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Charles Péguy, la paix et la guerre. Éternels dilemmes (ENS Paris)

Charles Péguy, la paix et la guerre. Éternels dilemmes (ENS Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Eric Thiers, président de l'Amitié Charles Péguy)

Charles Péguy : la paix et la guerre. 

Éternels dilemmes

Colloque organisé par l’Amitié Charles Péguy

à l’Ecole normale supérieure (45, rue d’Ulm, Paris Ve)

Samedi 24 janvier 2026 (9h-18h)

Pour reprendre les termes de Charles Péguy dans Notre jeunesse en 1910, nous avons quitté une période – plaine historique – pour entrer dans une époque, faite de reliefs, frappée par l’événement, au moment où la dimension tragique de l’Histoire se révèle à nouveau sur le continent européen. L’événement en question est le retour de la guerre à l’Est, et peut-être demain généralisée. « L’événement est sur nous. Il a le pas et le poil d’une bête quaternaire », comme l’écrivait Jules Romains. Comment y faire face sans chercher à le penser ?

Lovés dans notre confort occidental, nous sommes à nouveau confrontés aux grandes questions historiques : la paix ou la guerre, la démocratie ou la dictature, le dialogue ou la violence. Questions éternelles qu’on espérait écartées et qui nous rattrapent avec gravité sous la forme de dilemmes. Comment résister ? Pour qui et pour quoi ? La paix à tout prix ? La guerre avec ou sans limites ? 

Toute la vie et l’œuvre de Péguy est marquée et même bornée par la guerre. Fils de la défaite de 1870, mort au champ d’honneur en 1914, il appartient à cette génération qui connut plus de quarante années de paix avant de subir le premier grand massacre du XXe siècle. Par sa mort à la tête de ses hommes, dans les prémices de la Bataille de la Marne, Péguy est devenu l’archétype ambigu du poète soldat. A la lecture des vers de Eve (1913), de ces béatitudes qu’on a voulu prophétiques – « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, / Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. » – on a pu penser que Péguy appelait de ses vœux une guerre purificatrice, qui in fine donnait du sens à une existence, individuelle – la sienne – et collective – celle de la nation. 

Pourtant le rapport de Péguy à la guerre et à la paix – car l’un et l’autre vont nécessairement de pair – est loin d’être aussi linéaire. Ambivalences, évolutions, fantasmes, le rapport de Péguy à la guerre mérite d’être revisité non seulement pour aller plus loin dans la compréhension de notre auteur mais aussi pour nous aider à saisir l’événement qui vient de faire ressurgir une mémoire engloutie. 

Parce que patriote voire nationaliste, selon la portée qu’on donne à ce terme, Péguy a pu passer pour belliciste avant-guerre. Comme le soulignait en son temps Françoise Gerbod, son vocabulaire martial a pu contribuer à ancrer cette idée dans les esprits. Péguy, le polémiste et militant, guerrier et militaire, bataille sans cesse, affûtant ses mots comme des traits. On a pu en faire un revanchard ce qui est simpliste et excessif. Il est pourtant vrai qu’à partir de 1905 et du Coup de Tanger, il voit venir la menace allemande et la guerre comme inexorable. L’appelle-t-il de ses vœux ? Le débat est ouvert et mérite de se tenir. 

Mais de quelle guerre s’agit-il ? Une guerre de conquête et de domination ? Il paraît la craindre mais au contraire, plutôt du côté allemand et de la doctrine pangermaniste. Une guerre défensive, patriotique ? Sans doute a-t-il cela en tête lorsqu’il exalte les Soldats de l’an II, remobilisant un imaginaire révolutionnaire et républicain dans un contexte social et politique qui lui fait la part belle dans la France de l’époque. 

Mobilisé intellectuellement, le fantassin Péguy, officier de réserve, monte la garde. Il est la sentinelle intranquille qui veille et dénonce ceux qui sont pour lui les défaitistes. Jaurès en est pour lui le symbole. Il l’éreinte page après page, s’oppose à son supposé irénisme, en particulier lors du débat sur la loi des trois ans de service militaire. D’autres font les frais de cette colère comme Francis de Pressensé, Président de la Ligue des droits de l’homme, fervent partisan de la paix par les droits de l’homme. « Le droit ne fait pas la paix, il fait la guerre », écrit Péguy en 1913. Formule lapidaire qui mériterait qu’on y revienne. 

La patrie tient ici une place essentielle. « Honneur et Patrie », devise de la Légion d’honneur depuis 1802, brodée sur le drapeau de nos armées, flanquant les vaisseaux de la Marine, telle pourrait bien être aussi la résolution ultime de Péguy. L’honneur cornélien, celui du héros, chevaleresque de l’ancien Régime et la patrie révolutionnaire qui appelle à sa défense. On doit sauver l’un et l’autre et se sacrifier pour eux. Mourir pour son père, comme le Cid. Mourir pour la terre des pères comme Péguy. Il y a là matière à cette synthèse historique qui illustre la mystique française, dont le point ultime est la République, notre royaume de France. De grandes figures guerrières peuplant le Panthéon péguyste établissent cette continuité. Jeanne d’Arc au premier rang. Sainte Geneviève aussi, protectrice, qui écarte l’ennemi.

Pourtant quand Péguy part au front il lance à Geneviève Favre : « Grande amie, je pars soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres. » Le moins que l’on puisse dire c’est que ni l’un ni l’autre n’arriva. Et la Seconde Guerre mondiale fut pire encore. Le prophétique Péguy s’était-il trompé quand il pensait qu’une guerre de héros et d’honneur était possible alors que le massacre sera totalement moderne, concentrant tout ce que l’inhumanité pouvait faire de pire, des tranchées au génocide arménien ? Péguy se faisait une certaine idée de la guerre comme d’autres, péguystes aussi, se sont faits une certaine idée de la France. 

Ainsi sont posés les termes du débat. Entre la juste guerre et l’injuste paix, ou l’injuste guerre et la juste paix, nous devons nous préparer. Péguy une fois de plus peut nous y aider, avec lucidité, courage et responsabilité.  

Les lignes de force indiquées ci‑dessus ne sont pas exclusives, et nous encourageons la variété des approches, en particulier dans une perspective interdisciplinaire. Les propositions d’intervention (2000 signes environ) accompagnées d’une courte notice biobibliographique sont à faire parvenir à edecernieres@gmail.com avant le 6 novembre 2025.