
Colloque international interdisciplinaire
Université Bretagne Sud 12-13 mars 2026
Laboratoires HCTI et TEMOS
Le genre et l’argent, le genre de l’argent et l’argent du genre
On assiste, depuis plusieurs décennies, à une multiplication des mesures pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Ces initiatives juridiques et politiques visent généralement à émanciper économiquement les femmes pour remédier à une situation d’infériorité persistante qui s’exprime spécialement sur la dimension pécuniaire du patrimoine féminin. Historiquement, l’émancipation par l’argent suit une dynamique irrégulière avec des points de rupture, de transition et de continuité. Toutefois, la figure antique de l’imbecillitas sexus représente une constante sur le temps long, notamment après sa redécouverte à la fin du Moyen Âge en Europe. Elle « constitue la matrice dogmatique du droit de la famille sous l’Ancien Régime : par nature, la femme est faible, à l’image de l’enfant ou du fou, si bien qu’elle doit être protégée, chaperonnée par un homme, son père ou son mari, qui assure la direction du foyer et la gestion des biens du ménage » (Laurent-Bonne, 2025, p. 30). Cette situation vient diminuer la maîtrise de la femme sur son patrimoine. La femme perd généralement la capacité de disposer librement et de se constituer une fortune financière. Toutefois, l’argent qu’elle peut recevoir d’une façon ou d’une autre devient rapidement un enjeu majeur dans le développement d’un ménage ou d’une activité économique au profit des hommes par le jeu des régimes matrimoniaux, des successions ou encore des sociétés de commerce. Cette tendance ne va pas disparaître dans les pratiques individuelles et collectives après l’Ancien Régime. Cependant, le Code civil de 1804 rompt avec une aspiration révolutionnaire plus libérale au profit d’un rigorisme masculin qui ne va se relâcher que sous le poids des nécessités économiques, des conflits mondiaux et enfin des mouvements proprement féministes. Cette dynamique reste toutefois à géométrie variable et souvent tardive. Si la possibilité d’ouvrir un compte bancaire a été donnée aux Françaises en 1965, il a fallu attendre 1985 pour que cela soit le cas en Suisse. Malgré ces mesures, et la participation croissante des femmes au marché du travail, le constat dressé par les économistes est sans appel. En France, les inégalités patrimoniales entre les femmes et les hommes ont augmenté, passant de 9 à 16% entre 1998 et 2015 (Radica, 2025, p. 18). Surtout, ces inégalités s’étendent très largement entre l’acquisition, la valorisation et l’imposition d’un patrimoine.
L’argent, levier d'émancipation, paraît encore à bien des égards un outil de domination. Encore faut-il définir ce que l’on entend par le terme dont la polysémie a déjà été l’objet d’étude de plusieurs disciplines à commencer par la sociologie et l’anthropologie. Il faut distinguer l’argent, fait social, politique et moral de la monnaie, concept plus limité qui désigne en économie l’argent comme un instrument d’échange. Ainsi, l’argent doit être conçu dans sa matérialité, mais il prend tout son sens à travers le prisme du contexte social, mais aussi des affects, des valeurs, des mœurs, des croyances, de l'imaginaire collectif et, plus généralement, de l'ordre symbolique qui les sous-tend.
Si le rapport économique homme-femme est un premier angle majeur pour interroger le rapport du genre et de l’argent, la question du genre élargit le spectre de la question. Judith Butler dans Trouble dans le Genre (1990, 2005 pour l’édition française) démontre « que les catégories fondamentales de sexe, de genre et de désir sont les effets d’une certaine formation du pouvoir » (2005, p. 53). Il s’agit de « chercher à comprendre les enjeux politiques qu’il y a à désigner ces catégories de l’identité comme si elles étaient leurs propres origine et cause alors qu’elles sont en fait les effets d’institutions, de pratiques, de discours provenant de lieux multiples et diffus » (2005, p. 53). L’argent comme le genre peuvent donc être étudiés comme des constructions politiques qui reflètent la société dont ils sont originaires, prenant des sens et des représentations variables selon les aires géographiques étudiées.
Axes de communication
Plusieurs axes de communication seront privilégiés, sans être exclusifs. D’autres questionnements ou problématiques pourront être proposés.
