Appel à communication pour un Colloque international
Discours et valeurs. Au nom de quoi agissons-nous ?
24 – 26 juin 2026
Ancien Collège, Montauban
sous le patronage de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban
La référence aux valeurs et le recours souvent incantatoire à ces dernières ont longtemps été sous-estimés, perçus comme liés à un moralisme dépassé, voire conservateur, et comme peu compatibles avec un monde moderne où prédomine l’efficacité technique. Cependant, au tournant du XXIe siècle, on voit émerger un nouvel intérêt pour les sujets touchant l’éthique. Avec la multiplication des débats de société (comme ceux sur la fin de vie ou sur l’expansion de l’intelligence artificielle), la question des valeurs occupe une place de plus en plus significative dans les discours médiatiques et politiques. Par ailleurs, sur le plan scientifique, elle donne lieu à un nombre croissant de travaux en sciences humaines et sociales. Ceux-ci concernent en particulier les domaines de la philosophie (Meyer 2008, Billier 2010), de la sociologie (Reszohazy 2006, Heinich 2017) et des sciences du langage (Paveau 2013, Guerrini 2019 et 2022, Koren 2019).
À travers ses différents usages, la notion de valeur n’est pas dépourvue d’ambiguïté. D’une part, elle constitue un concept polysémique dont les acceptions varient selon ses emplois en linguistique, en esthétique, en économie ou dans le langage publicitaire. D’autre part, les valeurs sont multiples et hétérogènes, ce qui explique la diversité de leurs classements : valeurs descriptives/modales (Greimas & Courtés 1979), valeurs universelles/circonstancielles (Angenot 1982), valeurs abstraites/concrètes (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1988), valeurs d’usage/symboliques (Adam & Bonhomme 2012)… De plus, leur nature polymorphe les rend difficiles à définir. Elles sont vues tantôt comme des « figures du désirable » (Resweber 1992 : 17), tantôt comme « les repères moraux admis par une société » (Robrieux 2000 : 155), tantôt comme « les lieux communs implicites ultimes de nos jugements » (Meyer 2008 : 193).
On peut néanmoins dégager trois constantes qui leur sont attachées :
1) Les valeurs caractérisent les normes plus ou moins idéalisées qui sont partagées par une communauté et auxquelles les individus peuvent s’identifier ou non. En cela, elles entretiennent des relations étroites avec les imaginaires sociaux, les idéologies et plus généralement la culture.
2) Les valeurs sont nécessairement différentielles, c’est-à-dire hiérarchisées par rapport aux autres valeurs entrant dans le même système qu’elles ou aux antivaleurs auxquelles elles s’opposent.
3) Les valeurs sont sémiologiquement complexes. Elles sont évaluatives quant à l’orientation positive qu’elles donnent à une réalité donnée. Mais elles mettent aussi en jeu des procédures affectives (attraction, euphorie) et actantielles (quête, adhésion) vis-à-vis de cette réalité. Sous ce dernier aspect, elles apparaissent davantage comme « des sources d’énergie dynamiques » (Koren 2019 : 48) régulant nos actes que comme des entités immuables. On entre de la sorte dans le champ de la raison pratique qui est celui de l’interaction entre le jugement de valeur et le passage à l’action.
L’objectif de ce colloque est d’approfondir la mise en discours des valeurs dans des corpus représentatifs, qu’ils soient médiatiques, politiques, littéraires ou juridiques. Que l’on s’intéresse aux valeurs éthiques (comme le bien et le mérite), philosophiques (le vrai, le juste), sociétales (à l’exemple de l’égalité ou du progrès), existentielles (la vie, la santé), esthétiques (le beau, le sublime) ou autres, il s’agira d’analyser comment elles engendrent une axiologisation des productions écrites et orales, tout en leur conférant des motivations ou des « bonnes raisons » (Boudon 2004 : 25) qui les rendent à la fois pertinentes et convaincantes dans leurs contextes de communication. Les axes d’étude suivants pourront être privilégiés :
- Les modes de textualisation des valeurs. Ceux-ci tiennent au rôle qu’elles jouent dans le déploiement du discours (prémisses, étayage ou cible), à leur degré d’actualisation (mise en avant/mise en retrait), à leur organisation en réseaux ou non. En outre, elles mobilisent souvent une importante activité figurale (métaphores, symboles, hypotyposes…).
