Arts du spectacle et diasporas dans le monde : créations, circulations et identités en mouvement
Appel à contributions pour un ouvrage collectif
Arts du spectacle et diasporas dans le monde : créations, circulations et identités en mouvement
Publication en marge de la 28ème édition du Festival International du Théâtre Universitaire
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Ibn Zohr-Agadir (MAROC) du 22 au 25 avril 2026
À l’occasion de sa 28ᵉ édition, le Festival International du Théâtre Universitaire d’Agadir (FITUA) lance un appel à contribution pour un ouvrage scientifique consacré au thème : « Arts du spectacle et diasporas dans le monde : créations, circulations et identités en mouvement ». Organisé en partenariat avec l’Université Bordeaux-Montaigne, cet appel s’inscrit dans une démarche de réflexion approfondie autour des dynamiques artistiques, culturelles et identitaires qui traversent les pratiques scéniques en contexte diasporique.
La diaspora est un terme polysémique qui fait, encore aujourd’hui, l’objet de débats théoriques importants. Il désigne, dans son acception politico-sociologique, la dispersion géographique de groupes ethniques qui, contraints de vivre séparés de leur communauté d’origine, développent des liens avec leur patrie et doivent négocier leur identité au sein de sociétés différentes (Sheffer, 1986). Toutefois, selon les chercheurs, la définition varie : certains insistent sur la perte traumatique du territoire comme préalable (Lacoste, 1990), tandis que d’autres élargissent la notion aux minorités d’ascendance immigrée, conscientes de leur identité ethnique et organisées politiquement ou religieusement, tout en maintenant des liens transnationaux avec le pays d’origine (Schefer, 2002 ; Esman, 1994 ; Bruneau & Simon, 2001). Yves Lacoste, par exemple, réserve l’expression de “vraie diaspora” aux phénomènes d’exode massif et politique, avec impossibilité de retour (Lacoste, 1990), alors que des conceptions plus contemporaines tiennent compte des mobilités et circulations liées à la mondialisation (Clifford, 1994). Des recherches récentes explorent encore les « nouvelles diasporas », caractérisées par des migrations plus fluides, des circulations culturelles transnationales et des mobilités économiques ou étudiantes, ainsi que les politiques d’engagement des États d’origine et les médiations culturelles des exilés (Neff et al., 2021 ; Arkilic, 2020 ; Almenara‑Niebla & Peraldi‑Mittelette, 2023).
Dans le domaine des arts vivants en général et des arts du spectacle en particulier, la création diasporique ne se réduit pas au seul déplacement géographique de ses acteurs et actrices, mais elle constitue un espace de circulation culturelle et mémorielle, un lieu de construction identitaire et de création transnationale. Théâtre, danse et performance deviennent des moyens d’exprimer les tensions entre héritage et modernité, mémoire et innovation, ici et ailleurs.
Les mobilités humaines, qu’elles soient provoquées par la colonisation, la guerre, l’exil économique ou le désir d’ailleurs, ont profondément reconfiguré les paysages culturels contemporains. Les diasporas ne sont pas de simples communautés dispersées : elles constituent des espaces dynamiques de circulation, de mémoire et de création. Comme l’écrit Stuart Hall, l’identité diasporique n’est pas une essence perdue qu’il s’agirait de retrouver, mais un processus en devenir, une tension permanente entre le passé et le présent, entre l’ici et l’ailleurs (Hall, 1990).
Dans ces scènes diasporiques, le corps devient une archive vivante (Taylor, 2003), un territoire où se croisent héritages et blessures de l’histoire. L’artiste n’y représente pas seulement son identité : il la performativise, la transforme et la déplace. Les créations scéniques diasporiques, qu’elles soient africaines, caribéennes, maghrébines, asiatiques ou sud-américain, ne se définissent pas uniquement par l’exil mais par la création dans le mouvement. Elles représentent ce que Paul Gilroy appelle une “culture en circulation” (The Black Atlantic, 1993), traversée par les échanges, les hybridations et les retours.
Cette dynamique se retrouve dans le parcours du metteur en scène burkinabé Hassane Kouyaté qui réside en France. Héritier d’une lignée de griots, il tisse la parole traditionnelle mandingue avec des formes théâtrales modernes. Il réinvente le griot comme passeur transnational, faisant de la scène un espace de mémoire partagée et de création interculturelle. De la même manière, Wajdi Mouawad, dramaturge libanais, passé par le Canada avant de s’installer en France, transforme, quant à lui, la mémoire de la guerre civile et de l’exil en matière poétique dans Incendies et Forêts, où la transmission du trauma se déploie dans une dramaturgie de la filiation et de la révélation.
