
"Musique et indicible dans l'imaginaire européen : Proposition de synthèse", par T. Picard (SFLGC-Vox Poetica)
Société française de littérature générale et comparée
Timothée Picard : Musique et indicible dans l'imaginaire européen : Proposition de synthèse
Timothée Picard
Université de Rennes 2, CELAM, groupe Phi
Il est un domaine qui, par le biais de l'exercice rhétorique de l'ekphrasis, semble particulièrement poser la question des possibilités et des limites du langage en général et de la littérature en particulier : celui de la « dicibilité » des arts. Avant toute chose, il est d'ailleurs légitime de se demander s'il existe en la matière une spécificité de l'art : une façon d'opposer résistance au langage qui soit propre à l'art, et qui, à ce titre, soit instructive. En effet : qu'est-ce qui distingue ce type particulier de mise au défi, de celui engendré par la description et la représentation – disons par exemple – d'une figue – pour reprendre la question fameuse de Ponge ?1 Question complexe, reliée à celle, tout aussi académique, et tout aussi abyssale, de la définition même de l'art. Nous ne nous risquerons pas sur ce terrain-là, et évoquerons simplement, en la matière, quatre caractéristiques fondamentales : l'intentionnalité ; la vision et représentation du monde –prise dans le sens le plus large du terme ; la communication –selon des moyens et des dispositifs qui lui sont propres ; enfin, un type de compréhension et d'expérience spécifiques : en l'occurrence, esthétique. Aucune de ces données ne définit à elle seule l'art, mais leur cumul permet de cerner grossièrement sa spécificité. Il permet aussi et surtout de voir en quoi celui-ci constitue un mode, sinon privilégié, du moins particulier de mise au défi du langage, pris de différentes manières entre le désir et l'impossibilité de dire. Le désir de dire est aiguisé par la complexité de l'expérience esthétique et, parfois, par l'intensité de l'émotion ; il est également augmenté par la reconnaissance des analogies de fonctionnement perceptibles entre art et langage. Quant à l'impossibilité de dire, nous verrons plus bas qu'elle résulte des différences de régimes sémiotiques et de l'irréductibilité de cette même expérience esthétique.
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