conférence à Berlin au mois de janvier 1915, se fait le porte-parole d’un patriotisme virulent et s’engage volontairement. Installé à Londres depuis 1910, le jeune Henri Gaudier-Brzeska passe de l’antimilitarisme à une poétique de la violence moderniste, dans les cercles proches d’Ezra Pound, avant de mourir dans les tranchées, lui aussi, en 1915. Rares sont ceux qui, comme Romain Rolland, Pierre-Jean Jouve, Maurice Loutreuil ou, plus brièvement, André Masson, choisissent l’exil en Suisse ou en Italie, terrains neutres, pour maintenir un discours pacifiste.
A l’occasion de ce colloque interdisciplinaire, on interrogera les relations complexes entre les arts visuels, au sens le plus large, et l’histoire, dans un moment où la crise de la conscience européenne se cristallise en catastrophe radicale. En s’en tenant strictement à une tranche temporelle précise, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1914, il s’agira de penser la situation intellectuelle et pratique de la création visuelle pendant les six premiers mois « ordinaires » de l’année, et de comprendre aussi précisément que possible la nature des prises de conscience provoquées par l’événement de la guerre ainsi que par les premiers combats. Les oeuvres et les objets, les orientations du goût et du marché, les discours critiques et théoriques seront explorés pour faire l’anatomie de ce qui s’est fracassé, dans les représentations occidentales, entre janvier et décembre 1914.
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Le colloque est organisé conjointement par le Centre allemand d'histoire de l'art/ Deutsches Forum für Kunstgeschichte, l’université de Paris Ouest – Nanterre – La Défense et l’Institut universitaire de France. Il se tiendra à Paris les 5 et 6 décembre 2013, à l’Institut national d’histoire de l’art et au Centre allemand d'histoire de l'art. Les communications orales, d’une durée de 25 minutes, seront en anglais ou en français. Elles porteront sur les cultures visuelles au sens le plus large, en Europe, dans le strict respect du cadre chronologique de l’année 1914.
Un titre provisoire et un résumé en anglais ou en français, d’une longueur maximale de 300 mots, ainsi qu’un curriculum vitae succinct doivent être adressés à Marine Branland colloque.arts1914@hotmail.fr, par voie électronique, sous forme d’un document unique, avant le 15 février 2013.
Comité scientifique et d’organisation :
Annette Becker (Institut universitaire de France, université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Andreas Beyer (Deutsches Forum für Kunstgeschichte)
Itzhak Goldberg (université Jean Monnet – Saint-Etienne)
Godehard Janzing (Deutsches Forum für Kunstgeschichte)
Rémi Labrusse (université Paris Ouest Nanterre La Défense)
International Conference
1914 : War And The Avant-Gardes
Call for Papers
With its origins in military vocabulary, the metaphor of the « avant-garde » ran through the art world with particular intensity at the beginning of 1914. In both Europe and the United States, contemporary arts tackled modes of conflict and rupture, the leveling of the recent past and the authoritarian conquest of a utopian future. This militant train of thought can be traced in the fine arts, as well as in other forms of visual expression, from photography and cinema to decorative arts, the arts of industry and other image technologies. These practices were as concerned with theoretical and critical discourse as they were with material production. In this context, the phenomenon of internal fragmentation – of groups, trends, inspirations – existed alongside an aim for universalism, driven by the dream of abolishing the boundaries between the arts and, more radically, between different world views. The quest for crossover and interaction between the languages of philosophy, music, dance, visual arts and literature led to the desire to interweave time and place, cultural and religious traditions, and to abolish the hierarchies between different forms of expression. Around the notions of “primitive”, “popular”, “infantile”, as well as “technological”, “rational” and “scientific”, a common psychological and anthropological horizon seemed within reach, to put an end to the fractures between nations, as well as individuals. Yet rivalries continued: national consciousness continued to sharpen in the field of the “avant-garde”, to ensure the mastery of the future. Kandinsky, a Russian living in Germany and exhibiting in France, made abstraction into the intuitive grammar of the language of “humanity”; but, in homage to Matisse or Delaunay, he also denounced the “sensuality” of the French tradition.
In August 1914, real and immediate violence seized individual destinies and brutally reoriented them: foreigner and enemy, Kandinsky was forced to flee Germany to evade internment; his German friends of the Blauer Reiter-group joined the frontline, where August Macke was killed only a few weeks later. In Paris, Guillaume Apollinaire, who was preparing to give a conference in Berlin in January 1915, became the spokesman for a virulent patriotism and immediately signed up to fight. The young Henri Gaudier-Brzeska, who had been living in London since 1910, moved from anti-militarism to a poetry of modernist violence in the circle of Ezra Pound, before dying in the trenches in 1915. Those such as Romain Rolland, Pierre-Jean Jouve, Maurice Loutreuil or, more briefly, André Masson who chose exile in neutral Switzerland or Italy to maintain their pacifist discourse were rare.
This interdisciplinary conference aims to interrogate the complex relations between the visual arts, in their largest sense, and history, at a moment where the European crisis of conscience crystallized into catastrophe. Restricting itself to strict temporal parameters – between 1st January and 31st December 1914 – it will explore the intellectual and practical circumstances of visual creation during the first six “ordinary” months of the year, whilst also seeking to understand as precisely as the possible the nature of the realizations provoked by the start of the war as well as by its first engagements. Works and objects, the orientation of taste and of the market, critical and theoretical discourse will be explored in order to dissect that which was shattered in western representation between January and December 1914.
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This conference is organized jointly by the "Centre allemand d'histoire de l'art"/ Deutsches Forum für Kunstgeschichte, l’université de Paris Ouest – Nanterre – La Défense and l’Institut universitaire de France. It will take place in Paris on 5th and 6th December 2013, at the Institut national d’histoire de l’art and the Deutsches Forum für Kunstgeschichte. Oral presentations, of twenty-five minutes in length, will be in French and English. They will address visual culture in Europe in its largest sense, within the strict parameters of the year 1914.
A provisional title and proposal in French or English, of no more than 300 words, should be sent, in one document along with a brief C.V., to Marine Branland colloque.arts1914@hotmail.fr, before 15 February 2013.
Organized by :
Annette Becker (Institut universitaire de France, université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Andreas Beyer (Deutsches Forum für Kunstgeschichte, Paris)
Itzhak Goldberg (université Jean Monnet – Saint-Etienne)
Godehard Janzing (Deutsches Forum für Kunstgeschichte, Paris)
Rémi Labrusse (université Paris Ouest Nanterre La Défense)