Questions de société
Nos enfants méritent mieux que cette farce (appel 12/05/09)

Nos enfants méritent mieux que cette farce (appel 12/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay

L'Humanité. Tribune libre , le 12 mai 2009

Nos enfants méritent mieux que cette farce Appel

Monsieur Darcos a-t-il entendu la clameur monter tout l'hiver desuniversités, des IUFM et des places publiques : « La réforme estmauvaise » ? Les concours sont finalement maintenus l'année prochainedans leur forme actuelle. Soulagement… Il était d'ailleurs devenuimpossible de bricoler dans la plus grande précipitation un nouveauconcours à quelques semaines de la rentrée. Mais si le ruban du cadeauest chatoyant, la ficelle apparaît bien vite un peu grosse : le paquetainsi emballé n'a pas changé, toujours une mastérisation de laformation et du recrutement des enseignants façon Darcos-Pécresse.Nous, membres actuels et anciens membres du jury de CAPESd'histoire-géographie, souvent préparateurs à ces concours ouformateurs des jeunes lauréats, ne pouvons nous taire devant une tellemise en danger de la formation et du recrutement des enseignants.

Le ministère veut imposer que les candidats aux concourss'inscrivent dans de nouveaux parcours ou masters métiers del'enseignement, dont les universités ont refusé de déposer lesmaquettes : en effet, selon une recette digne des plus grands« puddings », ces masters devraient accumuler concours, mémoires derecherche et stages – en deux ans. De tout, un peu et mal. Est-ce bienraisonnable ? Pourquoi utiliser le cheval de Troie des inscriptions auxconcours pour faire passer « en douce » ou plutôt en force, unemastérisation monstrueuse et dangereuse ? Pourquoi refuser de se donnerle temps et les moyens de penser une réforme constructive ? Laformation et le recrutement des enseignants méritent-ils tant deconfusion, de précipitation – de cynisme ?

L'important pour le ministère n'est pas la compétence, c'est lamaîtrise du cadre et des dépenses. Il a tenté de mettre les concours aumême pas : structure unique pour des métiers multiples, de lamaternelle à la terminale. S'il y a renoncé temporairement, il n'aaccordé aux concours actuels qu'un sursis d'un an, sans leur fairegrâce du carcan de cette mastérisation. Ainsi, le bourreau a décidéqu'en plus d'une préparation exigeante, les candidats devraientréaliser un mémoire de recherche et suivre des stages. Commentpourront-ils mener de front toutes ces tâches la même année ? S'agit-ilencore de formation et d'accomplissement intellectuel ou d'un régime dedouble, voire triple peine ? Les concours restent pourtant le moyen leplus égalitaire de recruter dans un cadre national des fonctionnairesd'État et de qualité. Et c'est bien là l'enjeu majeur. Ces masters ouparcours, que X. Darcos et V. Pécresse voudraient voir bricolés dans laplus grande hâte, préparent des cohortes d'étudiants reçus à desmasters sans valeur réelle mais « collés » à des concours. Quoi que lesbateleurs cherchent à faire accroire, cette réforme ne prépare pas lacirculation des étudiants et des diplômés en Europe, mais des viviersde contractuels mal formés, taillables et corvéables à merci par descommissions rectorales ou des établissements. Économie à courte vue quimet en péril l'école.

Enfin, après l'allongement de la durée des études d'un an, sansrémunération ni système satisfaisant de bourses, est-ce encore unepreuve d'amour que de supprimer le stage de formation alternée deslauréats des épreuves de CAPES ? Est-il raisonnable d'envisager desimples « compléments de formation » à l'entrée dans le métier desprofesseurs-stagiaires ? Quant à ceux qui auront échoué au concours,mais seront employables comme contractuels, il n'est rien prévu poureux. Souffrances, échecs et désarroi en perspective. L'économieréalisée justifie-t-elle de faire des élèves les cobayes de ces futursenseignants condamnés à l'apprentissage pédagogique sur le tas ? Qui nepeut voir que c'est toute l'école qui est en danger, de la maternelle àl'université ? Face aux effets d'annonce et aux écrans de fuméedéployés, force est de dénoncer cette stratégie de communicationgrossière, qui fait des contestataires des opposants de toujours auchangement. Faire évoluer les épreuves de CAPES : oui. Sanctionner lacompétence réelle des enseignants par un diplôme correspondant : oui.Revaloriser leur statut : oui. Mille fois oui. Mais dans laconcertation, pour assurer une formation de qualité, et non organiserla précarisation du métier d'enseignant, la rupture dans latransmission des savoirs, la dégradation de la formationprofessionnelle et le désengagement de l'État de ses missionsfondamentales de service public. Il n'est plus temps de tergiversermais de retirer ce funeste projet. C'est pourquoi nous, membres actuelset anciens membres du jury de CAPES d'histoire-géographie, demandons lemaintien des préparations et concours dans leurs conditionsd'inscriptions et calendriers actuels, le maintien d'une véritableannée de formation en alternance des fonctionnaires-stagiaires, pourconstruire collégialement une autre réforme.

