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RETORS, Revue Expérimentale de Traduction

RETORS, Revue Expérimentale de Traduction

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Sarah Cillaire)

RETORS est né de la volonté de rendre accessibles des textes d'auteurs étrangers, restés inédits en français.

Texte original et traduction sont mis en miroirs, les deux versions formant ainsi un tout : le lecteur peut alors se référer au texte d'origine pour se laisser surprendre, comparer, se faire sa propre idée.

Comme toute traduction, notre démarche expérimentale n'en reste pas moins une réécriture, drainant avec elle son lot d'incertitudes et de trahisons.


N°1 - UTOPIE, IRONIE

Futurisme, rayonnisme, constructivisme, suprématisme, cubisme, surréalisme

Le monde comme poème, mot d'ordre du futurien Vélimir Khlebnikov. L'artiste affirme une force constructive : plutôt que de chercher à reproduire la réalité, il en crée désormais une nouvelle. Pour Khlebnikov, lecteur de Walt Whitman, le poète se fait prophète d'un monde qui n'existe pas, il est à même de préfigurer l'avenir et de percevoir au-delà du réel, dans une langue qu'il invente, les mouvements invisibles qui déterminent le cours du Temps. Le poème devient manifeste d'un nouveau langage qui unirait les poètes entre eux dans un cosmos idéalisé.

En Irlande, ce don visionnaire peut trouver sa source dans l'univers ésotérique des bardes celtiques, tel George William Russel, dit AE, qui fait également de sa poésie un rempart contre l'hégémonie culturelle de l'Angleterre.

Magnifié, hypertrophié, le Je du poète s'affranchit du principe d'identité : par l'écriture automatique, les Surréalistes libérèrent avec ironie une parole aliénée, au risque de l'excès et de la perte de sens. En réaction, les Créationnistes espagnols, dont fait partie Juan Larrea, réaffirment justement l'exigence linguistique que sous-tend l'écriture poétique.

Partout en Europe, face à la rigidité des idéologies, l'art tente d'imposer son autonomie à travers une vision dynamique de la réalité – onirique, subversive.

Volontairement provocante, surréelle, la poésie antiréaliste conserve néanmoins, à travers les nombreux archaïsmes qui l'émaillent, les stigmates du passé qu'elle choisit de recontextualiser. Ainsi, les villes du Serbe Marko Ristic, où se répand la Turpitude, sont le décor d'un monde ancien qui n'en finit pas de tomber en ruines. Suscitant à dessein la controverse, Ristic semble déplorer la léthargie culturelle de son pays, trop longtemps dominé.

Après sept ans de nazisme, la Wiener Gruppe entreprend elle aussi de rattraper le temps perdu : dans l'Autriche de l'après-guerre, la critique de la société viennoise passe alors par la déconstruction de la langue. Montages de texte, poèmes concrets, usage de dialecte, tout est bon pour « choquer le bourgeois » et briser les conventions, quelles qu'elles soient.

Dans un tout autre contexte, l'ironie de Zbigniew Herbert s'empare de motifs bibliques ou mythologiques afin de railler l'organisation politique de la Pologne des années 60:

Pour l'instant samedi à midi les sirènes hurlent doucement et des usines sortent les prolétaires bleu ciel qui portent gauchement sous leurs bras leurs ailes comme des violons Z. Herbert - Rapport sur le paradis - Extrait

Cette image idyllique renvoie à un des thèmes-clés de la poésie du XXe siècle : l'utopie. L'étymologie politique de ce terme s'actualise particulièrement dans le contexte du totalitarisme en Europe. Pour Herbert, la tentation utopique du poète est compromise par l'écart entre l'idéalisme marxiste et sa mise en pratique.

Sarah Cillaire
www.retors.net