- L’énonciation des valeurs. Celle-ci accorde une place centrale à la subjectivité langagière (Kerbrat-Orecchioni 1980), à la confrontation des points de vue et à la prise en charge des locuteurs (Rabatel 2011). Il sera également judicieux de s’interroger sur l’engagement éthique et sur la responsabilisation de ces derniers à travers les jugements de valeur qu’ils émettent dans leurs discours.
- Le fonctionnement argumentatif des valeurs. Il a été mis en évidence par Perelman et Olbrechts-Tyteca (1988) pour lesquels les valeurs fonctionnent comme des objets d’accord renforçant l’adhésion des allocutaires au discours produit. Plus largement, qu’elles se manifestent au moyen d’arguments rationnels ou impressifs, elles déterminent l’orientation argumentative des discours dans un sens favorable, tout en alimentant leur dispositif rhétorique (justification, explication, négociation).
- Les rapports entre valeurs et genres discursifs. Certains genres sont profondément imprégnés par les valeurs, à l’image des genres gnomiques (proverbes, sentences) ou des genres doxologiques à visée persuasive (propagande, publicité). À cet égard, le genre épidictique de l’éloge (célébrations officielles, panégyriques, oraisons funèbres) mériterait un examen spécifique, à travers son discours de mobilisation et de communion autour de valeurs consensuelles. Ou encore, la place des valeurs dans les discours mémoriels (Stora 2020), avec les tensions qui en découlent, pourrait nourrir des analyses particulières.
- La mise en cause des valeurs. D’un côté, il arrive que le recours aux valeurs soit perçu comme manipulatoire, du fait de leur caractère contraignant et catégorique qui limite les capacités de jugement (Bellenger 1988). D’un autre côté, les valeurs sont fréquemment contestées lors de débats polémiques, surtout quand elles portent sur des sujets sensibles (immigration, législation de la drogue…). Des études de cas sur les conflits de valeurs et sur leurs stratégies de disqualification de l’adversaire dans le cadre des genres agoniques (pamphlet, satire) seront les bienvenues.
S’adressant aux chercheurs/euses en linguistique, en littérature, en sciences de la communication et en traductologie, mais également aux philosophes, aux sociologues, aux politologues et aux juristes, ce colloque entend ainsi questionner la vaste problématique de la subjectivité évaluative des discours à l’aune de ses modes d’expression. Il voudrait aussi contribuer à la réhabilitation de la logique axiologique des valeurs, en montrant comment elles modèlent nos productions verbales, même lorsque celles-ci paraissent désengagées.
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Éléments bibliographiques
Adam, Jean-Michel et Marc Bonhomme, L’Argumentation publicitaire, Paris, Armand Colin, 2012 (1997).
Amossy, Ruth, L’Argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées, fiction, Paris, Nathan, 2000.
Angenot, Marc, La Parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
Bellenger, Lionel, L’Argumentation, principes et méthodes, Paris, ESF, 1988.
Biglari, Amir (éd.), Valeurs. Aux fondements de la sémiotique, Paris, L’Harmattan, 2015.
Billier, Jean-Cassien, Introduction à l’éthique, Paris, PUF, 2010.
Boudon, Raymond, Raison, bonnes raisons, Paris, PUF, 2004.
Charaudeau, Patrick, La Conquête du pouvoir. Opinion, persuasion, valeurs, les discours d’une nouvelle donne politique, Paris, L’Harmattan, 2013.
Dominicy, Marc et Madeleine Frédéric (éds), La Mise en scène des valeurs. La rhétorique de l’éloge et du blâme, Lausanne/Paris, Delachaux et Niestlé, 2001.
Galatanu, Olga, « La dimension axiologique de l’argumentation », in Marion Carel (dir.), Les Facettes du dire. Hommage à Oswald Ducrot, Paris, Kimé, 2002.