Les diasporas africaines et caribéennes investissent également la danse et le théâtre comme espaces de résistance et de visibilité. Dieudonné Niangouna, dramaturge et metteur en scène congolais, explore dans ses créations la mémoire coloniale, les violences contemporaines et les fractures sociales (Niangouna, 2015‑2020). Son théâtre, traversé par la parole, la musique et le mouvement, fait du corps et de la scène des vecteurs de mémoire et de reconstruction. Dorothée Munyaneza, née au Rwanda et installée en France, mêle chant, parole et mouvement pour transformer la douleur du génocide en puissance créatrice (Munayaneza, 2021). Dans un registre urbain, le chorégraphe Kader Attou, franco‑algérien, utilise le hip-hop comme langage universel, mêlant gestuelles urbaines, influences africaines et danses contemporaines (Attou, 2015), tandis que Fouad Boussouf, chorégraphe franco-marocain, explore la mémoire collective et la ritualité du mouvement, entre danse traditionnelle et culture urbaine (Boussouf, 2018‑2020).
Les diasporas sud-américaines témoignent de la circulation et de la mémoire politique dans le théâtre contemporain. Benito Gutmacher, acteur et metteur en scène argentin vivant à Freiburg (Allemagne) depuis 1981, illustre la manière dont la diaspora sud-américaine s’installe durablement en Europe tout en poursuivant une création innovante et interculturelle. Ses spectacles, mêlant théâtre physique, performance et pédagogie, explorent la mémoire, l’identité et les enjeux sociaux de la migration (Gutmacher, 2019).
À travers ces trajectoires multiples, les arts du spectacle apparaissent comme de véritables laboratoires de la mondialité (Glissant, 1990). Ils expérimentent la relation, la créolisation et la rencontre des imaginaires. Le théâtre et la danse diasporiques ne se contentent pas de refléter le monde migratoire : ils en proposent une traduction esthétique et sensible, où les langues se mêlent, les rythmes se répondent et les gestes se contaminent. L’artiste diasporique devient alors un passeur, inventant une scène du lien plutôt qu’une scène de la perte. Ces créations demeurent toutefois traversées par des tensions : reconnaissance institutionnelle fragile, exotisation, hiérarchisation culturelle ou économie de la visibilité (Ahmed, 2004). En réponse, émergent des espaces alternatifs, tels que des festivals indépendants ou des plateformes numériques, qui permettent à la parole diasporique de circuler plus librement. L’essor du numérique amplifie cette dynamique transnationale : artistes comme Boussouf, Munyaneza, Mroué, Saneh ou Niangouna diffusent leurs œuvres au-delà des frontières physiques, participant à la constitution de « diasporas connectées » où mémoire, création et circulation s’entrelacent.
Penser les arts du spectacle à l’aune des diasporas, c’est ainsi interroger la mobilité, l’interculturalité, l’hybridité et le métissage comme conditions mêmes de la création contemporaine. Ces scènes ne se bornent pas à représenter le monde : elles le redessinent dans une géographie sensible et relationnelle. Dans les gestes, les voix et les silences des artistes diasporiques, se joue la possibilité d’un monde commun — un monde où l’exil devient horizon créatif, où la mémoire se danse et se dit, et où la scène demeure un lieu fragile mais essentiel de rencontre et de réinvention.
Dans cette perspective, l’ouvrage souhaiterait s’inscrire dans une ouverture résolument mondiale. Il privilégierait la comparaison et le dialogue entre les expériences issues de différentes diasporas, plutôt que de se concentrer sur une aire géographique unique. Cette orientation viserait à mettre en regard la diversité des formes artistiques, des récits et des pratiques nées de contextes migratoires variés, tout en révélant les points de convergence qui les traversent.
Dans le même esprit, l’ouvrage entendrait encourager une interdisciplinarité féconde, en croisant les approches des études théâtrales, de la sociologie, des études postcoloniales, de l’anthropologie, de la littérature comparée et des arts de la scène. Enfin, il se voudrait un véritable laboratoire d’idées pour l’avenir : un espace de réflexion partagée où se rencontreraient la recherche, la création et les politiques culturelles. En favorisant la circulation des savoirs et des pratiques, cette rencontre souhaiterait nourrir une pensée critique de la mobilité, de l’hybridité et de la création, tout en esquissant de nouvelles manières d’appréhender la scène diasporique dans sa dimension mondiale, relationnelle et en perpétuel mouvement.
Plusieurs axes de réflexion peuvent être suggérés :
Les propositions d’articles pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants (d’autres axes peuvent néanmoins être proposés s’ils s’inscrivent dans le thème général du colloque) :
Mémoires et archives vivantes : Comment le théâtre et la danse diasporiques transforment-ils le corps, la voix et le geste en archives de l’histoire individuelle et collective ? Quels dispositifs scéniques permettent de rendre visibles les mémoires enfouies ?
Création transnationale et hybridation esthétique : Comment les artistes diasporiques composent-ils des formes hybrides mêlant héritages culturels et innovations contemporaines ? Comment la circulation des imaginaires nourrit-elle l’invention artistique ?
Performativité de l’identité et espace de lien : Comment la scène permet-elle de négocier les tensions entre ancrage culturel et mobilité, entre héritage et modernité ? Quels sont les effets politiques et sociaux de cette performativité sur les communautés diasporiques et le public ?
Technologies, plateformes et diasporas connectées : Quel rôle jouent les réseaux numériques et les nouvelles formes de diffusion dans la circulation des œuvres diasporiques ? Comment ces outils transforment-ils les rapports à l’espace, au temps et à la communauté artistique ?
