 
                    Appel à contributions
Néologismes, genre et sexualités
Numéro thématique de la revue Neologica (2027), coordonné par Judit Freixa, Sabela Fernández-Silva et Christophe Gérard
Présentation
Depuis plusieurs décennies, les transformations sociales et culturelles liées aux questions de genre et des sexualités s’accompagnent d’une intense activité néologique. Les débats sur l’oppression des femmes et les dissidences de genre, sur la redéfinition des identités sexuelles et la reconnaissance de nouvelles formes de parenté ou d’affectivité se traduisent par une reconfiguration profonde du lexique. Ce renouvellement lexical n’est pas seulement un phénomène linguistique : il participe d’un mouvement politique, symbolique et idéologique où le lexique devient à la fois terrain de lutte et instrument de légitimation.
Ces néologismes, diffusés par les réseaux sociaux et les discours médiatiques, ont des origines diverses : militantisme féministe et LGBTQIA+, traductions d’anglicismes, pratiques artistiques ou encore recherches universitaires. Certains termes visent à nommer des réalités auparavant invisibles ou marginalisées (non-binaire, cisgenre, asexualité, transidentité et transitude), d’autres signalent des pratiques récentes (trouple, copain de lit, amimour et sex friend) ou singulières (fraysexuel, skoliosexuel), d’autres encore visent à remettre en question les normes linguistiques et sociales (iel, polyamour, relationship anarchy, sexopositif, amatonormativité, mansplaining, misogynoire). Ces innovations, qui se diffusent de manière inégale selon les communautés linguistiques et les types de discours, donnent lieu à des dynamiques complexes de circulation, d’appropriation et de résistance.
Ce numéro thématique de Neologica souhaite interroger ces phénomènes à la croisée de la linguistique, des études de genre et de la sociolinguistique. Comment les pratiques néologiques contribuent-elles à la construction et à la performativité des identités de genre et des nouvelles sexualités ? Plus précisément, de quelle manière le lexique sert-il de moyen de revendication pour les luttes féministes et LGTBQIA+ ? Quels sont les mécanismes de légitimation ou de délégitimation qui accompagnent l’entrée (ou non) de ces nouveaux termes dans les usages stabilisés ? Dans quelle mesure les langues, selon leurs structures morphologiques et leurs traditions normatives, accueillent-elles ou freinent-elles ces innovations ?
Par ailleurs, en quoi l’analyse des néologismes liés au genre et aux sexualités permet-elle de révéler des tensions entre prescriptivisme et créativité linguistique ? Les institutions normatives (comme les académies ou les dictionnaires de référence) réagissent en effet souvent avec retard ou réticence à ces changements, tandis que les usages numériques accélèrent leur diffusion et leur visibilité. Le web, les plateformes collaboratives et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la mise en circulation et la légitimation des formes alternatives, mais aussi dans la confrontation idéologique autour de ces formes.
Au-delà des aspects lexicaux, ce sujet touche aux représentations collectives : les mots nouveaux révèlent et façonnent des visions du monde. Nommer autrement, c’est rendre pensable ce qui ne l’était pas, mais aussi redéfinir les frontières entre catégories identitaires, sexuelles, politiques et discursives. Les néologismes du genre et des sexualités ouvrent ainsi un champ d’observation privilégié pour comprendre comment la langue évolue sous la pression du social et comment, en retour, les mots participent à transformer la société.
Axes de réflexion possibles
Les propositions pourront s’inscrire dans l’un ou plusieurs des axes suivants (liste non exhaustive) :
Création et diffusion des néologismes liés au genre et aux sexualités
Analyse des processus de formation lexicale (emprunt, dérivation, composition, siglaison, hybridation).
Observation des stratégies énonciatives (par ex. groupes militants, écrivains engagés) et des modes de diffusion des innovations lexicales (rôle des réseaux sociaux, des forums, des blogs, etc.).
Circulation translinguistique des nouvelles lexies (traduction, adaptation, résistance aux anglicismes).
Langue, identité et performativité
Rôle du lexique dans la construction identitaire et la visibilité des minorités.
Analyse discursive des usages néologiques dans des communautés spécifiques.
Approches intersectionnelles croisant genre, sexualité, race, classe et langue.
Normes linguistiques et politiques de la langue
Réactions institutionnelles et lexicographiques face aux innovations lexicales.
Idéologies linguistiques et tensions entre purisme et inclusion.
Dynamiques sociolinguistiques et médiatiques
Traitement des néologismes par les médias traditionnels (presse, TV, radio)
Interaction entre innovation lexicale, opinion publique et domaine politique.
Stratégies de contestation ou de réappropriation par les usagers (par ex. la contre-révolution masculiniste dans la “manosphère”, les communautés LGTBQIA+ dans les sites wikifandom, etc.)
Perspective diachronique et comparative
Histoire des mots du genre et de la sexualité dans différentes langues.
Comparaison entre espaces francophones et non francophones.
Évolution des représentations lexicales dans les discours politiques ou institutionnels.
Modalités de soumission
Les articles soumis comptent entre 25 000 et 40 000 caractères (*espaces comprises*). Ils peuvent être rédigés en français, anglais ou espagnol.
Ils doivent être accompagnés d’un résumé en français et en anglais (500 caractères maximum, espaces comprises).
Date limite d’envoi des articles à judit.freixa@upf.edu ou sabela.fernandez@pucv.cl : 15 mai 2026
Retour des évaluations sur les articles : 15 septembre 2026
Remise des articles définitifs après navettes : 31 janvier 2027
Parution : juin 2027
Bibliographie
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