On s’interrogera sur la question de l’argent à l’épreuve du genre suivant plusieurs échelles et à l’intérieur des différentes sphères, depuis les rapports intimes à l’argent et à son usage jusqu’aux sphères étatiques, où s’affirme par exemple la nécessité de mettre en œuvre des politiques publiques sensibles au genre (Lazarus, 2021). Cette approche peut conduire à questionner les ambiguïtés d’une possible émancipation par l’argent et les tensions qu’elle entretient avec les normes sociales, morales ou juridiques. Au-delà des transformations juridiques encadrant les rapports entre genre et argent, l’étude des stratégies de contournement du droit, des pratiques informelles et illégales relatives à l’argent, à ses usages et ses circulations, permet de saisir les marges d’action, voire d’empowerment qu’elles rendent possibles (Guérin et alii, 2013), notamment, mais pas seulement, dans la sphère intime.
La répartition genrée de l’argent s’inscrit dans cet axe à travers les questions de fiscalité, sécurité sociale, allocations et succession. La manière dont l’argent est distribué, attribué et transmis constitue un terrain privilégié pour analyser la dimension genrée des rapports économiques, dans le couple (budget), à l’intérieur des familles (pratiques successorales) ou dans le champ des politiques publiques (redistribution), mais également les constructions stéréotypées fortement sexuées, comme l’illustre l’image du « breadwinner » (Gerson, 1993) ou celle de la « welfare queen », ce dernier stéréotype utilisé pour justifier et normaliser l’oppression des femmes noires (Collins, 1990).
La question de la légalité et de l’illégalité de l’argent et le rapport de la corruption financière avec le genre seront interrogés. On notera que les pratiques illégales liées à l’argent sont sexualisées : la figure tentatrice de la « gold digger », celle des faux-monnayeurs dont la production est appelée en anglais « queer money », mais aussi l’usure qui, comme la contrefaçon est liée à des pratiques homosexuelles (Fisher, 1999, Gide, 1921). L’arnaqueuse au 19e siècle voit sa sexualité et sa quête de fortune intimement liés aux Etats-Unis (Halttunen, 1982, Gamber, 2017). Les grands scandales financiers tels la pyramide de Ponzi montée par Bernie Madoff seront aussi l’occasion d’étudier le rapport entre masculinité, argent et corruption.
La question de l’émancipation par l’argent dans une société néolibérale. Bien avant que Betty Friedan ne proclame publiquement que la solution au malaise féminin résidait dans l'emploi dans la sphère capitaliste dans The Feminine Mystique (1963), Charlotte Perkins Gilman écrivait dans Women and Economics (1898) que les femmes devaient acquérir leur indépendance économique en travaillant hors du foyer. Le seul moyen de séparer la relation sexuelle de la relation économique au sein du foyer était de travailler à l’extérieur de celui-ci. Si l’émancipation économique dans une société capitaliste et par les moyens capitalistes est vue comme le premier pas de l’égalité homme-femme on questionna notamment la pertinence d’utiliser les outils du maître pour détruire la maison du maître selon l’image d’Audre Lorde (1984). On questionnera donc le discours postféministe comme un discours néolibéral dans sa forme où la quête de fortune financière contribue à la société néolibérale dont elle prétend s’extraire (Tasker et Negra, 2007), notamment dans ses représentations dans la culture populaire : musique, film, série télé...
DIisciplines concernées : Histoire, Droit, Etudes anglophones, Littérature, Anthropologie, Sociologie...
Les propositions de communication, en 300 à 500 mots maximum, en français ou en anglais, présenteront l’objet de la communication, en précisant l’axe dans lequel s’inscrira l’intervention. Elles feront apparaître les nom, prénom, appartenance institutionnelle et adresse mail du ou des communicant·e·s, ainsi que quelques éléments bio-bibliographiques. Elles sont à envoyer avant le 14 novembre 2025. Un accord préliminaire de participation sera envoyé début décembre 2025.
À envoyer à : genreetargentubs@gmail.com
Organisation du colloque
Lieu et date :
Le colloque se tiendra sur deux jours à Lorient, à l’Université Bretagne Sud, les 12 et 13 mars 2026. Il sera organisé par sessions de communication de 30 minutes chacune.
Une publication rapide des actes du colloque est prévue dans un numéro d’une revue pluridisciplinaire.
La date précise de rendu des textes vous sera communiquée à l’issue du colloque, elle sera au printemps 2026.
L’Université Bretagne Sud prendra en charge une nuit d’hôtel ainsi que les repas. Les questions financières ne devront pas être un frein pour les doctorant·e·s.
Organisateur·ice·s :
Véronique Mehl (Université Bretagne Sud)
Isabelle Durand (Université Bretagne Sud)
Victor Le Breton-Blon (Université Paris Nanterre)
Claire Huet (Aix-Marseille Université / Université Bretagne Sud)
Marion Olharan Lagan (Université Bretagne Sud)