Nos enfants méritent mieux que cette funeste farce.

(*) Signataires :

Joëlle Alazard (professeure en classe préparatoire, Lille), AnnieAllély (université du Maine), Marie-France Auzépy (universitéParis-VIII), Véronique Beaulande (université de Reims), Jérôme Bocquet(IUFM Centre Val-de-Loire université d'Orléans), Pierre-Yves Boillet(professeur à Marseille), Jean-Baptiste Bonnard (université de Caen),Damien Boquet (université d'Aix-Marseille-I), Sébastien Boulay(professeur en classe préparatoire, Vanves), Catherine Bustany-Leca(université de Caen), Philippe Buton (université de Reims), CarolineCalandras (professeure en classe préparatoire, Montpellier), NicolasCarrier (université Lyon-III), Alexis Charansonnet (université de Lyon-II), YvesCoativy (université de Brest), Dominique Comelli (IUFM de Polynésie),Bruno Comentale (université de Nantes), Olivier Compagnon (universitéParis-III-Institut des Hautes Études de l'Amérique latine), PatrickCorbet (université Nancy-II),Pierre Cosme (université Paris-I),Sébastien Cote (professeur en classe préparatoire Montpellier), OlivierDelmas (professeur, Bondy), Géraldine Djament-Tran (université deStrasbourg), Stéphane Durand, (université Montpellier-III), HenriEckert (IUFM de Martinique), Jean-Christophe Fichou (professeur,Brest), Anne- Marie Flambard Héricher (université de Rouen), ClaireFredj (université Paris Ouest-Nanterre-la Défense), Alban Gautier(université du littoral Côte d'Opale), Stéphanie Guédon (université deLimoges), Laurent Guichard (université Nancy-II), Typhaine Haziza(université de Caen-Basse-Normandie), Jean Kerhervé (université deBrest), François Kirbihler (université Nancy-II), ChristopheLastécouères (université Bordeaux-III), Corinne Le Gras (université deRouen), Adrien Lherm (université Paris-IV Sorbonne), Éric Limousin(université de Bretagne Sud), Aliocha Maldavsky (université ParisOuest-Nanterre), Jean-Jacques Mangin (professeur, Saint-Genis-Laval),Lucile Medina (université Montpellier-III), Didier Mendibil (IUFMCréteil-Paris-XII), Alain Messaoudi (École des hautes études ensciences sociales), Étienne Paquin (professeur en classe préparatoire,Nancy), Patrice Peveri (université Paris-VIII), Danièle Pingué(université de Franche-Comté), Jean-Louis Podvin (université dulittoral Côte d'Opale), Samuel Provost (université Nancy-II),Emmanuelle Retaillaud-Bajac (université de Tours), Sylvain Rode(université de Reims), François Saur, Pierre Sineux (université deCaen), Michel Solonel (IUFM Créteil-université Paris-XII), ChristianStein (université de Bourgogne), Marie-Albane de Suremain (IUFMCréteil- Paris-XII), Sylvie Thénault (chargée de rechercheCNRS-Paris-I), Nicolas Tran (université Rennes-II/EFR), Quoc Phong Tran(professeur en classe préparatoire, Prytanée National Militaire),Danielle Tucat, Sylvain Venayre (université Paris-I Panthéon-Sorbonne), Geneviève Verdo (université Paris-I Panthéon- Sorbonne),Ludovic Viallet (université Clermont-Ferrand-II), Jean-Paul Volle(université Paul-Valéry), Catherine Vuillermot (université deFranche-Comté).