Politiques de reconnaissance et économie de la visibilité : Quels enjeux soulèvent la médiation institutionnelle et les circuits de diffusion pour les artistes diasporiques ? Comment concilier reconnaissance, autonomie artistique et représentations stéréotypées ?
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Bibliographie
Notion / diaspora
Sheffer, Gabriel. Diaspora Politics: At Home Abroad. Cambridge University Press, 1986.
Lacoste, Yves. La géopolitique des diasporas. Paris : Editions Complexe, 1990.
Schefer, Gabriel. Les diasporas dans le monde contemporain. Presses Universitaires de France, 2002.
Esman, Milton J. Ethnic Politics. Cornell University Press, 1994.
Bruneau, Michel & Simon, Gildas. Diasporas et mondialisation. Paris : L’Harmattan, 2001.
Clifford, James. “Diasporas.” Cultural Anthropology, vol. 9, no. 3, 1994.
Neff, M. A., Cowden, R. G., Masilela, L. & Counted, V. “Religion, Migration and the New African Diaspora: A Psychological Perspective.” Journal for the Academic Study of Religion, Vol. 34 No. 3 (2021/2022).
Arkilic, Ayca. “Explaining the evolution of Turkey’s diaspora engagement policy: a holistic approach.” Diaspora Studies, Vol. 13, 2020.
Almenara‑Niebla, Silvia & Peraldi‑Mittelette, Pierre. “Mediating exiles: Saharan and Sahelian Diasporas in Europe.” L’Ouest Saharien, Vol. 18 (2023/1).
Arts du spectacle et diasporas
Ahmed, Sara. The Cultural Politics of Emotion. Routledge, 2004.
Appadurai, Arjun. Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization. University of Minnesota Press, 1996.
Bhabha, Homi K. The Location of Culture. Routledge, 1994.
Gilroy, Paul. The Black Atlantic: Modernity and Double Consciousness. Harvard University Press, 1993.
Glissant, Édouard. Poétique de la Relation. Gallimard, 1990.
Hall, Stuart. “Cultural Identity and Diaspora.” In Identity: Community, Culture, Difference, Lawrence & Wishart, 1990.
Taylor, Diana. The Archive and the Repertoire: Performing Cultural Memory in the Americas. Duke University Press, 2003.
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Soumission de la candidature et délais
Les chercheurs et doctorants relevant des sciences humaines et sociales, de l’histoire de l’art, des études théâtrales et des arts du spectacle, ainsi que de tout champ disciplinaire susceptible d’éclairer les enjeux du colloque « Arts du spectacle et diasporas dans le monde : créations, circulations et identités en mouvement », sont invités à soumettre leurs propositions avant le 30 janvier 2026 aux adresses suivantes :
Omar.Fertat@u-bordeaux-montaigne.fr.
Les auteurs sont invités à soumettre une proposition de chapitre d’ouvrage contenant les informations suivantes :
Nom de l’auteur et affiliation ;
Mots-clés (3 à 5) ;
Proposition de chapitre (entre 1500 et 2000 mots), incluant une problématique, une présentation du sujet traité, références bibliographiques ;
Coordonnées de l’auteur
Les propositions peuvent être soumises en français, en arabe, en anglais ou en espagnol. Les contributions soumises par des étudiants ou des chercheurs émergents sont encouragées.
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Calendrier
18/11/2025 Lancement de l’appel à contribution
30/01/2026 Date limite pour la soumission d’une proposition d’article
15/02/2020 Notification aux auteurs de l’acception de leur proposition
23/04 2026 Publication et lancement de l’ouvrage (conférence publique)
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Comité scientifique
· Abdelmajid AZOUINE, (Université Mohamed V, Rabat)
· Abderrahmane BELAAICHI (Université Ibn Zohr – Agadir, Maroc)
· Annamaria BIANCO (Université Aix-Marseille, IREMAM - France).
· Azze-Edine BOUNIT (Université Ibn Zohr – Agadir, Maroc)
· Mahmoud CHAHDI (ISADAC – Rabat, Maroc)
· Issam EL YOUSSEFI (ISADAC – Rabat, Maroc)
· Omar FERTAT (Université Bordeaux-Montaigne – France)
· Pierre KATUSZEWSKI (Université Bordeaux-Montaigne – France)
· Zohra MAKACH (Université Ibn Zohr – Agadir, Maroc)
· Rachid MOUNTASSAR (Faculté des Sciences de l'Éducation -Université Mohammed V- Rabat, Maroc)
· Monica RUOCCO (Università degli Studi di Napoli "L'Orientale" – Naples, Italie)
· Ons TRABELSI (Université de Nancy – France)
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Direction de l’ouvrage
• Zohra MAKACH
(Faculté des Lettres et des Sciences Humaines- Université Ibn Zohr-Agadir-Maroc)
• Omar FERTAT
(Université Bordeaux-Montaigne-France)
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Adresse : Faculté des Lettres et des Sciences Humaines BP 29/S 80000 Agadir-Maroc