Greimas, Algirdas Julien et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979.
Guerrini, Jean-Claude, Les Valeurs dans l’argumentation. L’héritage de Chaïm Perelman, Paris, Classiques Garnier, 2019.
Guerrini, Jean-Claude, Conflits de valeurs et corrida. Une étude argumentative de la controverse, Paris, L’Harmattan, 2022.
Heinich, Nathalie, Des valeurs. Une approche sociologique, Paris, Gallimard, 2017.
Kerbrat-Orecchioni, Catherine, L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1980.
Koren, Roselyne, Rhétorique et éthique. Du jugement de valeur, Paris, Classiques Garnier, 2019.
Koren, Roselyne, Les Enjeux éthiques de l’écriture de presse et la mise en mots du terrorisme, Paris, L’Harmattan, 1996.
Meyer, Michel, Principia Rhetorica, Paris, Fayard, 2008.
Paveau, Marie-Anne, Langage et morale. Une éthique des vertus discursives, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2013.
Perelman, Chaïm et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1988 (1958).
Plantin, Christian, Dictionnaire de l’argumentation, Lyon, ENS Éditions, 2016.
Rabatel, Alain, « Des conflits de valeurs et de points de vue en discours », Semen, n° 32, 2011, 55-72.
Resweber, Jean-Paul, La Philosophie des valeurs, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1992.
Reszohazy, Rudolf, Sociologie des valeurs, Paris, Armand Colin, 2006.
Robrieux, Jean-Jacques, Rhétorique et argumentation, Paris, Armand Colin, 2000.
Stora, Benjamin, La Guerre des mémoires, Paris, L’Aube, 2020.
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Modalités pratiques
Lieu et date : Montauban, Ancien Collège, du 24 au 26 juin 2026.
Les propositions de communication, d’une longueur de 300 à 400 mots, doivent être envoyées avant le 31 janvier 2026 conjointement aux adresses suivantes :
Les notifications d’acceptation seront envoyées aux participant/e/s avant le 15 février 2026. L’ensemble des conférences aura lieu en présentiel.
Les frais d’inscription sont de 50 euros (réservation de la salle de conférence, pauses café, frais d’impression).
La publication d’un ouvrage collectif est prévue. Des précisions sur ce point viendront par la suite.
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Responsables du colloque :
Michael Rinn, Professeur, Université de Bretagne Occidentale, HCTI UR4249, Brest.
Marc Bonhomme, Professeur émérite, Université de Berne, Suisse.
Robert d’Artois, Président de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban.
Pierre Marillaud, Inspecteur d’Académie honoraire, ancien chercheur associé à l’Université Jean Jaurès (Toulouse), membre de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban.
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Comité d’organisation :
Ali Alghannami (Université de Bretagne Occidentale, France / Université de Mossoul, Irak, HCTI UR4249)
Christophe Cosker (Université de Bretagne Occidentale, HCTI UR4249 France)
Pierre Chartier (LT2D – UR7518 CY Cergy Paris Université, France)
Maïthé Pilon (citoyenne de Montauban)
Alain Visentini (Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Montauban, France)
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Comité scientifique :
Ruth Amossy (Université de Tel Aviv, Israël)
Dorota Antoniewska-Lajus (Université Nicolas Copernic de Torun, Pologne)
Patrick Charaudeau (Université de Paris-Nord, France)
Jean-Claude Guerrini (Université de Lyon, France)
Margareta Kastberg Sjöblom (Université de Franche-Comté, France)
Roselyne Koren (Université Bar-Ilan, Israël)
Alice Krieg-Planque (Université Paris-Est Créteil, France)
Montserrat López Diaz (Université de Saint-Jacques de Compostelle, Espagne)
Paola Paissa (Université de Turin, Italie)
Ndiémé Sow (Université Amadou Mahtar Mbow, Dakar, Sénégal)
Alain Rabatel (Université de Lyon 1, France)
Agnieszka Woch (Université de Lodz, Pologne)